Le triomphe du Front national ne l’a pas surpris lui. Voilà maintenant 25 ans que Michel Guiniot forme méthodiquement les candidats frontistes à appâter les électeurs. Son credo : l’empathie avec les “petites gens opprimées”.
“Nous allons bâtir une machine de guerre électorale : rien ne se fait sans autorité en démocratie. » Les mots de Louis Aliot résonnent dans la salle de conférence du Front national. Face au numéro 2 du parti, une vingtaine de candidats venus de Moselle, de Haute-Marne ou de Charente l’écoutent dans un silence quasi monacal. Nous sommes samedi matin, début décembre au siège du parti à Nanterre, et l’atelier formation du FN est sur le point de commencer.
“Il faut être vigilant sur les réseaux sociaux, continue Louis Aliot, en charge de la formation. Ça va de Taubira avec la banane à cette candidate qui poste un article sur la masturbation sur Facebook. Parfois, on se fait plaisir mais ça affecte tout le mouvement. »
En retrait, Michel Guiniot sourit. Le Monsieur formation du FN attend la fin de ce discours musclé. Il observe l’assemblée de candidats en herbe arborant costumes-cravates et mises en pli. Assis autour d’une table en U, ces nouveaux frontistes osent à peine jeter un œil à l’épais classeur siglé Campus Bleu Marine, truffé de centaines de fiches pratiques concoctées par Guiniot. “Soyez irréprochables, c’est dans l’intérêt du parti et de la France”, conclut Aliot avant de claquer la porte.
« La politique, c’est comme le vélo, ça s’apprend”
L’homme de l’ombre entre alors en scène. Bonhomme, il s’avance au centre de l’assemblée, un large sourire lui barrant le visage. “Bienvenue à notre formation de VRP, se marre Michel Guiniot. Ne vous inquiétez pas si vous ne savez rien. La politique c’est comme le vélo, ça s’apprend. »
Directeur de campagne pour les communes de moins de 1000 habitants, Guiniot compte 25 ans de boutique frontiste. Tête de liste à Noyon dans l’Oise, il a réussi, comme en 2001 et en 2008, à se hisser au second tour. Il talonne le PS et l’UMP avec un score de 28,32% des voix (l’UMP obtient 33,84% et le PS 37,84%) – soit 12 points de plus qu’en 2008. Il faut dire que Noyon aime le Front. En 1995, la ville de 13 500 habitants avait failli élire Pierre Descaves, fort de 48,13% des voix au second tour. Guiniot entretient la flamme.
Et ce n’est pas son seul fait d’armes. Outre le maintien du bastion picard dans l’escarcelle Le Pen, on lui doit le bon score du FN aux cantonales de 2008, la remontée “miraculeuse” du FN en Bretagne dès 2011… Lui encore, qui, appelé en dernier recours, a su trouver les 500 signatures dont avait besoin Marine Le Pen pour la présidentielle, lui servant même son meilleur score (25,03% en Picardie, sur les talons de Sarkozy à 25,06% et de Hollande à 26,59%). Plus récemment, c’est sa coupe en brosse et ses lunettes carrées qui sont apparues aux côtés des candidats néophytes qui ont mis en déroute l’UMP et le PS aux législatives partielles de l’Oise et de Villeneuve-sur-Lot en 2012 et 2013.
Pour la cuvée municipales 2014, Michel Guiniot a animé des formations à Nanterre, ainsi qu’à Perpignan, Vitry, Reims ou Dreux, accumulant les “galettes des rois” jusque fin février. Un gros travail de labour dont il escompte aussi les effets pour les européennes, les sénatoriales, les régionales, et évidemment, la présidentielle de 2017.
“Je n’ai pas passé un seul week-end chez moi depuis janvier 2013, se marre-t-il devant le parterre de frontistes. On va réussir le grand chelem : on a déjà des résultats exceptionnels, et le feuilleton façon Dallas qu’offrent l’UMP et le PS nous donnent la meilleure fenêtre de tir possible. »
Sa plus grande force : son contact avec les gens
Pour réussir, cet ancien commerçant a une recette bien à lui. Bien sûr, il renvoie vers les nombreuses fiches du classeur Campus Bleu Marine et de la plateforme web du FN pour bien maîtriser l’aspect technique de l’élection : calendrier, constitution des listes, contestation de votes truqués… “Les scrutins ne supportent pas l’à peu près. » Il donne aussi quelques ficelles pour attiser la colère contre le gouvernement (“nationalisez les enjeux locaux”, “ciblez les retraités et les classes populaires”, “défendez toujours les thèmes de la ruralité et du terroir”). Mais sa plus grande force, c’est son contact avec les gens.
