Internet est de plus en plus présent à tous les stades de la vie et le deuil n’échappe pas à cette tendance. Des internautes de tout âge imaginent de nouvelles pratiques funéraires sur le Web pour chercher du réconfort et se souvenir de leurs proches.
Faire un selfie à l’enterrement d’un proche : voilà une des dernières tendances dont l’Internet nous a récemment gratifiés. C’est l’éditeur du magazine américain Fast Company, Jason Feifer, qui a eu l’idée en octobre 2013 de réunir sur un Tumblr une douzaine de photos Instagram d’adolescents qui s’étaient portraiturés pendant un enterrement avec le hasthag #selfiefuneral.
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De prime abord, un tel acte peut sembler complètement égoïste voire insensible. Pourtant, Jason Feifer décrit son Tumblr différemment dans le New York Times :
“Il est important que les générations plus âgées arrivent à voir que c’est plus qu’un simple manque de respect [pour ces adolescents], mais plutôt une forme de communication sincère.”
Pour lui, le fait que ces jeunes prennent des photos à des enterrements ne “veut pas dire qu’ils ne savent pas faire leur deuil.” Cela ressemble plutôt à une manière inédite de faire ses adieux à une personne chère. Une manière qui prend en compte la mise en scène de soi sur les réseaux sociaux et le partage – parfois à l’outrance – de son intimité.
Le numérique comme nouvel espace social du deuil
Selon la journaliste du New York Times, Hannah Seligson, la génération Y “redéfinit la notion de deuil” à cause de son hyperconnexion. Le nombre de forums destinés à soutenir les personnes qui ont perdu un proche abonde dans ce sens. Mais ils sont loin de n’être fréquentés que par des jeunes gens.
“Avant, il y avait les condoléances en face à face, au cimetière”, avance Karine Roudaut, sociologue et auteure de Ceux qui restent. Une sociologie du deuil (2012), “Je ne veux pas dire qu’elles n’existent plus, mais elles se sont en partie déplacées aussi sur le terrain du numérique. Ce sont de nouveaux espaces sociaux du deuil : il y a des cimetières virtuels ou sites mémoriaux, des forums de discussions, des pages dédiées au défunt, les gens peuvent laisser des messages de soutien à leurs proches, partager des souvenirs, des photos…”
Un accompagnement à toute heure
La principale raison de ce changement ? “La mobilité géographique”, avance la sociologue. Un facteur sur lequel insiste Léda : “Avant, il y avait une grande solidarité et un grand soutien familial. Aujourd’hui, les familles sont éclatées, on ne vit plus forcément au même endroit. » Léda travaille pour un festival de musique. Pendant ses heures libres, elle anime la page Facebook publique Traverser le deuil, poste des citations, des livres, des articles sur le deuil, que chacun peut commenter à sa guise. Cette page est la seule trace restante du site internet d’accompagnement du deuil du même nom, fondé par le psychiatre Christophe Fauré et qui a fermé par manque de financement et de bénévoles.
Léda l’affirme : si le processus de deuil “est toujours le même”, ce sont “les moyens d’accompagnement” qui changent. L’avantage du numérique ? “Les gens peuvent écrire à n’importe quelle heure, sur Facebook ou sur des forums et avoir un retour même tard dans la nuit. C’est un endroit où tout le monde sait ce qu’est le deuil, où on peut s’identifier aux autres ”, confie celle qui a également créé une autre page Facebook – cette fois privée – où les internautes peuvent échanger des informations intimes et se sentir en sécurité.
L’avènement de la dématérialisation physique
Concernant les – quelques – jeunes qui se sont adonnés aux selfies aux enterrements, Léda n’y voit pas une nouvelle tendance ou un irrespect de la part des nouvelles générations :
“Le deuil est un processus. Au départ, c’est souvent l’incrédulité qui prime : on ne réalise pas vraiment ce qu’il se passe. Les photos prises pendant un enterrement ne veulent rien dire : la souffrance la plus grande s’installe souvent après un certain temps.”
Pour Karine Roudaut, l’avènement de la dématérialisation ne vient pas seulement d’Internet, mais de toute une époque : elle nous rappelle que le l’accroissement du nombre de crémations au cours de ces trente dernières années a été fulgurant. “Dans les années 1980, il y avait 1 % de crémations. Aujourd’hui, on est à environ 32 % en France, voire 50 % dans les villes.”
Et la sociologue de conclure :
“D’un côté, c’est une forme de dématérialisation, mais de l’autre on cherche d’autres moyens d’assurer un lien matériel avec le disparu. Les pages personnelles en hommage, les photos sur Internet : on peut y accéder tout le temps, tous les proches peuvent en faire usage, et c’est aussi plus facile que d’aller se recueillir sur une tombe, quand on est éloigné géographiquement, ou moins mobile par exemple.”
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