Le Québécois Peter Peter publie lundi un album excitant de pop totale, aux tubes collants mais aux textes amers : écoute en avant-première et interview intégrale.
Sur un deuxième album de pop totale, en équilibre constant entre brillance et mélancolie, le Québécois Peter Peter dresse un portrait passionnant de lui-même, de sa contemporains et de leurs angoisses, de leurs fêtes et fuites en avant.
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Bourré de petits tubes mélancoliques qui ne cessent, une fois écoutés, de rebondir sur les neurones, Une Version améliorée de la tristesse est aussi une version déformée, éthylique, de la pop music. Comme les morceaux qui suivent, Carrousel, MDMA, Tout prend son sens dans le miroir, Réverbère ou Les Chemins étoilés notamment, l’ouverture-titre donne le ton, assez unique, de l’album : le brillant pâle de nappes de synthés à la lumière de néons crus se heurte au charnel bouillant de saxos assumés, les pianos, rythmiques et mélodies dance ou sautillantes se heurtent à une voix de belle soie déchirée et à des mots souvent forts.
Un tourbillon sensoriel déstabilisant et excitant, comme celui que traversent les consciences quand elles s’enfoncent dans les méandres changeants de nuits extrêmes, joyeuses et tristes à la fois : Une Version améliorée de la tristesse, à paraître lundi, est en écoute en avant-première ici-même. L’occasion, pendant l’écoute de ses 10 morceaux, de lire en intégralité l’interview que nous a offerte, il y a quelques semaines, le charmant, magnétique et passionnant garçon.
Concerts : Concerts : 6/3 Paris (Nouveau Casino), 26/3 Toulouse, 28/3 Avignon, 2/4 Strasbourg, 8/4 Lille
ENTRETIEN
Comment te décrirais-tu, en tant qu’individu ?
Peter Peter : Quelqu’un de spontané, j’imagine. Mais aussi quelqu’un de très anxieux, d’ instable. Je suis assez bipolaire, les humeurs peuvent varier assez vite. Il y a plusieurs journées dans une seule journée, je suis assez influençable, dont les sentiments varient. Je n’ai pas toujours été comme ça, je n’ai pas toujours connu cette détresse. Je pense que c’est venu d’une frustration : on est content de toucher aux choses qui nous rendent heureux, mais quand elles disparaissent, le vide se crée. J’ai été élevé dans la religion, mais je suis devenu athée quand je suis passé à l’âge adulte, c’est un des premiers vides de ce genre que j’ai connus. Tu découvres que c’est des foutaises, qu’on t’a raconté une histoire de Père Noël. Tu te mets à douter de tout.
Même de toi ?
C’est venu plus tard. Mais ça va : ce que je fais et aime, je ne le fais ni ne l’aime jamais pour converger vers un certain cercle social, je le fais d’abord pour moi. Je n’ai pas besoin d’accréditation pour aimer les choses. Et je suis assez solitaire.
Que peux-tu me dire de ton enfance ?
J’ai passé mes premières années près du lac Saguenay. Ma mère et moi avons ensuite déménagé à Québec, elle est ensuite parti à Montréal, je suis resté un peu à Québec où j’ai commencé par étudier le cinéma. J’ai aussi commencé à être dans des groupes à ce moment, vers 20 ou 21 ans. J’écrivais de la poésie depuis longtemps, c’est ce qui m’a mené vers la musique : mes amis avaient des groupes de rock mais n’étaient pas toujours contents de leurs textes, ils m’ont demandé d’écrire pour eux. De mon côté, je n’étais pas fier de ma voix, mais j’y ai beaucoup travaillé. Au départ, je chantais fort, je chantais haut, c’était mon but : l’inverse de mon chant aujourd’hui, très éthéré, très susurré. Mon adolescence, je crois que je l’ai vécue tardivement. J’étais plutôt calme au lycée, j’ai eu mes expériences comme tout le monde, et j’avais un grand respect pour ma mère, je ne voulais pas qu’elle ait un adolescent à problèmes : quand il y avait un problème, elle me rappelait qu’un homme avait déjà causé suffisamment de tort à la famille. C’est ensuite, quand je suis arrivé dans ma vie d’adulte, que j’ai senti le besoin de vivre des choses incroyables. Je me suis passionné pour le cinéma et la poésie, j’avais une attirance pour les poètes maudits, j’ai voulu vivre leurs ivresses. C’est aussi ce qui m’a attiré dans le rock’n’roll.
