Mis en examen le 1er juillet, Nicolas Sarkozy a mis en cause l’impartialité de la justice. La réaction d’Evelyne Sire-Marin, vice-présidente du tribunal de grande instance de Paris, ancienne présidente du Syndicat de la magistrature.
Lors de son interview télévisée mercredi 2 juillet sur TF1, Nicolas Sarkozy a estimé que l’appartenance syndicale de Claire Thépaut, l’une des deux juges d’instruction qui l’a mis en examen, était un obstacle à son impartialité. Peut-on être juge, syndiqué et impartial ?
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Evelyne Sire-Marin – Les magistrats doivent en effet être impartiaux, cela ne signifie pas qu’ils sont des citoyens fantômes. Le code de déontologie des magistrats pose le principe qu’ils ont le droit comme tout citoyen d’appartenir à un syndicat et même à un parti politique, en application de l’article 11 de la Convention européenne des droits de l’homme. En réalité, le juge est très contraint par les textes qu’il applique, surtout au pénal, qui est « d’interprétation stricte ». Il n’y a pas de place pour l’appréciation personnelle des juges en ce qui concerne la décision de mise en examen ou de placer en garde à vue : si la personne est soupçonnée d’avoir commis une infraction, elle est placée en garde à vue, s’il existe des indices contre elle, elle est mise en examen. C’est un formalisme très strict qui s’impose au juge, quelles que soient ses convictions. Lorsque le juge prend des libertés avec le code pénal, cela sera sanctionné par la nullité de la procédure.
Comment être certain de l’impartialité des juges dans un dossier hautement politique comme celui-ci ?
Par la collégialité. N’oublions pas qu’il y a deux juges qui mènent cette instruction. Si Claire Thépaut appartient au Syndicat de la magistrature, Patricia Simon n’est pas syndiquée. Elle n’est d’ailleurs jamais évoquée par Nicolas Sarkozy. Elles sont deux juges d’instruction et chacune contrôle donc l’autre. De plus, qui garantit qu’une personne qui n’est pas syndiquée n’a pas d’opinion politique ? Tout le monde a des idées politiques, que l’on soit syndiqué ou non.
Plusieurs proches de Nicolas Sarkozy se sont émus de la mise sur écoute d’un ancien président de la République, notamment lors de conversations avec son avocat. Cette procédure est-elle disproportionnée ?
Nicolas Sarkozy a été placé sur écoute à l’occasion de l’affaire du soupçon d’un financement libyen occulte lors de la campagne présidentielle de 2007, pour 50 millions d’euros. C’est alors qu’a été soupçonné un trafic d’influence pour éviter que ses agendas (saisis dans l’affaire Bettencourt) soient reversés dans un troisième dossier (l’affaire Tapie/Adidas). Pour placer quelqu’un en garde à vue, puis en examen, il faut des éléments graves ou concordants. Or on découvre avec ces écoutes téléphoniques un possible trafic d’influence sur des magistrats de la Cour de cassation (la promesse d’un poste à Monaco), l’achat d’un téléphone sous une identité usurpée (Paul Bismuth) pour échapper aux écoutes et de fausses conversations sur son téléphone officiel pour leurrer la police. Si autant d’éléments ne suffisent pas, on ne place plus jamais personne en garde à vue. Or il y a 800 000 gardes à vue par an.
Le bâtonnier de Paris, Pierre-Olivier Sur, estime que le comportement et les méthodes employées par les deux juges d’instruction pourraient entraîner une annulation de la procédure…
On a le droit, à partir du moment où un avocat est soupçonné d’une infraction, de le placer sur écoute. Mais maître Herzog, l’avocat de Nicolas Sarkozy, a été écouté de façon indirecte car il parlait avec son client au téléphone ; il n’était pas la cible des écoutes. Par ailleurs, le fait d’avoir mis en examen Nicolas Sarkozy permet de lui faire bénéficier des droits de la défense : consulter le dossier, demander des expertises ou des confrontations, faire des recours. Ce n’est pas seulement une accusation, c’est une interrogation sur sa culpabilité.
Les propos très durs tenus par Nicolas Sarkozy à l’encontre des magistrats peuvent-ils relever d’une forme d’outrage ?
Je ne crois pas. Je constate simplement que, sur TF1, Nicolas Sarkozy s’est bien gardé de parler du fond de l’affaire. Comme souvent, il a préféré prononcer des accusations très contestables à l’égard de la magistrature. Il a utilisé cette interview pour jeter un voile d’ombre sur le fond de l’affaire elle-même et émettre des contre-vérités notamment sur la validation de ses comptes de campagne. Mais ce qui lui est reproché, c’est justement d’avoir bénéficié de fonds secrets, occultes, de la part de la Libye, qui ne figuraient pas dans les comptes remis au Conseil constitutionnel.
Quels sont les risques judiciaires encourus par Nicolas Sarkozy après cette mise en examen pour corruption active, trafic d’influence actif et recel de violation du secret professionnel ?
Il risque jusqu’à dix ans de prison et 150 000 euros d’amende selon les circonstances. Mais personne ne peut dire s’il sera renvoyé devant un tribunal, pas même les deux juges d’instruction. Peut-être qu’au cours de la procédure sera démontré le fait qu’il est innocent et qu’il ignorait les initiatives prises par son avocat maître Herzog pour obtenir des informations à la Cour de cassation.
Pourra-t-il être candidat à l’élection présidentielle en 2017 s’il est toujours mis en examen dans une affaire judiciaire ?
Oui, il le peut en vertu de la présomption d’innocence. Après, c’est un problème politique et d’image. Selon de récents sondages, 65 % des Français sont hostiles à son retour dans la course présidentielle.
Sans accréditer l’idée d’une théorie du complot, peut-on estimer qu’il y a malgré tout une forme de défiance des juges vis-à-vis de Nicolas Sarkozy?
Oui, et sans doute parce qu’il y a eu une grande souffrance du monde judiciaire lors du mandat de Nicolas Sarkozy. Il a traité les juges de « petits pois », tous pareils. Il s’est acharné à opposer juges et policiers à des fins politiques. C’est la première fois que l’on voyait l’Union syndicale des magistrats (représentant 70 % de la magistrature) et le Syndicat de la magistrature (qui en représente 27 %) protester ensemble contre ses réformes brutales, imposées par Rachida Dati, notamment la réforme de la carte judiciaire et la tentative de suppression du juge d’instruction.
Ces affaires ne reposent-elles pas la question de la fin de l’immunité présidentielle ?
Les actes qu’on lui reproche n’ont pas été commis dans le cadre de ses fonctions présidentielles mais lorsqu’il a été candidat. Je suis étonnée que l’on se demande encore si un ancien président de la République peut être traité comme un citoyen ordinaire pour des faits commis avant ou après sa présidence… La seule affaire qui concerne son mandat présidentiel est celle des sondages de l’Elysée.
Propos recueillis par David Doucet
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