Un salarié de Pizza Hut a été licencié après avoir tenté d’alerter sur la présence d’amiante dans un restaurant de Vitry-sur-Seine. Il porte l’affaire aux prud’hommes pour licenciement abusif et au pénal pour mise en danger de la vie d’autrui.
Après la gestion calamiteuse d’un cas d’homophobie visant un de ses employés, Pizza Hut démontre une fois de plus, pour un tout autre problème, que les ressources humaines ne sont pas son fort. Cette fois, un cadre un peu trop consciencieux a été remercié quelques semaines à peine après avoir tenté d’alerter sur la présence d’amiante sur le chantier d’une future boutique.
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“Tout ça pour moi était une question de bon sens, de sécurité”, soupire Abdel A*. Cet animateur du réseau franchisé a été licencié à l’automne pour avoir osé poser trop de questions. Les faits remontent à l’été dernier. Abdel A. supervise l’ouverture d’une nouvelle boutique Pizza Hut à Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne). Dès la première réunion de chantier, à laquelle sont présents un représentant de la chaîne et les entrepreneurs chargés des travaux, de l’amiante empaqueté dans trois sacs est détecté. Découverte encombrante : il faut tenir des délais serrés pour l’ouverture du magasin. Certains proposent de jeter le matériau pourtant toxique dans une décharge publique, en dépit des règles strictes encadrant le désamiantage.
“Des enjeux financiers”
“Je m’y suis opposé. Soit il fallait contenir l’amiante, soit désamianter selon les règles de sécurité.”, explique Abdel A. Mais ses précautions seront aussitôt balayées par un coup de fil de son supérieur, le directeur du réseau de franchises : “Il m’annonce qu’il reprend la main sur le dossier. ‘Il y a des enjeux financiers qui te dépassent’, m’explique-t-il à ce moment-là”, se souvient Abdel A., qui comprend le sous-titre de cette réponse énigmatique : “Le permis de construire arrivait à expiration le 26 juillet. Le chantier a démarré le 25. Il y avait urgence. La solution que je proposais aurait demandé de suspendre les travaux. C’est peut-être ce que mon boss voulait dire par ‘enjeux financiers’.”
C’est donc en toute connaissance de cause que Pizza Hut donne le feu vert pour le démarrage des travaux, sans se préoccuper de ces trois sacs. Le diagnostic technique d’amiante – pourtant obligatoire – n’a pas non plus été fourni aux entrepreneurs. Pire, les trois sacs disparaîtront du chantier sans avoir été consignés sur le bordereau de suivi des déchets dangereux, comme le prévoit la loi. Abdel A., dont ses collègues vantent “la rigueur, le sérieux, et le dévouement”, est abasourdi par une telle décision : “Ça me paraissait aberrant qu’on continue ces travaux, en laissant les ouvriers au contact d’amiante.”
Puisque sa hiérarchie directe ne prend pas ses préoccupations sanitaires au sérieux, Abdel A. tape plus haut. Il alerte le comité d’enseigne qui représente les franchisés auprès du franchiseur, et les cadres de Yum!, la maison-mère de Pizza Hut. De mails en coups de fil, il finit par être reçu par sa direction un mois et demi plus tard. Celle-ci essaie de calmer le jeu en lui présentant deux diagnostics d’état d’amiante – l’un daté de 2004 et l’autre plus récent, datant du 23 septembre 2013 – aux conclusions identiques : il n’y a pas d’amiante sur le site. Abdel A. relève la contradiction : “Pourquoi, au début du chantier, cet été, le démolisseur en avait détecté ? Où sont passés les trois sacs d’amiante qui étaient au sous-sol et qui n’y sont plus ?”
Mise à pied
Son obstination lui coûtera son job. Fin septembre, au siège de Pizza Hut France, il se voit notifier une mise à pied conservatoire, en attendant une convocation préalable à des sanctions. “Je quitte le siège à 11h15. A midi, je n’avais plus accès à mes mails et mon téléphone professionnel était coupé.” Quinze jours plus tard, lors de l’entretien avec sa direction, on lui reproche d’avoir divulgué de manière injustifiée des informations de nature à mettre en péril la stabilité du réseau de franchisés et d’avoir nui à l’image de marque de l’enseigne. La semaine suivante, son licenciement est prononcé.
Il décide de porter l’affaire devant les prud’hommes. “Si les faits que mon client dénonce sont vérifiés, son licenciement est gravement abusif. Car dénoncer l’existence de faits qui constituent une infraction pénale et être licencié pour ça, c’est gravement abusif”, affirme son avocat Michel Henry. Abdel A. a d’ailleurs déposé plainte auprès du procureur de Créteil pour mise en danger de la vie d’autrui.Au-delà de son litige professionnel, il veut que chacun assume ses responsabilités. “Mon cas personnel importe peu. Des gens qui se font licencier, il y en a des milliers tous les jours. Mais sur le principe, d’avoir balayé d’un revers de main un problème qui pourrait altérer la santé des gens qui ont travaillé sur ce magasin et des clients, c’est inadmissible.”
Car pendant son entretien de licenciement, la hiérarchie d’Abdel A. semble d’ailleurs bien embarrassée par ses questions : dans le compte-rendu rédigé par la représentante du personnel, les deux membres de la direction “précisent qu’ils ne peuvent pas confirmer que la pièce d’amiante enlevée a bien été désamiantée dans les règles de l’art par la société Rousseau-Agencement”. “Nous ne sommes pas techniciens” ont-ils justifié ce jour-là.
Sollicitée par Les Inrocks, la direction de Pizza Hut n’a jamais retourné nos appels. Muette auprès des journalistes, elle l’est tout autant avec ses cadres qui commencent à se poser des questions. Lors de la convention Pizza Hut France à Lisbonne en décembre 2013, la direction a été publiquement interpellée. “Tout est sous contrôle, on va attaquer Abdel A. pour diffamation”, aurait-elle répondu à la trentaine de franchisés présents. Peu convaincant selon un des membres du Comité d’enseigne qui nous confie : “Au siège ils sont gênés.” Selon lui, le directeur du réseau franchise s’était engagé auprès du Comité à établir la traçabilité du traitement de ces trois sacs. A ce jour, aucun document n’a été fourni.
* le prénom du salarié a été changé pour conserver son anonymat, comme il le souhaitait.
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