Pur altruisme ou investissement intéressé, le projet de Mark Zuckerberg de “connecter le monde entier” à internet grâce à des drones soulève des interrogations sur ses véritables intentions.
On ne peut pas avoir 500 millions d’amis sans se faire quelques ennemis », pouvait-on lire, en 2010, sur l’affiche de The Social Network. Le film, qui retrace les débuts de Facebook et la vie de son créateur Mark Zuckerberg, ne s’y est pas trompé. Le multimilliardaire a beau enchaîner les donations et les galas de bienfaisance, il reste pour beaucoup ce jeune homme taciturne, agressif et égoïste incarné par Jesse Eisenberg. Ne serait-il qu’un éternel incompris ? Chaque déclaration publique du cocréateur de Facebook est généralement suivie d’une pluie de commentaires négatifs qui mettent en doute son désintéressement. Son dernier projet en date : investir dans des drones pour apporter une connexion internet aux « 5 milliards » de personnes qui n’y ont pas encore accès.
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Cette initiative s’inscrit dans un plan plus large, intitulé Internet.org, qu’a lancé Mark Zuckerberg en août 2013. Aux côtés d’autres entreprises (Ericsson, MediaTek, Nokia, Opera, Qualcomm et Samsung), Facebook serait prêt à investir des milliards par pur altruisme, dans le développement de connexions internet mais aussi de smartphones à bas prix, qui nécessiteraient moins d’énergie pour fonctionner.
Une philanthropie sur laquelle Zuckerberg insiste, se défendant de toute opération financière :
« Bien sûr, nous cherchons à connecter plus de personnes, donc théoriquement nous en bénéficierons (…) Mais cette critique est un peu absurde. Les milliards d’individus qui sont déjà sur Facebook disposent de beaucoup plus d’argent que l’ensemble des prochains cinq milliards. Si nous ne pensions qu’à l’argent, la meilleure stratégie serait de nous développer uniquement sur les marchés existants. »
Comprenez : les annonceurs auraient peu intérêt à investir dans des publicités ciblées vers ce nouveau public si celui-ci est trop pauvre pour consommer. Sauf que la croissance des pays émergents et l’augmentation du pouvoir d’achat de leur population est telle qu’il est difficile de croire que ces nouveaux consommateurs n’intéresseront personne.
Facebook vs Google
D’autant plus qu’un autre acteur est déjà sur le marché, et pas des moindres. En juin 2013, Google lançait le projet Loon, qui repose sur l’envoi d’immenses ballons gonflables ornés de panneaux solaires dans les airs, capables de fournir une connexion internet digne de la 3G aux pays en développement. Un sérieux concurrent qui affiche clairement son ambition de devenir le premier fournisseur d’accès à internet dans les zones qui ne sont pas encore desservies.
Pour Lucie Ronfaut, journaliste spécialisée en high-tech au Figaro, la stratégie de Zuckerberg va bien au-delà des enjeux concurrentiels et des batailles financières : « De l’argent, il en a, il n’en a plus besoin. Il essaie de s’inscrire dans la tradition philanthrope de Bill Gates. Ce qu’il fait est cohérent avec l’image altruiste que Facebook veut promouvoir. »
Sauf que Bill Gates lui-même s’est montré plus que critique envers le projet Internet.org. « C’est une blague, a-t-il récemment déclaré, ils pensent sincèrement que Facebook sera la panacée pour tous les problèmes du monde. Ce n’est pas du cynisme, c’est de l’arrogance et de l’ignorance (…). Qu’est-ce qui est plus important, la connectivité ou un vaccin contre la malaria ? » Une provocation surprenante de la part de celui que Zuckerberg considère comme son modèle, qu’il a d’ailleurs largement dépassé en termes de donations en 2013 (970 millions pour le cocréateur de Facebook contre 181 millions pour celui de Microsoft, qui se consacre par ailleurs à sa propre fondation).
Comme il a tenté de rattraper son retard sur le marché du mobile en achetant l’application de messagerie WhatsApp, Zuckerberg investit dans les pays en développement pour être sûr que Facebook sera inévitable, partout dans le monde. « En Inde, 35 millions de personnes utilisent WhatsApp. Bientôt, en France, nous n’enverrons plus non plus de SMS », insiste Lucie Ronfaut. Facebook l’a compris : il faut être partout, tout le temps.
Facebook serait délaissé par les jeunes Occidentaux pour les plus « modernes » Instagram et autres Snapchat ? Zuckerberg n’en a que faire. « L’électricité aussi, c’était cool au début. Et puis, les gens ont arrêté d’en parler parce que ce n’était plus le nouveau truc à la mode », a souligné le multimilliardaire de 29 ans en septembre dernier. « La vraie question que l’on doit se poser à ce point est : les gens éteignent-ils leur lumière, parce que c’est moins cool qu’avant ? » Modestie mise à part, la réponse est non. Facebook – qui a récemment fêté ses 10 ans – fait aujourd’hui partie intégrante du monde moderne. Son cocréateur ne cherche peut-être pas à investir dans les pays en développement pour un profit financier, mais son envie d’être le meneur du « monde moderne postcool » n’est pas tout à fait altruiste non plus.
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