« House of Cards, saison 2 » : Frank est devenu vice-président, les cartes sont rebattues. La série préférée d’Obama connaît quelques faiblesses, compensées par sa plus grande réussite : le couple Underwood.
Le 13 février, à la veille de la mise en ligne de la saison 2 de House of Cards, Barack Obama a posté sur son compte Twitter un message priant ses followers de ne pas lui révéler d’éléments de l’intrigue – “No spoilers, please”, écrivait Mister President, tel un fan de base. Une manière pour l’homme qui avait inspiré une prédiction géniale des deux dernières saisons d’A la Maison Blanche (avec Matt Santos, un personnage basé sur Obama, la série d’Aaron Sorkin avait anticipé sa future élection dès 2006) de rendre une nouvelle fois leur dû aux séries télé, dont il a fait, avant même son arrivée au pouvoir, un élément de communication pop et moderne. On se souvient notamment de ce coffret DVD de Mad Men en évidence sur son bureau photographié pendant sa première campagne en 2007 et des multiples déclarations d’amour formulées à destination de Carrie Mathison, l’héroïne d’Homeland.
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Depuis l’année dernière, House of Cards a raflé le titre de série préférée du “leader du monde libre”. Mais pour envoyer quel message ? Si Barack Obama avoue se gaver en mode “binge watching” (comprendre : treize épisodes en un seul week-end) de ces aventures politiques un peu terrifiantes adaptées d’une série anglaise nineties par le jeune créateur de 38 ans Beau Willimon, ce n’est pas seulement pour se mettre au diapason d’une industrie télévisuelle en pleine mutation – aux étourdis, rappelons que House of Cards est produite et financée par le site de streaming par abonnement Netflix – mais aussi dans le but tacite de clarifier une situation : Obama prend du plaisir à regarder Frank Underwood (Kevin Spacey) parce qu’il n’est pas lui.
“Tous les politiciens sont des meurtriers«
Au vu de cette deuxième saison sèche et dure, c’est tant mieux. Dès le premier épisode, le plus féroce des “difficult men” (titre d’un livre du journaliste Brett Martin sur les nouveaux antihéros télévisuels) montre l’étendue de son potentiel machiavélique, voire ses tendances psychopathes déjà largement effleurées dans les treize épisodes précédents. En pleine montée de sève, Underwood est ravi comme un gosse de prêter serment en tant que nouveau vice-président des Etats-Unis, avant de s’occuper personnellement d’un cas gênant pour son avenir politique. “Tous les politiciens sont des meurtriers – ou en tout cas, ils doivent se préparer à l’être”, a expliqué le scénariste principal de la série au journal anglais The Telegraph (il évoquait notamment le fait d’envoyer des soldats à la guerre). Une déclaration pas si extrême qu’elle en a l’air et qui, en tout état de cause, place le curseur de la série de manière limpide.
Derrière une inspection des moeurs de Washington et donc du système politique US contemporain, une fiction d’essence métaphorique et intemporelle se déploie. L’ambition shakespearienne (allô, Richard III), dont Beau Willimon n’a jamais fait mystère, apparaît toujours une ligne de conduite claire. Entre ici, tragédie. Mais est-ce toujours suffisant ? Si cette nouvelle saison de House of Cards possède quelque chose en moins par rapport à la première, il s’agit de l’effet de surprise. On ne s’étonne plus des manigances douteuses de Frank Underwood, du plaisir qu’il prend à éliminer quiconque se place en travers de son chemin, de son assurance carnassière. Quand, pour la énième fois, le boss nous prend à témoin en regardant la caméra, l’effet perd de sa puissance et se transforme en gimmick. Même si les séries adorent les gimmicks, cela peut devenir lassant. Kevin Spacey a beau glisser comme un chat dans les couloirs de la Maison Blanche, jouer à merveille la séduction noire de son double fictionnel, ses actions deviennent un peu mécaniques. A certains moments, cette deuxième saison ronronne, comme si l’ascension irrésistible de ce type du Sud devenu cacique ne faisait plus débat : elle survient et c’est tout.
