A l’heure où Google vient de faire appel de son amende record de 2,4 milliards d’euros infligée par la Commission européenne pour ses pratiques anti-concurrentielles, les grosses multinationales du milieu de la tech vivent peut-être la fin de leur âge d’or selon Buzzfeed. Des politiciens de gauche à leur pendant de droite en passant par les citoyens lambdas, tous auraient une bonne raison d’éprouver du désamour pour ces entreprises. Un revers de médaille, accéléré par l’élection de Donald Trump, qui pourrait avoir des conséquences à la fois politiques et économiques.
On aimerait moyen être à la place de Google. Outre la récente polémique l’ayant touchée concernant les propos sexistes d’un employé, la multinationale américaine vient de faire appel de son amende record de 2,4 milliards d’euros infligée par la Commission européenne. La raison d’un tel taquet pour l’entreprise de la célèbre Mountain view – aka une municipalité située en Californie réputée pour “sa vue sur les monts Santa Cruz”, comme nous l’affirme Wikipedia, première occurrence référencée par… Google ? Une accusation de pratiques anticoncurrentielles, notamment en “visant à favoriser son service de comparaison de prix dans ses résultats de recherche”, comme le rappelle cet article de Numerama. En première ligne de cette fronde contre ce géant de la tech made in US (Google, Apple, Facebook, Amazon…), cf. cet article du New York Times : la société Yelp, qui héberge des sites permettant de publier des avis participatifs sur les commerces locaux.
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Mais là est peut-être le cadet des soucis de Google – après tout, 2,4 milliards d’euros pour eux, c’est à peine 3,6% de leur chiffre d’affaires pour l’année 2016, un peu comme si vous achetiez un pain au choc made in Jean-François Copé quand vous êtes rémunéré au SMIC (on a fait des calculs savants, la comparaison n’est pas forcément heureuse car le pain au chocolat de JF ramené au SMIC en représente plutôt 0,0131% mais on avait envie de le placer). Car de l’avis de Ben Smith, rédacteur en chef de BuzzFeed aux Etats-Unis, l’enjeu actuel pour Google et co serait tout autre : éviter leur propre hémorragie. Dans un article passionnant nommé « There’s blood in the water in Silicon Valley« (“Il y a du sang dans l’eau de la Silicon Valley” in french) publié sur le site le 12 septembre – le même jour que la manif contre la réforme du code du travail d’Emmanuel-Start-up-Macron, tiens tiens – le journaliste revient sur le désamour subi par les grosses multinationales de l’industrie tech ces derniers temps. Un phénomène pas si récent, néanmoins accéléré par l’élection de Donald Trump aux Etats-Unis, qui pourrait selon lui avoir selon lui nombre de conséquences sur les plans économiques et politiques dans le monde : après tout, Google n’est pas qu’un moteur de recherche, c’est un empire.
Un pouvoir de lobbying en décrépitude ?
“L’ascension inattendue de Donald Trump l’année passée a caché une autre tendance très forte de la politique américaine : son retournement tangible, voire permanent, contre les industries technologiques”, écrit Ben Smith, prenant pour exemple le fait que ET Steve Bannon, l’ancien conseiller stratégique du président Trump, ET le démocrate socialiste Bernie Sanders (rien à voir donc, un peu comme si on comparait Marine Le Pen et Philippe Poutou), souhaitent faire des industries technologiques des “services publics”. L’idée sous jacente du papier : expliquer comment les multinationales de la tech ne trouvent plus grâce aux yeux de personne. Et ce, que ce soit à gauche ou à droite de l’échiquier politique ; chaque camp avançant évidemment des raisons différentes pour justifier de leur rejet de ces entreprises. De quoi poser souci à ces dernières à terme, les liens de subordination et de lobbying entre la tech et la politique étant très forts. Citons cette infographie réalisée en 2015 par le Google Transparency Project, recensant pas moins de 427 visites de la firme éponyme à la Maison blanche entre 2009 et 2015, dont 21 rencontres directes avec le président Obama. Not bad. Un autre exemple relevé par Numerama : le financement par Google d’études universitaires, allant dans son sens, sur des sujets en lien étroit avec ses domaines d’activité – anti-concurrence, paramètres de confidentialité etc. Études qui influencent, forcément, l’agenda politique.
Ben Smith explique ainsi comment, déjà, les industries technologiques seraient de par leurs domaines d’expertises “au coeur des plus grands et plus pressants enjeux auxquels les Etats-Unis sont actuellement confrontés : l’automatisation et les inégalités, la croyance envers les institutions publiques, vie privée et sécurité”. A cela s’ajouterait le fait que “des opportunistes et des idéologues ont commencé à former une réelle coalition contre ces compagnies, avec un noyau dur composé de réfugiés du think thank le plus détesté du boss de Google, Eric Schmidt”. Ce think thank, nommé “The New America Foundation”, largement financé par Google, est connu selon le New York Times pour “être devenue une voix élitiste des débats politiques de la gauche américaine” et pour avoir “aidé Google à modeler ces débats”. Sa présidente a récemment été licenciée pour s’être félicitée de l’amende européenne reçue par le géant US (voir plus haut).
La gauche comme la droite très critiques envers ces firmes
En sus, les politiciens eux-mêmes seraient dans le dénigrement de ces boîtes, toujours selon Ben Smith de BuzzFeed. “Les nationalistes voient chez elles l’incarnation de la domination de la parole et des idées des sociaux-démocrates et des partisans de la globalisation du monde. La gauche, elle, y voit l’incarnation de la domination du pouvoirs de ces entreprises. Ces personnes font partie des branches ascendantes des partis Républicain et Démocrate (…) et ce même, même avant que la porte parole de Trump ne se refuse à prendre la défense de Google face à la Commission européenne.”
En bref, “tout le monde voudrait les tuer”, médias inclus. L’article cite ainsi un édito écrit par une journaliste du Washington Post, journal “de gauche” qu’il considère comme un “allié naturel de Facebook, contrairement aux conservateurs qui n’apprécient pas les valeurs progressistes véhiculées par le réseau social”. Son auteure y écrit : “Est-ce que Donald Trump aurait été élu président des Etats-Unis si Facebook n’avait jamais existé ? Même s’il existe une longue liste de raisons expliquant sa victoire, il y a de plus en plus de raisons de croire que la réponse est non.” Dans la même veine, Google serait également vu d’un mauvais oeil par le milieu médiatique, le considérant comme “une sorte de Big Brother” qui “pomperait, aux côtés des publicitaires, les revenus des rédactions”. De quoi perdre “d’autres amis”.
De là à dire que la fin de ces compagnies – et a fortiori de leur influence – serait proche, le journaliste ne va pas jusque là. La fin de leur âge d’or, en revanche, oui, Ben Smith leur prophétisant un destin à la Microsoft, fortement pénalisé par un procès relatif à ses pratiques anticoncurrentielles dans les 90’s. Et d’ajouter cette phrase terrible : “Les politiques savent flairer le sang. » Et ce, « surtout quand leurs cibles ont peur ».
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