“Hier encore, je me suis couché à 3h du matin après avoir bu des canons avec les gars du coin !, rigole-t-il avec sa gouaille commerçante. Il ne faut pas se couper du peuple. Rien ne remplacera jamais la poignée de main, le bistro d’à côté, le coup de téléphone. Il faut parler avec son cœur et ses tripes. Vivre avec les gens là où ils vivent, comprendre leur souffrance où elle est : dans les hôpitaux, les quartiers difficiles…”
“Michel Guiniot fait un travail largement sous-estimé, estime le politologue Jean-Yves Camus. Ça fait 25 ans qu’il maille son territoire en pointant les problématiques de transport et d’habitat de la petite ville éloignée du centre. Il a compris avant les autres que ses électeurs habitent les zones rurales sans être eux-mêmes ruraux : ce sont des ouvriers et des petits employés qui dépendent tous de l’usine du coin. »
“Guiniot, c’est le notable intelligent capable de rassembler des gens de gauche et la lie des racistes »
Le Picard est entré “en religion” dans les années 1980, agacé par les tentatives de racket – ce “sport local” – dont son fils faisait l’objet. “J’aurais pu être communiste, finalement ça a été le Front”, dit-il en plaidant son côté souverainiste, et, encore une fois, son amour des “petites gens opprimées”. “L’électorat frontiste est celui qui s’abstient le plus parce que c’est le plus dégoûté de ne pas être représenté. Il ne faut jamais laisser les gens seuls, nous sommes une grande famille. » Si grande que Guiniot a même réussi à rallier sur sa liste FN l’ex-communiste Claude Sadin, dissident de la majorité sortante.
“Guiniot, c’est le notable intelligent capable de rassembler des gens de gauche et la lie des racistes réactionnaires, et faire en sorte que cette drôle de coalition tienne, note une observatrice politique. L’ennui, c’est qu’il doit composer avec des bras cassés : les frontistes de l’Oise sont loin d’être malins.”
Il n’y a qu’à se souvenir de la législative partielle dans l’Oise en 2012, lorsque Florence Italiani, candidate FN à Beauvais, a failli éjecter l’UMP locale : l’enseignante à la retraite n’a quasiment pas prononcé un mot devant les caméras sans que Michel Guiniot n’intervienne.
“Mon rôle parfois c’est de tenir la main des candidats : on ne peut pas tous être un Juppé ou un Sarkozy devant la caméra ! », se justifie-t-il. Les gens qui sortent des grandes écoles et qui travaillent dans les collectivités territoriales, est-ce que c’est une réussite ? Quand vous savez compter l’argent qui ne vous appartient pas, c’est déjà bien. Les élus ne sont là que pour donner l’impulsion. » Comme à Toulon, Marignane ou Vitrolles, où les maires frontistes ont enchaîné les scandales ? “Quand ces élus ont fauté, ils n’étaient déjà plus au FN, se défend le Picard. Les brebis galeuses, on les a virées ! Si on devait lister tous les gens de l’UMP et du PS qui ont eu des ennuis judiciaires, y’aurait de quoi faire des annales. »
Au lendemain du premier tour, Michel Guiniot est satisfait. Sur les 11 listes montées par le FN dans l’Oise, 10 obtiennent plus de 10% des voix, et 7 passent au second tour avec des scores oscillant entre 14,85% à Crépy-en-Valois et 35,81% à Troissereux. Après la difficile constitution des listes cet hiver, où Guiniot et son fils Ludovic ont arpenté les circonscriptions pour recruter jusqu’à parfois plusieurs membres de la même famille, les résultats dans l’Oise rassure. Comme il le disait avec superbe lors du meeting de janvier du FN de l’Oise à Clermont : “Ils nous ont pris nos droits pour les donner à d’autres ! Faites adhérer votre famille, votre belle-mère, votre maîtresse : ensemble, nous emmènerons Marine à l’Elysée !”