L’enjeu se situerait ailleurs ? Beau Willimon, le showrunner, semble le penser, comme il l’a raconté dans une interview au site The Daily Beast : “Notre approche de la politique, c’est de la considérer comme du jazz : une suite de réactions et de réponses à l’inattendu. Frank a un plan. Il veut continuer à gravir la montagne. Mais il ne sait pas toujours comment arriver en haut. Parfois il a une stratégie sur le court terme et elle déraille, il doit alors s’adapter et en trouver une nouvelle. Parfois, il fait confiance à son instinct.” En résumé, on nous demande de regarder Frank Underwood comme un musicien, un soliste d’exception. La prévisibilité de sa trajectoire serait rendue acceptable par son talent pour gérer l’inattendu. L’argument est recevable… jusqu’à un certain point. Dans ses moins bons moments (plus nombreux ici que dans la saison inaugurale), House of Cards paie la faiblesse de l’opposition à son héros et la banalité des obstacles imaginés pour lui barrer la route. A trop vouloir jouer avec les clichés du genre qu’elle travaille au corps (la solitude du pouvoir, les liens entre sexe et puissance politique, les relations avec les médias, etc.), la série finit par les toucher du doigt et ils deviennent difficiles à décoller. On pense à l’inénarrable et pour tout dire un peu fade Raymond Tusk, adversaire principal d’Underwood. On pense à certaines sous-intrigues totalement à côté de la plaque, comme celle qui met en jeu Freddy, le patron de restaurant dont il est proche. On pense au hacker simili-Edward Snowden pas vraiment finaud.
Le couple Underwood, une réussite flamboyante
Même s’il sait constamment retomber sur ses pieds et éviter la catastrophe, Willimon peine à créer un monde toujours ample et ambigu. On pourrait, comme une roue de secours, aimer Frank en raison de son orientation politique, trembler pour le destin des lois qu’il soutient. Mais la série oblitère volontairement toute idéologie – Underwood est démocrate mais rien ne l’accrédite – et reste, à l’image de son époque, profondément allergique à l’idéalisme. Willimon, encore : “Certains pensent que nous parlons uniquement de politique, mais le sujet de House of Cards, c’est le pouvoir. La politique n’est qu’un sous-ensemble du pouvoir. Nous faisons l’expérience du pouvoir tous les jours, d’un million de façons différentes, dans nos vies personnelles.” Nos vies personnelles. Voici la raison pour laquelle, malgré ses scories de plus en plus évidentes, ce grand vaisseau narratif continue à valoir le voyage. Comme toute série un tant soit peu réfléchie, House of Cards profite du temps qui passe et de la familiarité installée des deux côtés de l’écran pour mettre son socle en valeur. Et ce socle, c’est l’intimité, représentée ici par la relation entre Frank et Claire Underwood. Les grands moments ne manquent pas qui éclairent leur danse unique, comme le quatrième épisode, où la fascinante mante immobile interprétée par Robin Wright improvise une confession télévisée bouleversante sur son passé, ou le magistral dernier mouvement de l’épisode onze, délicat lacis de sentiments, d’affects, de chaleurs, l’un de ces moments où plus rien ne semble forcé : les scènes tombent sur le corps du récit comme un vêtement parfait sur la silhouette d’un modèle.
En tant que série sur le couple, House of Cards s’avère une réussite flamboyante – et le reste pourrait n’être qu’un mal nécessaire. Durant cette saison, le motif ne se limite pas aux deux héros. Il y a aussi le Président et la première dame, puis deux personnages influents des arcanes de Washington, et enfin Rachel, call-girl dans la saison 1 et amoureuse éperdue ici. Mais l’incroyable duo formé par Frank et Claire capte toute la lumière. Chaque épisode prend le temps de les observer, tels deux fauves dont on ne comprend pas tout de suite les codes. Le plan d’elle et lui fumant à la fenêtre, se respirant sans vraiment se toucher, est devenu un emblème de leur amour fou et étrange. De manière très fine, la série montre comment l’un anticipe sur les désirs et les gestes de l’autre, à quel point cette attention s’apparente à la fois à une prison et à une protection. Dans le monde sans amour décrit par House of Cards, ces deux-là nous sauvent du chaos. Même si d’une certaine manière, ils le provoquent.
House of Cards saison 2, à partir du 13 mars, 20 h 55, Canal+
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