Musicalement, quel genre de choses t’attiraient ?
C’était assez hétéroclite. Je pouvais autant aimer Francis Cabrel que Megadeath. Je trouve que c’est une bonne éducation, c’est bien de connaître tous les mondes, ça nuance. Cabrel, je ne l’écoute plus vraiment, mais je trouve toujours que c’est un grand parolier et un grand mélodiste. Je l’assume : j’aime bien assumer ces choses-là, le fait d’être charmé par des choses très pop, un peu faciles en apparence. J’ai décidé de faire de la pop, de peaufiner mon truc au maximum. Et je n’ai aucune condescendance envers la pop
Quel type de sensations cherchais-tu quand tu écoutais de la musique ?
J’écoutais surtout ma musique seul, avec un casque : ça peut te donner une idée de l’univers d’enfant unique que j’étais, je pouvais écouter la même chanson cent fois en boucle. Je n’étais pas très doué pour les filles, je ne l’ai jamais été et ne le suis toujours pas, je préfère qu’elles viennent vers moi, pour ne pas les embêter. Je passais des heures à écouter une chanson, tout seul, à rêver d’une fille de ma classe. Je pense que les chansons mélancoliques me touchaient plus que tout, elles donnent l’impression que quelqu’un te comprend, comme un ami qui te raconte quelque chose, qui te dit que tu n’es pas le seul à vivre ce que tu vis. Ca soulageait un peu ma détresse. Il y a eu des choses plus de l’ordre du défoulement, Nirvana, les Pixies, mais Nirvana est aussi quelque chose de très sombre. J’ai aussi beaucoup écouté de choses plus contemplatives, comme Pink Floyd, à l’adolescence. Des groupes que j’ai ensuite décidé de détester. Est arrivé un moment où je suis entré en réaction contre mes propres goûts, je me disais que Pink Floyd ou les saxophones étaient de la merde, mais j’ai fait la paix avec tout ça. Les choses qui m’ont charmé ne sont pas totalement connes.
Tu te considères plutôt comme optimiste ou pessimiste, pour toi-même ou pour le monde ?
Ca dépend des moments, c’est variable. Quand une chose lâche, tout généralement lâche ensuite. Le problème est quand on vit un rêve, mais que la désillusion s’installe peu à peu, on peut devenir paranoïaque, ne plus savoir comment retrouver un bonheur naturel, on cherche trop. Mais je ne suis pas non plus quelqu’un de très apocalyptique, surtout au niveau général. Tout est évidemment très compliqué, je suis soucieux, mais comme dans l’enfance je rêve parfois que des super-vilains surgissent pour diriger le monde et expliquer aux hommes qu’ils n’ont rien compris… (rires)
On parlait de romantisme : quelle est ta conception, ta définition du romantisme ?
Ce n’est pas forcément lié à l’amour, plutôt à la passion. C’est lié à l’époque ancienne, mais je pense qu’il est bon de le réinventer, par des actes de spontanéité. Le côté punk doit être là dans toute chose, c’est ce qui apporte de la nouveauté, en façonnant de nouvelles images. Le titre de l’album, « une version améliorée de la tristesse » se rapporte peut-être à cette idée de romantisme nouveau.
Et ta propre forme de romantisme, comment la vis-tu ?
