Avec l’autobiographique En route pour la gloire, Woody Guthrie signait en 1943 l’un des plus beaux romans de l’Amérique aux semelles de vent.
Il vient du pays des grands vents. Des ouragans de poussière, des bourrasques de l’économie et des tempêtes sous un crâne – durant son enfance, les boom towns du Texas et de son Oklahoma natal se transforment du jour au lendemain en cités fantômes, un cyclone fait s’envoler le toit de la maison familiale et sa mère met le feu à la suivante, puis échoue à l’asile. Etre très tôt confronté à l’impermanence des choses peut déterminer une vocation d’écrivain. Songwriter, poète et romancier, Woody Guthrie prêtera toujours sa plume aux tornades ; pour Bob Dylan, qui s’y connaît un peu en décollages poétiques, le légendaire folk-singer « écrit comme le vent tourbillonne et le son de sa langue est un voyage à lui tout seul ».
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L’Amérique nomade
Ce voyage, c’est celui auquel invite En route pour la gloire, le livre qui incita Dylan à larguer les amarres – « ouvrez n’importe quelle page, et il court sous vos yeux… » Publié en 1943, cet ouvrage autobiographique reste aujourd’hui l’un des romans majeurs de l’Amérique nomade, celle des trimardeurs, des passagers sans billet et des chasseurs de mirages. Des chasseurs dont fait partie Guthrie : endurci par les tragédies familiales puis confronté aux expériences du froid, de la faim et de l’ostracisme, il parviendra à conquérir les stations de radio des années 40, puis à faire de ses saisons d’errance une inoubliable épopée populaire.
Soif de mouvement et désir d’ailleurs
A l’écoute d’un peuple de rêveurs, le hobo à guitare découvre un trésor de parler vernaculaire. S’y expriment la soif de mouvement, le désir d’ailleurs et l’esprit de résistance d’immigrés de l’intérieur, qu’expulsent ou emprisonnent les polices de la grande dépression et qu’exploitent les propriétaires agricoles.
Nulle trace pourtant chez Guthrie de posture victimaire : c’est à sa fièvre narrative, à son lyrismerugueux et à son humour grinçant qu’un livre au titre ironique – Bound for Glory est le refrain d’un chant entonné par des va-nupieds – doit de capturer l’âme d’une Amérique déshéritée. Et de rivaliser de vigueur avec les poètes de l’itinérance, John Steinbeck, Nelson Algren et Jack Kerouac.
Bruno Juffin
En route pour la gloire (Albin Michel), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Jacques Vassal, 416 p., 22,90 €
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