Jusqu’au 20 août, retrouvez un épisode marquant des années 90. Cette semaine, les nuits blanches passées devant la chaîne musicale.
« A l’époque, on était vraiment très peu en France à avoir le câble alors entre ceux qui regardaient MTV, il y avait un phénomène de tribu… » La phrase a été prononcée il y a dix ans, dans le film Clean d’Olivier Assayas. La personne qui la prononce le fait devant Maggie Cheung, dont le personnage est une ancienne VJ sur MTV. Et la période décrite, ce moment où les spectateurs français de MTV formaient une « tribu », un club, une société secrète, c’est le tout début des années 90, époque où, en effet, regarder du matin au matin MTV (nuit blanche comprise) constituait un mode de vie enivrant et magique.
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MTV apparaît sur les écrans français en 1988. Ce qu’on peut voir à l’époque sur le câble français n’est pas tout à fait la chaîne mère, américaine, née sept ans plus tôt. C’est un MTV Europe, basé pour l’essentiel à Londres, où de jeunes gens excentriques s’expriment en anglais 24h/24 (et dès que naîtra un MTV France, en 2000, avec ses animateurs francophones, qui disent « trop pas » ou « grave » entre chaque clip, quelque chose du charme dépaysant sera définitivement rompu). Sa beauté consistait aussi à être un tronc unique, pas encore atomisé en un archipel de chaînes spécialisées (MTV2 pour le rock indé, MTV Idol pour la pop vintage, MTV Hits pour le mainstream…). Tout tenait ensemble : Björk parcourait les forêts enchantées de Michel Gondry (Human Behaviour) juste avant de céder la place à un bon gros tube d’eurodance (What Is Love d’Haddaway, Sing Hallelujah de Dr. Alban).
Et les premiers Ace of Base (All That She Wants…) se glissaient entre les riffs des Stone Temple Pilots et les langoureux plans-séquences de Massive Attack. Tout cela constituait un monde, une faune, avec des espèces très diversifiées, mais trempant toutes dans le même bocal. Et c’était magnifique.
Il y avait aussi l’invention graphique, ces chapelets de jingles merveilleux, miniatures animées multicolores. Et les animateurs bien sûr : Ray Cokes, sosie cockney de Dechavanne, tellement speed qu’on aurait juré apercevoir quelques traces blanches sur le bout de son nez ; ou encore Paul King, le dandy au mulet brun, grandiose dans ses costumes Paul Smith à rayures bigarrées.
Mais surtout ce qu’on aimait dans MTV, c’était les stases. Alors qu’on associe volontiers au vocabulaire visuel de la chaîne l’accélération ou le surdécoupage, certains programmes sidéraient au contraire par leur façon de suspendre le temps dans des nappes de pure contemplation : Real World, l’un des prototypes de la téléréalité, où on bullait des heures dans des canapés avec des branleurs grungy à cheveux longs et chemises à carreaux ; l’extraordinaire The Grind, où pendant vingt-deux minutes on matait des dizaines de bimbos et de surfeurs qui se déhanchaient sur des terrasses aux rythmes de tubes genre « I like to move it, move it ».
Le temps semblait suspendu. Et pourtant la jeunesse passait.
Jean-Marc Lalanne
Summer of the 90’s jusqu’au 24 août, tous les samedis et dimanches soir, Arte. Machine à tubes – Quand MTV révolutionna la musique de Laurent Tessier et Thierry Teston, le 3 août, 22 h 25
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