Alors que la nouvelle loi sur la prostitution, plus communément appelée « loi de pénalisation des clients » est en pleine navette parlementaire depuis le 4 décembre, les associations continuent leur travail de terrain et aident ces personnes à se réintégrer dans la société.
16h, un lundi à Belleville. Derrière la place Jean Rostand, elles sont toutes agglutinées devant un camping-car avec l’écriture « Intermède ». Devant, Fabrice Grimaud, acteur de terrain pour l’association L’Amicale du nid (ADN), s’improvise videur. Il envoie quelques hommes curieux regarder ailleurs. Fait rentrer les femmes par petits groupes, la place à l’intérieur est petite et chacune a droit à son café, à sa « pause ».
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A l’intérieur, Camille Damerval et Kouka Garcia s’activent en préparant les boissons chaudes et notent les prénoms des filles pour recenser le nombre de personnes vues lors d’une maraude. Ce qui déconcerte, c’est l’attroupement et le nombre de personnes présentes. « Elles savent qu’on vient le lundi à cette heure. Le fait de venir toujours le même jour à la même heure créée un certain lien de confiance », lâche Fabrice Grimaud entre une distribution de gel et de préservatifs et quelques mots bricolés en chinois.
« La prostitution est une addiction comme la drogue ou le tabac »
De jour comme de nuit, le bus de l’ADN va à la rencontre des prostituées. Il est un premier contact avec l’extérieur pour ces personnes. L’équipe rencontre en moyenne 400 prostituées par semaine. Son objectif premier est la prévention et la réduction des risques sanitaires et sociaux. Mais aussi informer, orienter, et proposer un accompagnement vers une réinsertion. A l’intérieur du bus une équipe de trois personnes. « Chaque fois, c’est une population différente vers laquelle on se tourne. Ici, à Belleville, les Chinoises ne se confient presque pas, aussi à cause de la barrière de la langue ». Les propos de Fabrice Grimaud sont rythmés par le va et vient incessant des « marcheuses » comme elles sont surnommés dans le quartier. Lors des autres rondes, la situation est différente, explique-t-il :
« Au Bois de Boulogne par exemple, on rencontre beaucoup de Roumaines ou de transsexuelles d’Amérique Latine ou du Maghreb, elles se confient plus facilement. On a vraiment le temps de bien expliquer le travail de l’association. Si leur souhait est de s’en sortir et d’arrêter la prostitution, on les aiguille alors vers un de nos centres et la machine s’enclenche. »
Postée sur le pas de la porte, Kouka Garcia regarde chaque femme pour se souvenir de leur prénom. Trente ans que cette Argentine arrivée en France à 27 ans s’active sur le terrain pour prêter main forte aux prostituées. Son regard sur la situation est lucide et sans concession : « Parfois, c’est très dur de s’en sortir. Quand on n’a jamais travaillé et que la situation de vie est si tragique, il est facile de retomber. » D’un air sévère, elle ajoute : « Il faut faire le deuil de la prostitution pour arrêter. La prostitution est une addiction comme la drogue ou le tabac. On parle d’addiction parce que c’est de l’argent rapide. Attention pas facile ! Mais comme avec la drogue, le résultat est immédiat. »
« Ici, on fait un travail de pré-insertion »
Plusieurs réussissent à se battre pour leurs papiers, l’hébergement et la recherche d’emploi, comme Aminata*. Assise depuis 9h ce mardi matin derrière une machine dans l’atelier de réinsertion de Colombe. Elle réapprend les codes du travail comme la vingtaine d’autres stagiaires du centre. Des machines de forage, d’agrafe, de découpage, de reliure, dans cet antre de l’imprimerie Jean-Marc Etienne, encadrant et responsable de la structure, valse d’un poste à l’autre pour s’assurer que tout se passe bien pour les stagiaires, répond au téléphone, écrit un devis, tout en indiquant à un client où se trouve sa commande. Tous les apprentis portent une blouse blanche. Chacun a sa place. L’atelier reçoit des subventions de l’Etat mais la production est autofinancée : « Leur salaire, soit 80% du Smic, ils le gagnent par leur travail », insiste le chef d’atelier.
Un peu plus loin, Nathalie G., éducatrice technique, s’exclame en direction d’une jeune femme appliquée à sa tache : « J’aime quand vous me souriez ». Natalie G. est la seule femme encadrante de la structure, elle endosse dès lors aussi le rôle de confidente. Elle est le premier contact des nouveaux arrivants. « Je leur montre leur casier, leur explique l’organisation. Être une femme facilite la création de lien. »
« Tu toisais tout le monde et ne parlais à personne »
« Quand elles arrivent la première fois ici, elles regardent souvent leurs chaussures, le visage se ferme et aucun son ne sort de leur bouche », explique Dominique Margossian alors qu’il découpe des piles d’affiches. « On essaye de détendre l’atmosphère en faisant des blagues, tout en étant exigeant sur le travail. Elles savent que personnes ne les juge. Peu à peu, la confiance s’installe », dit-il en continuant son geste mécaniquement. « Ici, on fait un travail de pré-insertion. On les prépare au monde du travail. »
Jazzy incarne l’exemple parfait. « Tu te souviens de ta première semaine ? Ton visage était fermé. Le regard méfiant, tu toisais tout le monde et ne parlais à personne », lui rappelle Nathalie G. Aujourd’hui, son rire est franc et elle parle ouvertement. De temps en temps, dans ses paroles on découvre des brins de son histoire. Arrivée le 20 janvier 2014, elle aimerait, une fois le stage en atelier terminé, s’occuper de personnes âgées. Rares sont ceux qui aimeraient poursuivre dans l’imprimerie. « J’ai une formation commerciale, alors j’aimerais bien travailler dans le secteur de la vente », confie Aminata. Ses lèvres sont voilées d’un gloss perlé et ses paupières légèrement maquillés derrière d’épaisses lunettes de vue. Un peu plus loin, Ahmed empile des prospectus. Ses yeux pétillent d’enthousiasme :
« Je sais pas encore exactement ce que je veux faire après. J’aime beaucoup la restauration… ou la coiffure ? » s’interroge-t-il d’une voix douce. « Tout ce que j’apprends ici, je le garde. Aussi bien les codes du travail que la langue française. »
En 2012, sur les 22 stagiaires de l’atelier, sept ont trouvé un emploi. Tous ne passent pas par la structure, certains cherchent directement un emploi avec l’aide de l’ ADN qui a des accords avec Pôle Emploi. Dans l’atelier, il n’est pas juste question de travail. Des cours de français ont lieu tous les jeudi après-midi. Les encadrants les aident aussi à rédiger CV et lettres de motivation. Mais surtout, les stagiaires recréent tout simplement entre eux un lien d’amitié. « Parfois, je passe un coup de fil pour savoir comment elles vont », raconte Jazzy. « On a toutes plus ou moins le même parcours, la même histoire. Alors entre nous, on préfère parler d’autre chose. »
Aminata est maman d’un petit garçon de six ans. A l’atelier elle trouve une atmosphère agréable de travail et des camarades. « On ne peut pas faire une croix, c’est en nous, c’est notre histoire. Alors maintenant, il faut se concentrer sur l’avenir », et d’un geste appliqué elle reprend sérieusement son travail.
Elena Fusco
* Tous les prénoms ont été changés pour respect de l’anonymat
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