La physique quantique au service de l’analyse littéraire ? C’est le pari relevé par Pierre Bayard dans son dernier essai. Une théorie des existences parallèles séduisantes à l’heure d’internet et des espaces virtuels.
Et si les frères Bogdanov avaient eu raison avant tout le monde ? En 2011 était réédité leur livre « culte », La Mémoire double, publié pour la première fois en 1980 et plagié, selon Igor et Grichka, par les réalisateurs de Matrix (à moins que les Bogdanov n’aient, eux, commis un plagiat par anticipation, mais c’est une autre histoire). Dans ce roman, le héros, Antoine, vit à la fois dans la campagne gasconne et dans un monde virtuel – la Matrice. Une intrigue sous les auspices de la physique quantique. Les jumeaux, ne l’oublions pas, ne sont pas seulement des écrivains visionnaires, mais aussi des scientifiques de haut vol (sic). Avec son nouvel essai, Pierre Bayard, professeur de littérature à Paris VIII et psychanalyste, va peut-être – enfin ! – leur rendre justice.
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Dédié au chat de Schrödinger, ce félin à la fois mort et vivant, Il existe d’autres mondes se propose en effet d’étudier l’influence des théories quantiques en littérature et de montrer en quoi l’hypothèse des univers parallèles peut s’avérer une grille de lecture et de compréhension du monde, mais aussi de soi, d’une richesse insoupçonnée.
De livre en livre, Bayard lui-même échafaude une histoire parallèle de la littérature, déminant par l’absurde les évidences pour faire vaciller nos certitudes, comme dans Et si les oeuvres changeaient d’auteur ? Cette fois, Pierre Bayard – qui, dans cet essai, se dit aussi chef d’orchestre, enquêteur à Scotland Yard et amant de Scarlett (Johansson) – décide de « prendre au sérieux les affirmations de certains physiciens » considérant que « nous existons réellement à une multitude d’exemplaires dans une pluralité d’univers différents ». Il analyse ensuite les implications de ce postulat sur les oeuvres des soeurs Brontë, de Dostoïevski, Murakami, Nabokov ou Kafka.
Dans le dernier cas, par exemple, il entend démontrer que si Kafka a su décrire les univers totalitaires qu’il n’a pas pu connaître de son vivant, c’est parce que, comme nous tous, l’écrivain tchèque est présent dans une multitude de mondes alternatifs et que l’un d’eux a inspiré ses textes. Plus sensibles et à l’écoute, les écrivains seraient les mieux placés pour recevoir les messages des autres univers et leur donner une forme esthétique.
Evidemment, la théorie des mondes parallèles nourrit depuis longtemps la science-fiction, mais elle excède de plus en plus ce genre. L’an dernier, Philippe Forest publiait Le Chat de Schrödinger (Gallimard), beau roman métaphysique dépliant les possibles à la façon de la mécanique quantique. Peut-être sommes-nous aujourd’hui plus perméables à l’idée, a priori inconcevable, que nous vivons simultanément une infinité d’existences dans différents espaces. Nous en faisons d’une certaine manière l’expérience avec internet et nos nombreux avatars, à la fois ici et ailleurs, par l’intermédiaire de nos écrans qui sont autant de mondes parallèles. La théorie quantique n’a presque plus rien de virtuel.
Elisabeth Philippe
Il existe d’autres mondes de Pierre Bayard (Minuit), 160 pages, 15 €
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