Le collectif new yorkais 5Pointz veut sauver le seul musée du graffiti au monde de la spéculation immobilière.
Les bras croisés sur le toit de 5Pointz, Jonathan «Meres » Cohen jette un oeil mal réveillé sur Long Island City. Un quartier rouillé du Queens en pleine transition, où les tours de bureaux poussent comme des champignons. Meres, 39 ans, est artiste graffeur. Il gère 20.000m2 d’usines plus où moins désaffectées, devenues en vingt ans la Mecque internationale du graffiti. Un spot mythique où tout graffeur rêve de poser son blaze. Meres entretient les murs comme un musée dont il serait le curateur. Ses coordonnées sont taguées sur les murs : pour poser une fresque, on l’appelle ou lui envoie un mail. Il aime parler de 5Pointz comme d’un musée non officiel, « le premier musée du graff au monde ». C’est en tout cas l’attraction numéro 1 du Queens. New Yorkais et touristes, Lonely Planet sous le bras, viennent par rames de métro entières admirer les fresques, utilisées pour des shootings de mode, des clips, des longs-métrages. Un peu d’argent est reversé à l’association à but non lucratif de 5Pointz, tandis que la part du lion va dans la poche du propriétaire des murs : Jerry Wolkoff. Un magnat du bâtiment, avec des intérêts dans tout l’Etat.
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Wolkoff a annoncé à la presse la destruction du bâtiment pour septembre. L’explosion de l’immobilier lui a donné des visions : deux tours résidentielles de quarante étages avec piscine et terrain de sport.
« Les temps ont changé, explique-t-il à Village Voice. Mais je reste un ami des artistes ».
Il jure que la ville et lui ont trouvé un accord pour raser l’usine. L’asso gère les murs sans payer de loyer, seulement par contrat verbal, « à la New Yorkaise ». Wolkoff pense qu’il a laissé les artistes s’exprimer pendant vingt ans sur sa propriété est qu’il est temps de passer à autre chose.
Mais pour les artistes, 5Pointz est un ouvrage collectif totalement unique, à la fois statique et en mouvement, qui dépasse la gentrification d’un quartier. L’usine n’appartient plus à son propriétaire mais au « patrimoine de la ville ». Ils la verraient bien transformée « en centre pour la jeunesse, ou en monument historique ». Mission impossible, ou quasi inédite : à part sa gare centrale sauvée par un appel aux dons de Jackie Kennedy, New York n’a jamais eu de scrupule à sacrifier ses vieux joyaux au capitalisme immobilier. « Le graff est un art éphémère. 5Pointz change de figure tous les trois mois. Ca n’a rien à voir avec un monument historique » se défend Wolkoff, avec qui la communication est au point mort.
« J’offre 1000 dollars à celui qui mettra des bedbugs sous son lit » plaisante Meres sous sa capuche. Ses rapports avec le vieux Jerry (76 ans) ont toujours été taquins. Quand le graffeur obtient les clés de l’usine, en 2002, il lui est « interdit de peindre au dernier étage du building ». C’est bien sûr la première chose qu’il fait quand Wolkoff s’absente. Depuis, toute l’usine est repeinte jusqu’au toit.
Le collectif 5Pointz dit avoir plusieurs atouts pour couler le projet Wolkoff. D’abord, l’engouement populaire, objet de différentes pétitions qui pourraient attendrir le conseil municipal. Ensuite, même si le combat paraît déséquilibré, 5Pointz a « des alliés » dans les administrations. Et New York en est farci, entre la régie métro, le Council board, la ville, l’Etat…
« Le graff, c’est comme la maçonnerie. On est une société secrète avec des gens placés partout… Un lobby à l’américaine, avec un code d’honneur, une fratrie. Les artistes de graff bossent dans tous les domaines. On a des flics graffeurs avec nous » sourit Marie Flageul, trésorière de 5Pointz.
L’asso assure que « rien n’est encore joué » et qu’il est compliqué de détruire une usine de cette taille située aussi près du métro aérien. « Deux des conducteurs de la ligne 7 sont eux mêmes des « vandales ». Ils nous klaxonnent et ralentissent pour que les gens prennent des photos. Les électriciens du métro, tous syndiqués, sont aussi nos potes. Et pour l’instant, ils nous disent que le dossier Wolkoff est au point mort. Tant qu’il n’a pas de permis de détruire, on continue à faire ce qu’on aime. Le 8 février, on fait une grosse soirée avec Marley Marl aux platines. »
Le collectif continue le business, refuse la fatalité. Inutile de leur parler d’un New York sans 5Pointz : « cet endroit est une église, souffle Solomon, un MC métis de 120 kilos en blouson Pelle Pelle. C’est un temple du hip-hop. Tu ne peux pas détruire une église. Il y a trop d’amour ici. »
Maxime Robin
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