Des « filles à fromages » aux « cools girls », passage en revue de ces filles qui disent se comporter comme des mecs.
Dans un billet de son blog hébergé sur Philosophie Magazine, Yves Michaud s’exprime sur cette tendance égocentrique que nous avons parfois à revendiquer nos contradictions pour en faire le signe de la complexité de nos personnalités. « Ce concept de dénégation est présent en philosophie au moins depuis Hegel puisque les moments d’une dialectique sont toujours des dénis des autres moments« , explique t-il. « Le déni se porte de mieux en mieux à travers tous les énoncés paradoxaux par lesquels un écrivain, un politicien, une personne fameuse à un titre ou à un autre, nie l’action qu’il est en train de faire », explique le philosophe. Il illustre : « Cela donne quelque chose comme : “X qui ne donne jamais d’interview, s’est confié de manière exclusive à notre journal”, “Y qui préserve jalousement sa vie privée nous raconte ses dernières épreuves” ou encore “Z, libertin avoué, exige que l’on respecte sa dignité”.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Cette logique consistant à « revendiquer des contradictions » n’est pas sans rappeler, dans une certaine mesure, ce phénomène qui pousse certaines femmes à se réclamer de « comportements masculins » comme pour mieux affirmer leur singularité au milieu des « autres femmes ». Les exemples sont légion. Cela va de se définir comme « grande gueule à talons » (sous-entendu : « j’ai des choses à dire mais je reste féminine ») comme si ne pas se laisser faire était forcément un attribut masculin, à énoncer des pseudo-antinomies de type « j’écoute la Fonky Family mais je le fais en robe à fleurs », sous-entendant que le rap est un genre musical réservé à un public masculin.
Le procédé rhétorique offre momentanément à celles qui y ont recours l’illusion d’un pied de nez à la culture girly. De façon très littérale, le cliché masculin (par exemple : rap, foot, bières) fonctionne alors comme négation du cliché féminin (mettons : cupcakes, vernis, vidéos de chats). Mais être une fille et clamer « apprécier autant les apéros dinatoires entre copines que les soirées pizza / bières avec les potes » n’est malheureusement pas un discours émancipant pour les femmes mais bel et bien une logique renforçant un clivage genré des activités. S’il permet en théorie à la fille qui s’en réclame de s’éloigner de l’imagerie girly, ce n’est donc malheureusement que pour mieux renforcer cette même imagerie. Et dire que l’on n’est pas une fille au sens classique du terme parce que l’on fait « des trucs de mecs » ne revient qu’à finalement accréditer une certaine idée des filles (et par ricochet, des garçons) en général.
Bios Twitter dans lesquelles certaines utilisatrices se décrivent comme « des princesses qui crachent par terre », bd pour filles à l’instar de l’illustratrice Margaux Motin qui se croque volontiers comme une femme moderne aimant autant Kenzo que le Wu Tang et bon nombre de discussions à l’heure de l’apéro : ces discours « je suis une fille mais un peu un mec aussi » sont aujourd’hui monnaie courante.
Les « filles à fromages »
Plus dommageable encore, la rhétorique s’est récemment trouvée gravée dans le marbre avec la naissance de ce nouveau projet événementiel intitulé « les Filles à Fromages ». Dans un article du Figaro Madame consacré à l’initiative, on dit de ces nouvelles dissidentes qu’elles « militent pour le retour du plateau de fromages au restaurant, assument de servir un brie fermier bien affiné lors d’un premier rendez-vous et penchent du côté du munster à l’heure du dessert. […] Très loin du girly correct, de ses crèmes glacées et de ses cupcakes bariolés, les cheese filles sont des femmes qui s’assument. » Mais depuis quand le fromage est-il réservé aux hommes ?
« On se retrouve entre filles qui ne se prennent pas la tête, on peut reprendre un morceau de beaufort sans avoir peur du regard des autres », va jusqu’à commenter Amandine Chaignot, l’une des ambassadrices du mouvement et jurée de l’émission Masterchef, dans ce que l’on croirait être une vaste blague.
« La cool girl est super hot et sans prise de tête »
Sommes-nous entrés dans une nouvelle ère où être une femme moderne doit désormais passer par la savante combinaison d’un juste respect des standards de la féminité et d’un côté franc du collier prétendument emprunté au genre masculin ? C’est ce que la contributrice Buzzfeed Anne Helen Petersen appelle le phénomène « cool girls », disséquant la grande popularité d’une actrice comme Jennifer Lawrence, jolie brin de jeune femme remplissant les critères d’Hollywood tout en ne cachant pas son goût pour les chips Doritos et le fait de boire du Veuve Cliquot à même le goulot. Anne Helen Petersen, qui est aussi enseignante en études des médias au Whitman College, dit ainsi de l’actrice à succès qu’elle n’est pas exactement « la fille normale » que les fans décrivent à tout bout de champ:
« C’est une ‘cool girl’, et venant de la bouche des hommes, c’est un compliment n’est-ce pas ? Être une ‘cool girl’ revient à être une femme belle et drôle, une femme qui n’a rien contre le football, le poker, les blagues graveleuses et le fait de roter. La ‘cool girl’ joue aux jeux vidéos, boit de la bière premier prix, est OK avec les plans à 3 et le sexe anal et adore les burgers et les hot dogs […] Voilà ce qu’est la ‘cool girl’ : super hot et sans prise de tête. Les ‘cool girls’ ne s’énervent jamais, elles ne font que sourire malicieusement et laissent les hommes faire ce qu’ils veulent »
Ceci ne revient pas à faire un procès d’authenticité à Jennifer Lawrence (qui est probablement sincère, et donc effectivement « rafraîchissante », lorsqu’elle se montre intimidée par Jack Nicholson. Mais dans la mesure où être une femme « féminine mais je-m’en-foutiste » est aujourd’hui un faire valoir, on peut largement supposer que l’actrice est au moins consciente que raconter à chaque interview qu’elle a été » un garçon manqué » pendant toute son enfance est un atout charme de choc pour gagner en sympathie.
« Act like a dude but look like a supermodel », résume Buzzfeed. À quand la véritable émancipation de la femme, qui ne passera pas par un flegme labellisé « masculin »… mais par un flegme tout court ?
{"type":"Banniere-Basse"}