Mes albums, je pense, décrivent bien comment je vis les choses, j’essaie aussi de parler de ce que j’observe autour de moi, de mes amis. Quand ça ne va pas, je vais les voir, ou je vais me balader, mais quand ça ne marche pas je sors, je fais des expériences, je peux pousser les choses assez loin. C’est une forme d’insatiabilité : on a été très gâté, mais une fois les premiers échecs venus, les choses belles sont perçues comme vulnérables.
Tu me parlais de tes expériences, notamment avec les drogues : que peux-tu m’en dire ?
C’était plus jeune, mais il y a aussi l’alcool, que je considère comme une drogue ; c’est avec l’alcool que je suis allé le plus loin. L’idée est de vivre des émotions fortes. Je suis quelqu’un d’hyper anxieux, et d’assez excessif. L’album parle de ça : des oiseaux de nuit, des gens qui vont noyer leurs incertitudes dans la facilité de la fête, de l’alcool. J’ai aussi tellement de bons souvenirs de l’école, de la fac, j’ai tellement eu de belles expériences que j’essaie de les reproduire quand je fais la fête. Le problème est que ces expériences, ces images n’arrivent qu’une fois, on ne peut pas les revivre. Mais ne pas pouvoir les revivre te plonge dans un ennui qui te pousse à essayer une fois encore : tout le principe des paradis artificiels, ou des enfers artificiels. L’alcool est une forme de déni, notamment le déni des choses essentielles de la vie. Et la fête t’oblige, surtout quand tu es jeune, à faire des contorsions économiques, car elle devient vitale.
Tu t’es parfois senti aller trop loin ?
Le sport a pris beaucoup d’importance dans ma vie. J’ai arrêté de trop boire, il m’arrive de faire ce que l’on appelle « des échappées » au Québec, je pars dans un délire, mais je bois « normalement », sans avoir à me gérer. Le sport m’a permis de dépenser de l’énergie, de me concentrer sur quelque chose. La fête me servait à me soigner de l’anxiété, mais dès qu’elle s’arrêtait, les ombres reprenaient le dessus. Le sport est quelque chose que j’ai aussi découvert seul, je ne me suis pas choisi un sport d’équipe : je cours.
Dans tes chansons, tu parles surtout de toi ou des choses qui t’entourent ?
Mon premier album était plutôt autocentré, mais Une Version améliorée de la tristesse parle de moi et d’amitié, de cette forme de tristesse collective que je peux observer autour de moi. On vivait tous les mêmes choses, ou on arrivait tous vers les mêmes sortes de doutes : certains se retrouvent face au vide à la fin de leurs longues années d’étude, d’autres se rendent compte qu’ils ont fait les mauvais choix, les relations amoureuses se délitent… Sans doute l’avènement de la trentaine pour beaucoup d’entre nous. Peut-être l’époque est-elle aussi à ça, l’accélération des choses nous pousse peut-être à nous poser plus de question. Tout devient obsolète très vite, et c’est peut-être quelque chose qui a fini par s’inscrire dans notre inconscient.
Tu as commencé à écrire tes textes avec ces questions à l’esprit ?
Au départ, c’était un constat personnel. J’étais dans mes propres difficultés, j’étais plutôt dans l’introspection, j’avais du mal à regarder le monde. Mais quand j’ai senti que je commençais à avoir un album, quand j’ai écrit Les Chemins étoilés par exemple, j’ai pu m’ouvrir à nouveau au monde. Je me suis remis à faire la fête, mais parce que je me sentais bien : j’avais travaillé, je pouvais me lâcher. Mais à ce moment-là, en sortant à nouveau, j’étais avec des amis qui se posaient des questions, qui me parlaient de leurs choix, j’ai eu envie de les inclure à ce que je racontais.
Musicalement, qu’avais-tu en tête, après le premier album ?
J’étais parti pour refaire un album qui, comme le premier, parle des sentiments. J’avais envie de faire un album triste. On peut me reprocher des trucs, mais on ne peut pas me reprocher la mélancolie. Je n’écoute pas Elliott Smith ou José Gonzales pour danser : ce sont des gens qui font des disques dans lesquels je me retrouve. Puis je me suis dit que j’allais faire un album pop. Les structures des chansons sont un peu les mêmes, il y a encore des références shoegaze, mais l’habillage est différent, moins lo-fi que le premier. J’ai acheté des synthétiseurs, par exemple, ça a changé beaucoup de choses.
