Miracle de son nouvel album, « World Peace Is None of Your Business » : on n’attendait plus Morrissey à ce niveau d’excellence. La joie.
Qu’on nous pardonne : ça faisait des années que l’on traitait les albums de Morrissey avec distance, ennui, désinvolture – on s’est longuement absenté. Mais on avait une bonne excuse : Morrissey lui-même les traitait de la sorte. Même son autobiographie sortie l’an passé ne parvenait que par feux de brindilles à raviver la flamme sacrée, quand il préférait avec drôlerie et mélancolie évoquer son enfance et Manchester plutôt que de lapider musiciens, labels et juges avec mesquinerie, constance et inquiétante parano.
Car même en solo (les Smiths sont très largement hors compétition), il y eut flamme sacrée avant sacrée flemme – on pense à ses albums Vauxhall and I ou Viva Hate. Et ça tombe bien, car c’est dans cette Premiere League que se joue ce nouvel album inespéré, offrant avec le colossal I’m Not a Man (son Meat Is Murder du XXIe siècle), Kick the Bride down the Aisle ou Staircase at the University quelques-unes de ses chansons les plus soufflantes, où son groupe décadenassé est condamné à l’excellence par une production rogue et rock toujours haletante.
Malgré quelques arrangements, excentriques au mieux (la touche française d’accordéon, la guitare flamenco sur le procès de la corrida, des rimes à la Dutronc comme “gaga in Malaga”…), c’est même par l’inventivité imprévisible des mélodies qui orgasment en cascades, par la richesse et la profusion de sons inédits dans ce monde souvent autarcique que World Peace Is None of Your Business réjouit, enchante, surexcite. Impression d’enfin entendre Morrissey sortir de ses gonds, de ses routines, de ses facilités (les chansons à trois vers en boucles, indignes), de sa carrière trop safe d’entertainer pour parias du monde unis – peut-être quelques flirts récents avec la maladie, voire la mort l’ont-ils poussé à ce surpassement.
Et il y a surtout sa voix : Morrissey n’a jamais aussi bien chanté, avec une aisance, une jubilation de crooner glam, que sur ces chansons nerveuses, soupe au lait, sur lesquelles il rebondit, ricoche, se débat, enfin défié plutôt que déifié.