Selon un rapport de l’Institut de Veille Sanitaire, les pesticides largement utilisés dans les régions viticoles favoriseraient la stérilité. Un point de vue à nuancer pour Vincent Laudet de l’ENS de Lyon.
Sperme et vignes, la mauvaise équation ? Une étude de l’Institut de veille sanitaire (InVS) montre une baisse de la qualité du sperme de près d’un tiers entre 1989 et 2005 en France. La baisse est plus inquiétante en Aquitaine et dans les Midi-Pyrénées, deux régions viticoles, où la concentration en pesticide est donc la plus forte. Pour l’InVS, ces résultats montrent un lien évident entre utilisation intensive de pesticides et baisse de la fertilité. Pour Vincent Laudet, spécialiste des perturbateurs endocriniens et professeur à l’Ecole normale supérieure de Lyon, il faut être prudent face à ces résultats, qui ne peuvent pas faire office de preuve.
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Une étude récente de l’InVS pointe un lien entre perte de la qualité du sperme et l’utilisation massive de pesticides. Est-ce prouvé ?
En réalité, même si cette étude est très intéressante, elle ne fait que montrer une corrélation et pas un lien causal. C’est une distinction qu’il est très important de relever. Pour ce qui est des pesticides, c’est très compliqué d’établir un lien causal. A part en cas d’accident industriel ou d’exposition professionnelle très forte, c’est presque impossible. Il y a toujours une multiplicité de facteur qui entre en jeu et qui complexifie l’analyse. C’est très important de rappeler cela car les lobbies industriels vont toujours utiliser cet argument : sans lien causal, passez votre chemin. Pour en trouver un, il faut qu’il y ait à la fois de nombreuses corrélations, des effets mesurables chez des organismes témoins comme des souris ou des poissons et un certain niveau d’exposition. Or, comme on ne peut pas faire de manip en labo sur l’homme, c’est très difficile à obtenir.
Depuis combien de temps a-t-on des soupçons sur les effets des pesticides sur l’homme et sa reproduction ?
Cela fait environ trente ou quarante ans qu’on se pose la question d’une perturbation endocrinienne par l’environnement et de ses effets sur la santé de l’homme. Il y avait eu le cas du Distilbène, un produit qu’on donnait aux femmes enceintes pour lutter contre les avortements spontanés dans les années 50. On s’est aperçu dans les années 70 que les filles des femmes traitées développaient un cancer très grave et très rare. Cela a été l’un des premiers exemples de perturbation endocrinienne avérée. Puis, on s’est aperçu que de nombreuses espèces sauvages avaient des troubles de la reproduction. C’est à ce moment-là qu’on a commencé à émettre l’hypothèse du lien avec les pesticides.
Est-ce que la disparition progressive des abeilles serait liée à une perturbation de leur reproduction ?
Le cas des abeilles est un exemple typique de la complexité de ce type d’études. C’est un cas très compliqué. Déjà, on connaît très mal le système hormonal des abeilles. Ensuite, il n’y a pas qu’un seul facteur qui entre en jeu. L’hypothèse la plus probable est que l’exposition à certaines molécules, dont les pesticides, fait baisser leurs défenses immunitaires et les rend plus vulnérables à certaines maladies. Donc c’est difficile de créer un lien direct et avéré avec l’utilisation des pesticides, mais on peut facilement imaginer un effet par ricochet. Ensuite, comme les abeilles sont exposées sur de très longues périodes à de multiples produits en doses faibles, il est difficile pour les scientifiques d’étudier cela en laboratoire. On sait très bien reproduire une exposition à des doses fortes sur une courte période, mais dès que de nombreux produits différents entre en compte avec une durée d’exposition prolongée, ça devient très compliqué à comprendre.
Qu’est-ce qui explique selon vous que malgré tous les doutes qui pèsent sur les pesticides, ils soient encore autant utilisés ?
Tout d’abord, si les industriels utilisent ces produits, c’est parce qu’il y a un bénéfice direct, d’un point de vue industriel, ou pour le consommateur. Je suis personnellement convaincu des effets délétères des pesticides sur la santé, mais il faut plus que ça pour créer une politique de santé publique. D’autant qu’il y aura toujours des gens de mauvaise foi pour vous dire « vous n’avez pas de preuve directe, donc circulez, y a rien à voir ». Après, il y a quand même un consensus scientifique pour dire qu’il y a des effets des produits chimiques sur la santé et qu’il y a des expositions trop fortes ou des cas où il y a un effet sur la santé en dessous des doses recommandées. C’est la cas du Bisphénol A, par exemple.
Quelles sont les précautions à prendre pour se protéger ?
On ne peut pas décider de tout interdire d’un coup. Comme je l’ai déjà dit, si les industriels utilisent certains produits, c’est parce qu’ils ont leur utilité. Pour le Bisphénol A, s’il y a une telle exposition, c’est parce qu’on vit dans une civilisation du plastique, c’est la première source d’exposition aux perturbateurs endocriniens avec les pesticides. Donc, on ne va pas interdire le plastique. Après, il y a des précautions simples. Par exemple, ne jamais réchauffer de plat dans des barquettes en plastique au micro-ondes. En amont, il me paraît essentiel de toujours étudier les molécules avant de les utiliser, pour trouver d’éventuels dangers. C’est devenu obligatoire depuis la directive européenne Reach de 2007. C’est une précaution simple et essentielle qui peut vraiment porter ses fruits, surtout qu’on sait faire aujourd’hui des tests très efficaces.
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