Comment ton premier album a-t-il été reçu au Québec ?
Le second a mieux marché, mais j’ai senti dès le début que des gens comprenaient très bien où je voulais en venir. Je veux réconforter les gens, pas les rendre tristes, et je crois que ça a été bien compris. C’est pour moi un exutoire. Je ne suis pas un assistant social, mais j’ai un amour pour la vulnérabilité, je ne veux pas faire semblant d’être une icône pop, je veux toujours me montrer sous mon vrai jour, avec les défauts et les insécurités que ça comporte. Je suis fier de raconter tout ce que je suis, de ne rien cacher. On connaît le pire, pour le reste vivons l’aventure. Ca peut choquer, c ’est une forme de rébellion qui est parfois mal ressentie voire rejetée. Mais j’aime le faire, sans avoir à me transformer, sans avoir à me conformer aux codes de la « mafia du goût ». Les gens cherchent à affichent leur amour en appartenant à des cercles, en adhérant à une forme d’unité.
Ton album est à la fois assez synthétique et mélancolique…
Oui, je vois tout à fait ce rapport entre le chaud et le froid, les synthés apportent quelque chose de non-organique mais il reste un fond humain. Un de mes grands amours en musique est The Radio Dept. : c’est un groupe assez incroyable, très indépendant, qui a fait une bonne synthèse de tout ça. Ils n’ont par exemple pas eu peur d’utiliser, à une époque où ça ne se faisait pas, des pianos un peu dance. Et ils ne l’ont pas fait pour paraître cool mais simplement parce qu’ils aimaient ça. Il s’est également passé quelque chose, pour Une Version améliorée de la tristesse : je suis tombé un peu plus amoureux des instruments, et un peu plus admiratif des gens qui en jouent mieux que moi. J’ai trouvé que le saxophone était beau, que c’était triste qu’il soit devenu un tabou de la pop music, qu’il soit cantonné au jazz : quand on écoute Bruce Springsteen, on ne se pose pas toutes ces questions. Je me souviens aussi avoir eu un choc en allant voir un concert de Destroyer : j’ai été choqué de découvrir autant de choses sur l’instrument, qu’il était par exemple très personnel, que chaque saxophoniste avait une technique assez unique.
Le son d’Une Version améliorée de la tristesse, tu l’avais en tête dès le départ ?
Je me suis beaucoup intéressé aux synthés, à leurs sons, à leurs nappes. Je me suis mis à en acheter, à en revendre pour en acheter d’autre, à en essayer beaucoup. Mais le virage s’est opéré avant la sortie de l’album : ceux qui m’ont vu sur scène, notamment avec un saxophoniste, avant que l’album ne soit paru ont cru que j’avais pété un plomb. Mais pour moi, tout était clair : je voulais des envolées lyriques mais contemplatives. Je ne voulais pas de grosses ficelles, j’en ai un peu marre de la sauce qu’Arcade Fire a créée avec Funeral, mais je savais que la tristesse passerait mieux si elle était portée par ces envolées. Le problème est que je ne savais pas forcément le faire. J’ai rencontré Emmanuel Ethier, qui est arrivé plus tard sur l’album, mais qui a justement décoincé beaucoup de nœuds, notamment au niveau des arrangements, des idées de textures, des rythmiques. En un mois, nous avions fini l’album.
Décrirais-tu cet album comme pop ?
Oui, j’ai une place pop, ici. C’était moins le cas au Québec, même si j’ai fini par être joué par des radios comme NRJ. Pop, pour moi, ça n’a plus rien de péjoratif depuis que je suis sorti de l’adolescence. Ce n’est pas de la variété. Elliott Smith est pop, la pop pointue existe, Prince est un parfait exemple.
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