Sa série d’articles « Quartiers shit » lui a valu le prix Albert Londres 2014. Un style audacieux mêlé à une approche singulière des quartiers sensibles de Marseille. Localier pendant 10 ans à « La Marseillaise », Philippe Pujol n’avait pourtant pas pris le chemin pour obtenir un jour le Graal du journalisme français.
Le journaliste Philippe Pujol est dans la vie comme dans son écriture : joueur, cru et sensible. Bavard aussi, même si dans ses articles il ne s’étale jamais. Aller à l’essentiel, sans faire de détours. « J’ai une approche animalière : rester peu longtemps mais y retourner souvent. » Sans doute un reste de ses études en biologie, plus exactement en « biologie des populations et des écosystèmes, mention éthologie ». Un parcours universitaire qui le mène directement à la case chômage.
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Pour vivre, Philippe Pujol devient alors agent de sécurité. Un métier qui lui permet de se faire des premiers contacts dans le monde des « voyous » comme ils les appellent. Des jeunes qu’il côtoie plus ou moins directement depuis son enfance passée dans le quartier populaire de la Belle de Mai, à Marseille. Lui ne se faisait jamais contrôler.
« Un jour, j’étais avec des copains qui faisaient des tags. Des policiers sont arrivés, mes potes sont tous partis en courant. J’ai beaucoup de sang-froid alors j’ai levé les bras en disant : “C’est bon ils ne m’ont rien fait !” et ça a marché. »
« Vous écrivez très bien Monsieur »
Stratégique, le journaliste fait partie de ceux qui savent saisir la perche au bon moment. Après un échec en tant qu’ingénieur informaticien, un métier bien payé mais « un enfer », il débute une école de communication scientifique à Marseille, option journalisme, sans avoir « la lumière » pour le métier. « J’ai quand même bien aimé le cours que nous avions eu sur Albert Londres, il y avait un côté reportage qui me plaisait pas mal », lâche-t-il un sourire en coin. Après son école, il commence un stage au quotidien La Marseillaise et accepte rapidement de travailler pour la rubrique fait divers. « La veille, je m’étais dit : s’il y a une chose que je ne veux pas faire, c’est fait-diversier », mais le CDI à la clé lui fait changer d’avis. Dix ans plus tard, il reçoit le prix Albert Londres.
Tout part d’une rencontre dans un couloir, accompagnée de cette phrase: « Vous écrivez très bien Monsieur ». Elle sortait de la bouche de Bernard Pivot. « Mon enfer et mon plus grand génie à la fois », explique Philippe, diagnostiqué dyslexique à 36 ans. « Mon orthographe était un handicap. » Ce jour-là, il estime qu’avec l’aval du maître de la langue française, il est légitime de concourir pour le prix.
Sa dyslexie élucide en partie son style d’écriture si particulier : dégagé de toute tournure grammaticale complexe. Une stratégie qu’il utilisait déjà dans ses premiers articles. « J’avais une écriture un peu loufoque. » Quelques années plus tard, nouvelle rencontre décisive, cette fois avec son voisin qui lui présente un livre du critique d’art Félix Fénéon. Pour le journaliste, c’est le déclic : « J’ai adopté son écriture. Copie conforme. Puis j’ai évolué. » De là est né le style Pujol « plein d’audace et de fulgurances », selon les jurés du prix.
Des articles ponctués de paroles de chanson
« Tout ce que j’écris, je l’écris en musique. » Et ses articles sont souvent ponctués de paroles de chansons, inspirées par exemple des Clash. Quand on le lance sur la musique, il ne s’arrête plus. Vantant les belles époques du rap des années 80 et déplorant le rap d’aujourd’hui « d’une pauvreté désespérante ». Pour se consoler, il reste dans le passé, jusqu’à mettre Cypress Hill en sonnerie de portable. Un choix qui l’a sauvé lors d’un de ses reportages.«
J’étais en face de trois jeunes et ça tournait mal. Mon portable a sonné, le plus vieux s’est arrêté net en entendant la chanson, il m’a dit : “Cypress Hill? » J’ai fait oui. Il a tout de suite changé de ton », raconte le reporter en se marrant.
Le Marseillais âgé de 38 ans -né à Paris mais « ça ne compte pas »- sait raconter les histoires. Un talent qu’il emprunte à ses origines corses, dont il garde un léger accent. Et ses histoires préférées sont celles de Marseille. Marseille rongée par la vie politique, Marseille « ville américaine » qui mélange toutes les populations, Marseille belle vitrine comme un coup de peinture qui masque la misère. Une misère qu’il côtoie depuis dix ans en reportage dans les quartiers Nord. Dans sa série primée Quartiers shit, il ne montre pas la violence, il l’explique. Le fonctionnement des quartiers et les gens qui y vivent. D’une approche très « faits divers », il a commencé à « faire le lien entre le sociétal et le voyou » après le départ d’une collègue : « Au début, elle faisait le côté social, moi je jouais le côté sécurité. Quand elle est partie, j’ai allié les deux. »
« Il faut que d’autres journalistes s’y mettent »
Philippe Pujol travaille aujourd’hui seul avec pour unique allié ses contacts. Solitaire, il ne compte pas, ou plus, sur la rédaction de La Marseillaise qu’il quitte cet été : licenciement économique. Après dix années passées à rapporter des faits divers, il veut changer : « Les bandits, les voyous, les quartiers Nord : il n’y a pas que ça à Marseille. Il faut que d’autres journalistes s’y mettent. La vision d’un seul homme, ce n’est pas bon. » Mais hors de question de quitter la ville. Connaître Marseille par cœur reste un atout précieux.
Touche à tout, le journaliste accorde une place importante à ses loisirs. Dessinateur au lycée, il joue de la guitare, a toujours écrit : « des carnets remplis de notes » ou des poèmes… Il fait du sport aussi, longtemps sur les terrains de rugby, puis les cours de tennis, aujourd’hui il fait surtout de la musculation, proche du fitness de rue. « J’aimerais me mettre à la boxe. » Une envie soufflée par un ami éditeur qui lui a déclaré un jour : « Quand tu écris on dirait un boxeur, tu tournes autour, tu mets des petits coups et tu frappes. »
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