Du 17 au 22 mars, au Quartz de Brest, avec ”Beyrouth, les lucioles” DañsFabrik fait la part belle à une nouvelle vague de créateurs libanais qui fait bouger les lignes, malgré la précarité de leur situation. Reportage au pays du cèdre.
Pour le projet Beyrouth-Les Lucioles, qui investira la scène du Quartz de Brest du 17 au 22 mars, la chorégraphe Yalda Younes a réuni danse, arts visuels et musique. Le terme même de “lucioles”, Yalda l’a emprunté à Georges Didi-Huberman (Survivance des lucioles, Minuit) qui, dans ses écrits, évoque “une communauté du désir, une communauté de lueurs émises, de danses malgré tout, de pensées à transmettre”.
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Dans le quartier de Gemmayzé, haut lieu culturel de la capitale libanaise, Yalda Younes explique son propos : “Didi-Humerman dit qu’à cause des projecteurs de la télévision commerciale et de l’industrie culturelle on ne voit plus les lucioles. Cela correspond au Liban. Beyrouth est traversé d’un contre-courant d’êtres qui cherchent et qui se retrouvent grâce aux lueurs qu’ils émettent.”
Chaque créateur, ici, a une histoire familiale en friche : celui venu d’ailleurs, celui dont les parents ont fui le pays pendant la guerre… La politique figure souvent au programme. “Notre histoire écrite s’arrête en 1943, dit Omar Abi Azar, du collectif Zoukak, créé en 2006. Etre ensemble, c’est un choix politique. Il est difficile d’être seul dans le contexte social, économique et politique du Liban.”
Zoukak occupe un appartement loin du centre de Beyrouth. Le salon, avec un parquet neuf, sert de lieu de répétitions ou parfois de représentations. Danya Hammoud, danseuse et chorégraphe, est membre de Zoukak. “Danya a posé son corps entre deux choses”, dit joliment Omar. A Brest, outre son Mahalli en solo, elle révélera une étape de la création de Mes mains sont plus âgées que moi. “Ici, nous sommes très doués pour nous anéantir, nous entretuer. On ne sait plus qui est la victime et qui est le bourreau, dit Danya. Avec cette pièce, je veux m’intéresser à cet instant juste avant de tuer. Les fractions de seconde qui précèdent le passage à l’acte.”
Vivre dans une ville comme Beyrouth, entre les traces du passé comme ces impacts de balles sur les immeubles à l’abandon, ou celles du présent comme ces affiches de martyrs sur les murs, rendrait-il schizophrène ? Danya Hammoud répond simplement : “Ce qui me fait peur, ce n’est pas de l’être un jour, mais plutôt de devenir un crocodile, comme on dit ici. Quelqu’un qui ne ressent plus rien.” Au détour d’une conversation, on apprendra ainsi qu’une partie de la population libanaise est accro au Prozac, qu’un pourcentage alarmant d’adolescents souffre de troubles psychologiques.
“Dans la région, tout ce peuple jeune regarde vers l’Europe ou les Etats-Unis comme la seule solution, le seul espoir. Nous, nous avons la chance de sortir du pays, d’avoir des visas”, ajoute Danya. Façon de dire qu’elle ne serait peut-être pas ce qu’elle est sans cet appel d’air. Quand il ne s’agit pas de l’instabilité, les artistes de “la marge”, comme les nomme Yalda Younes, se frottent à l’administration. “Je n’avais pas de sécurité sociale, alors je me suis adressé aux syndicats des artistes, raconte le chorégraphe Alexandre Paulikevitch. Je me suis entendu répondre que la danse, ce n’était pas un métier.”
Pour monter les spectacles à Beyrouth, le système D est un passage obligé. Alexandre a vendu sa voiture pour un projet. “Il n’y a pas de programmateurs, dit la chorégraphe Khouloud Yassine. On va voir les lieux et on paie tout, les répétitions, les techniciens. S’il y a suffisamment de spectateurs, on peut espérer se faire cinquante dollars !”
A DañsFabrik, Khouloud Yassine, cette belle nature, en plus d’être interprète pour Danya Hammoud, donnera Le Silence de l’abandon, un troublant face-à-face avec quelques spectateurs. Elle nous en donne un avant-goût dans une maison du quartier de Zoqaq el Blat, la Mansion, îlot de résistance dans une ville où tout est privatisable. Son propriétaire a accepté de la laisser quelque temps à des artistes. Un toit inespéré pour la création – mais pas toujours à l’abri des coupures de courant.
Cette nouvelle vague y échange idées et temps de création. Khouloud Yassine se produit dans Entre temps 2 avec son frère musicien, Khaled, également membre d’Alif Ensemble, attendu lui aussi en concert au Quartz. “Mon père ne sait pas trop ce que je fais. Quand il voit mes percussions et s’interroge, je lui dit que je fais des trucs”, lâche Khaled dans un éclat de rire.
On doit ici pour (sur)vivre de son art se démultiplier – organisateur de festival, professeur de danse… Et prendre des risques insensés. Ainsi, Alexandre Paulikevitch part du baladi, danse du ventre traditionnelle et millénaire réservée au sexe féminin, pour dénoncer la censure, l’homophobie ou les violences faites aux femmes. Au Liban, on ne peut se produire entièrement nu sur scène. L’homosexualité est réprimée. “A Brest, je pourrai tout enlever !”, reprend Paulikevitch. Sous l’apparente jovialité de ce danseur attachant se cachent des blessures plus profondes. “J’ai cessé d’être une victime, je suis désormais un combattant.”
Militant dans l’âme, il a initié il y a peu une première Laic Pride à Beyrouth avec Yalda Younes. Un affront dans un pays où la religion est omniprésente. “L’art prend la forme d’une résistance. Je prends ma place, celle qu’on me refuse, avec la danse. Ma liberté, je l’arrache”, scande Alexandre Paulikevitch. Le présent est une valeur refuge : “Je ne sais pas ce que je ferai dans trois ans !”, reconnaît-il. Dans le sillage de Yalda Younes, les lucioles sont autant d’étoiles filantes.
DañsFabrik du 17 au 22 mars au Quartz de Brest, www.lequartz.com, www.dansfrabrik.com
Tanya Traboulsi Home, exposition photo, du 17 mars au 24 avril
Danya Hammoud fera l’ouverture du festival June Events à la Cartoucherie de Vincennes
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