Vendredi soir dans ce bar de la rue Oberkampf, à Paris, il y avait un groupe pas comme les autres qui jouait. Un groupe qui fait revivre le punk à sa manière, en portant l’electro et l’absurde en étendard. Pire concert et meilleur pogo de l’année + interview express.
Au-dessus des têtes, il y a une fille à moitié nue qui surfe la foule. Ceux qui la portent cessent alors de secouer leurs corps frénétiquement, mais bientôt ils la laissent tomber pour continuer à danser. Danser ? En live, les morceaux de Salut C’est Cool vont rarement en deçà de 160 bpm : à cette vitesse on ne peut plus vraiment danser, alors les gens sautent, poussent, frappent, bousculent – le tout en riant. Pendant deux heures, c’est un joyeux pogo, le plus gros et le plus fou aperçu depuis longtemps (sans doute au dernier concert de Salut C’est Cool). Rapidement les corps sont trempés, l’odeur de sueur se mêle à celle de la bière, on respire mal mais bizarrement, c’est parfait. Le public du Quartier Général chante en chœur les paroles de Salut C’est Cool. Elles résonnent dans la salle, dans les têtes et dans l’univers. Révélations mystiques :
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« L’équilibre du monde est respecté ! »
Moment 1 – les gens enfilent les charlottes que le groupe distribue en disant combien l’hygiène est importante. Moment 2 – à côté, on entend ça : « eh fiste-moi, ce sera plus cool, mec ! ». Moment 3 – des gens réussissent la figure du crabe, franchement bien joué. Moment 4 – un cintre passe très sérieusement de main en main. Moment 5 – on a des crampes aux mollets. Pendant ce temps – malgré les rideaux installés, certains passants s’arrêtent pour regarder à travers la vitre, comme dans un aquarium. Ils ne comprennent pas ce qui se passe et ce n’est pas étonnant. Merci Nature :
« Merci Nature d’être là, suuuper sympa ! »
Un peu avant le « concert », on croise Vadim, James et Louis, qui sont en train d’installer leur matériel (un vulgaire ordinateur et deux micros). Ils se montrent très disponibles et sympas. On discute avec eux rapidement.
INTERVIEW EXPRESS
Comment définiriez-vous votre projet artistique ?
C’est la sprezzatura.
C’est-à-dire ?
…
Et musicalement ?
On fait de la techno variété. On fait de la musique sur des ordinateurs pour faire quelque chose. Et après on le passe devant des gens pour essayer de danser ensemble.
Ça vous énerve qu’on vous compare souvent à Sexy Sushi ?
Pas du tout. Ce sont nos potes. Ils sont sympas. Mais on ne fait pas du tout comme eux. Enfin un peu, mais pas trop.
Vous faites plus ou moins tous des écoles d’art. Salut C’est Cool, c’est un projet scolaire ?
Non, pas du tout ! On n’en a jamais parlé à nos professeurs.
Quelles sont vos références en dehors de la musique ?
Il y en a plein, mais on peut citer dada, Fluxus, les situationnistes, l’art brut… Et puis des trucs plus contemporains, comme Thomas Hirschhorn.
C’est quoi votre Pokémon préféré ?
Magicarpe. Parce que tu le sors à tous les combats, il ne fait rien, après tu le rentres, il gagne des xp, puis il devient un Léviator.
Salut C’est Cool, c’est un mode de vie ?
Non, c’est juste le nom de notre groupe de musique. Quand on marche dans la rue, on n’est pas Salut C’est Cool.
Vous avez un style bien à vous.
C’est marrant parce qu’on sort d’une interview avec Grazia, où l’on a beaucoup parlé de style. C’était très intéressant. Le concept qu’on a pu dégager, c’est celui de sprezzatura. C’est un concept italien de beauté, de nonchalance, de détachement par rapport à ce que tu portes, et même à ce que tu es. C’est un détachement de l’affect. Mais on a vu ça sur Wikipédia aujourd’hui, donc on n’est pas encore très sûr.
Vous n’êtes pas anti-beau ?
Non, pas du tout. On a développé nos propres critères de beauté. On ne fait pas du mauvais goût. On ne fait pas du second degré. On a réappris les notions de beauté. On est reparti à zéro. Désormais, on a l’impression de faire le meilleur goût possible.
Vous pensez quoi du normcore ?
C’est un phénomène médiatique. On n’en pense pas grand-chose. Ce n’est pas nécessaire de toujours tout mettre dans des cases. Nous, on est gothique.
Ah ouais ?
Notre époque est une sorte de Moyen Age. On espère qu’il y aura une Renaissance.
Vous répondez quoi à ceux qui vous accusent de cynisme ?
Ce n’est pas grave qu’ils pensent ça. S’ils viennent nous demander, on peut leur expliquer pourquoi ce n’est pas le cas. On n’aime pas du tout ça, le cynisme.
Il parait qu’on peut tout péter ce soir. C’est vrai ?
Non… Nous-mêmes, nous avons été mal informés.
Tout péter ? Non. On doit cette confusion à l’event Facebook de la soirée, qui nous promettait la fin de ce bar cheapos de la rue Oberkampf. « Allez viens, viens viens viens », semblait-on nous dire : Salut C’est Cool est le genre de groupe qu’on suivrait n’importe où, ils donnent envie d’être fan, d’être comme eux. Le problème, c’est qu’il faudrait avoir une coupe mulet et porter des polaires. Alors on se limite à leur musique, mélange idiot de techno hardcore et d’eurodance, de trance affreuse et de pop guillerette. Sur internet, c’est leur univers visuel qui fascine. L’esthétique est gentiment white trash, et les idées tournées vers le DIY et l’open source. En décembre dernier, avant leur passage aux Bars en Trans de Rennes, on vous en parlait plus longuement ici.
=> On rappelle que sur leur site (accessible sous ce lien cliquable), leurs deux albums sont téléchargeables librement, tout comme une collection de faces B et quelques remixes chatoyants.
Un jour, Salut C’est Cool fera peut-être de la télé, du cinéma. Ou bien on les enverra dans l’espace pour peupler les exoplanètes. Ils seront célèbres dans la vraie vie, en dehors d’internet et du monde clos de leur fan base. Alors on se dira qu’on les a vu dans ce bar pourri en 2014 et que putain, qu’est-ce que c’était bien. On regrettera le temps perdu en cherchant de nouveaux groupes sympas et marrants, à qui l’avenir semble appartenir. On entendra : « A l’époque, ils étaient bien plus punk que tous ces groupes à guitares. Ils avaient vraiment une longueur d’avance ». Et puis on réécoutera Techno toujours pareil, Il joue de l’ordinateur debout ou encore La purée, en réalisant que depuis le début, tout ça était vraiment très sérieux.
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