Avec ses femmes transformées en machines à procréer, la série de l’été sème le trouble dans le genre. Hommes ou femmes sommes-nous toutes et tous des Servantes ?
Avec 13 nominations aux Emmy pour La Servante écarlate (The Handmaid’s Tale), le féminisme a trouvé sa machine de guerre pop. Mais de quel féminisme s’agit-il vraiment ? La série est l’adaptation du roman culte de Margaret Atwood (publié en 1985).
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Dans ce monde dystopique, les Etats-Unis sont un état théocratique et patriarcal, dont le pouvoir vise un seul objectif : transformer les dernières femmes fertiles en machines à procréer. Le récit a valeur de thèse.
Les Servantes sont traitées comme une marchandise hypocritement sanctifiée afin de pouvoir les violer lors d’une “cérémonie”, où l’Epouse offre sa Servante à son mari ainsi que l’enfant qui naîtra. “J’étais endormie avant. C’est comme ça qu’on a laissé le pire arriver”, met en garde l’héroïne.
Mais à force d’assister au spectacle de ces mères privées des joies d’une maternité authentique, on se demande si on n’est pas invités à mater la télé dans le salon de Frigide Barjot avec Sens Commun qui pique des chips.
L’appropriation violente du pouvoir procréateur de la femme
Ce féminisme est très 70’s du point de vue théorique, loin des débats sur le genre, le mariage gay ou l’intersectionnalité. L’une des thèses souvent défendues à cette époque est que la domination masculine s’ancre dans l’appropriation violente du pouvoir procréateur de la femme par les hommes.
Mais aussi puissante que soit cette critique, elle condamne les femmes à n’être définies que comme des mères en puissance. Le show est donc assez ambigu pour que les conservateurs apprécient l’histoire de cette Mère Courage luttant contre une GPA forcée. Espérons que Judith Butler fasse un caméo dans la deuxième saison…
En attendant, on peut proposer une lecture plus queer de La Servante écarlate. Dans cette histoire, le pouvoir est bien sûr une question de relation hommes/femmes. Mais c’est surtout une relation entre celles qui peuvent reproduire la vie et ceux ou celles qui l’exploitent.
L’ambassadrice mexicaine, par exemple, aussi libérale soit-elle, n’hésite pas à envisager l’achat de ces Servantes. Il n’y a pas de solidarité entre femmes, mais entre des exploiteurs (hommes ou femmes) dominant des exploités (hommes ou femmes) au nom du mythe de la féminité.
Une vie quasi éternelle pour les plus riches
Cet ajout au livre de 1985 est révélateur des enjeux contemporains que la série veut éclairer. Car des lieux de domination émergent. Le biocommerce repose ainsi, comme dans la série, sur l’appropriation, l’exploitation et la vente des capacités reproductrices des cellules humaines.
La médecine régénérative promet une vie quasi éternelle pour les plus riches (hommes ou femmes) mais masque les conditions dans lesquelles sont prélevés et conservés ovocytes (en majorité de femmes indiennes ou chinoises), cellules souches, mais aussi sperme ou cordons ombilicaux.
Quel que soit le sexe des donneurs, cette appropriation prolonge celle ancestrale du ventre des femmes, ce qui fait donc de nous tous, mères ou non, des Servantes potentielles, des sœurs.
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