À la fois dense et fluide, cette adaptation du chef d’œuvre de Rainer Werner Fassbinder est menée avec brio par des acteurs impeccables dont la merveilleuse Ursina Lardi dans le rôle de Maria
« Heil. » Répété en voix-off, le mot s’étire peu à peu en un soupir languissant. Cette tonalité sensuelle teintée d’érotisme clôt la lecture de lettres adressées par des femmes amoureuses à Adolphe Hitler. C’est avec ces témoignages troublants, révélateurs de la fascination exercée par le Führer jusque dans le cœur des Allemandes, que Thomas Ostermeier ouvre son adaptation du Mariage de Maria Braun, d’après le scénario de Fassbinder. Le soupir est bientôt couvert par le bruit des bombardiers apparus à l’écran en fond de scène. En quelques traits, un contexte est esquissé. La défaite proche. Les décombres. Un pays à reconstruire. Quand Maria épouse Hermann Braun, les bombes pleuvent encore sur l’Allemagne. Hermann parti au front est donné pour mort. À l’avant-scène, Ursina Lardi qui interprète Maria porte un écriteau en carton avec cette phrase : « Wer Kennt Hermann Braun« .
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Elle est la seule actrice du spectacle. Les autres rôles aussi bien féminins que masculins sont assumés par quatre acteurs qui ne cessent de se transformer, changeant régulièrement de costume ou se mettant une perruque. Ces transformations intempestives permettent des transitions rapides, pour ne pas dire des raccourcis. Conscient de travailler à partir d’un scénario de film, Ostermeier ne rivalise pas avec la caméra, mais invente une écriture scénique entre montage et tuilage redoutablement efficace. L’effet est d’autant plus juste que Maria doit aller vite si elle veut s’en sortir. Dans une certaine mesure on peut dire qu’elle a toujours un temps d’avance. Et il est assez intéressant de voir comment un metteur en scène qui s’est déjà penché sur plusieurs héroïnes d’Ibsen, comme la Nora de Maison de poupée ou Hedda dans Hedda Gabbler, met en lumière la personnalité de Maria.
L’éclosion d’une Allemagne nouvelle
Celle-ci est en effet une « Trümmerfrau », mot qui désigne en allemand les femmes des décombres ayant participé activement à remettre le pays sur pied après la guerre. Comme elle le dit elle-même Maria s’y « connaît en avenir ». À travers elle, c’est à l’éclosion d’une Allemagne nouvelle que l’on assiste, entre démilitarisation et miracle économique. Maria ne demande pas, elle prend. L’esprit toujours en alerte, elle ne cesse de s’éveiller au monde en mutation qui l’entoure. On pourrait presque parler à son sujet de roman d’apprentissage en accéléré. La façon dont elle dit à Oswald, à la fois son employeur et son amant, que c’est elle qui a une aventure avec lui et non l’inverse est significative de sa volonté d’avoir toujours l’initiative. D’ailleurs, elle a aussi pour amant un syndicaliste. De même qu’elle n’oublie jamais de visiter Hermann en prison pour le meurtre – non prémédité – qu’ils ont commis ensemble d’un soldat américain à la fin de la guerre.
Installant le spectacle dans un espace ouvert, sorte de salon d’hôtel ou de hall meublé de fauteuils dans le style des années 1950, Thomas Ostermeier, traduit cette réalité en perpétuelle mutation de l’aube des Trente Glorieuses par une invention incessante où l’on fait flèche de tout bois. Quatre fauteuils suffisent à créer un compartiment de train ou l’intérieur d’une voiture, par exemple. Une table basse devient table de restaurant. Cette même table sur laquelle Oswald s’effondre comme au ralenti foudroyé par une attaque. Le sens du raccourci géré avec une économie de moyens particulièrement efficace donne à l’ensemble une densité fluide qui va en s’intensifiant. Femme libérée dans un monde dominé par les hommes, Maria croit avoir la situation en main. Elle découvre trop tard le pacte signé entre Hermann et Oswald. À son insu, ce dernier était devenu l’ami d’Hermann. À sa mort, chacun hérite de la moitié de sa fortune. Se sentant trahie, Maria se suicide au gaz le jour où l’Allemagne gagne la Coupe du monde de football contre la Hongrie. Démarré dans le bruit des bombes le spectacle se conclut sur une explosion et démontre encore une fois s’il était nécessaire le grand artiste qu’est décidément Ostermeier.
Hugues Le Tanneur
Le Mariage de Maria Braun, d’après Rainer Werner Fassbinder, mise en scène Thomas Ostermeier, avec Thomas Bading, Robert Beyer, Moritz Gottwald, Ursina Lardi, Sebastian Schwarz. Jusqu’au 27 juillet dans la Cour du lycée Saint-Josepf, Avignon. Dans le cadre du festival d’Avignon.
En aussi du 25 au 28 juin et du 30 juin au 3 juillet 2015 au Théâtre de la Ville, Paris (75)
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