De passage à Paris, Seun Kuti présentera samedi son nouvel album, à l’Embarcadère d’Aubervilliers, dans le cadre du festival Banlieues Bleues. L’occasion de partager un petit déjeuner avec un jeune homme magnétique, intarissable dénonciateur des maux infligés à l’Afrique, dont la foi se résume en un mot : afrobeat.
Quel était ton état d’esprit pendant l’enregistrement de l’album ?
Il s’appelle A Long Way To The Beginning parce que j’ai eu le sentiment que l’afrobeat n’en était qu’à ses débuts. Les gens sont fatigués d’entendre toujours le même bang-bang-bang, ils veulent revenir au son puissant des débuts. Ceux qui parlent de moderniser la musique veulent en fait la commercialiser, et je n’ai rien à voir avec ça. La musique est toujours neuve et excitante.
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Comment est née la chanson IMF ?
Je me suis rappelé que Fela avait l’habitude d’appeler les Nations Unies l’Absurdité Inutile (ndlr : jeu de mots sur les initiales U.N., United Nations devenant Useless Nonsense). En pensant aux mesures d’austérité imposées par le FMI en Afrique et maintenant en Europe, en voyant que les riches faisaient payer l’homme ordinaire pour leurs erreurs, je me suis dit : ils nous baisent, ce sont des enculés internationaux (International MotherFuckers). Dès que j’ai eu ce déclic, j’ai cherché un bon fluide funky et je me suis lancé à fond dans la chanson.
Dans African Airways, tu uses d’un ton très sarcastique. Quel est le sens de cette parodie ?
En Afrique, nous n’avons aucun contrôle sur notre propre destinée. C’est comme être dans un avion : le pilote est un gouvernement occidental, il a de stupides copilotes noirs qui sont censés gérer l’Afrique mais agissent en marionnettes, et bien sûr on a les flics et l’armée pour dire aux passagers : asseyez-vous, attachez vos ceintures etc. L’Afrique est tellement endettée que le nom du vol est AA I O U : African Airways I Owe You (ndlr : “Je Te Dois”)… Partout dans le monde, les gouvernements ne représentent pas le peuple, seulement le fric. Les multinationales que supportent vos gouvernements sont des entreprises occidentales, celles que supportent les nôtres le sont également. Le jeu ne se joue donc pas entre Africains et Européens ou musulmans et chrétiens, mais entre le peuple et les grandes sociétés.
Dans Higher Consciousness, tu parais regretter qu’il n’y ait plus de grands leaders noirs pour protéger le peuple de la religion.
La religion est un gros problème au Nigeria. Les gouvernants en ont besoin pour garder les gens dociles. Les pasteurs leur inculquent que s’ils sont pauvres, c’est parce qu’ils ont péché, et ils leur disent de prier pour aller au paradis, tandis qu’eux volent en jets privés ! Martin Luther King utilisait sa foi pour favoriser l’émergence des droits civiques. Les politiciens et leaders religieux africains, eux, ne cultivent que leur avidité. Les gens doivent réaliser qu’on ne leur permet pas de se hisser au-dessus du matérialisme et des violences qu’ils se font à eux-mêmes. Avoir une conscience plus élevée signifie être ce que nous sommes, pas ce qu’on nous a appris à être.
Vivre dans un pays où il y a tant de tensions te contraint-il à assurer toi-même ta sécurité ?
Je vis ma vie sans me soucier de ce qu’il peut arriver en chemin. Si je dois mourir, c’est ok. Je possède un flingue, mais je n’ai jamais tiré sur personne. Il faut savoir qu’au Nigeria, il n’y a pas de lignes d’urgence pour la police. Si elle vient, ce sera toujours une ou deux heures après l’appel.
L’afrobeat est une musique très complexe. Comment composes-tu ?
J’écris toutes les chansons, mais pas sur des partitions, dans notre culture, nous n’en avons pas besoin. On met d’abord la section rythmique en place pour être tous ensemble, puis les cuivres par-dessus et enfin les voix. La batterie est particulièrement importante. On utilise de nombreuses figures (patterns) parce que c’est une musique polyrythmique.
En as-tu parfois assez qu’on te parle toujours de Fela et de sa légende, le rebelle avec plein de femmes aux bras etc. ?
Ah ça, il y avait beaucoup de femmes à la maison ! (rires) Mais j’ai eu de la chance d’avoir Fela comme père. Il n’agissait jamais comme une célébrité. Il était pareil avec tout le monde, direct, naturel. Cela m’a aidé à embrasser mon individualité. Parfois je ne suis que le fils de Fela, parfois cela conforte mon style de vie. L’accepter me permet d’accorder moins d’importance à la focalisation faite sur lui. C’est aussi pour cette raison que l’album s’appelle A Long Way To The Beginning. C’est notre troisième disque, mais le premier où nous incarnons notre propre force au lieu de n’être que le groupe de Fela. Pour nous aussi, c’est le début.
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