Plus mélancolique mais toujours aussi efficace et jouissif, ce quatrième album démontre combien LCD Soundsystem méritait une résurrection.
“I’m losing my edge, the kids are coming up from behind” (“Je suis en train de perdre mon avance/tranchant, les kids rattrapent le terrain”), se lamentait James Murphy sur le phénoménal titre de LCD Soundsystem Losing My Edge en 2002. Un premier single en forme de testament, sur lequel le New-Yorkais remerciait tous les musiciens, même les plus formidablement obscurs, qui avaient construit son esthétique, son style, sa philosophie et sa vie même – parlez-lui par exemple de la chanson Rock’n’roll de Lou Reed pour constater à quel point une chanson peut dévier une existence.
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Un artisan devenu industriel
Sur ce fatras d’influences, LCD Soundsystem bâtira un son unique, à la collision du post-punk rigide et de la dance-music débauchée. Mais même si les albums, rares, et les concerts, surexcitants, restèrent à une vertigineuse hauteur pendant plus de dix ans, James Murphy vivait mal le gigantisme qui pointait, se posant la question cruelle que tant de musiciens contournent : ma musique reste-t-elle pertinente ?
Lui qui avait attendu 32 ans pour sortir son premier single se retrouvait professionnel, prisonnier d’un savoir-faire et d’un devoir d’expansion. La réaction de cet artisan devenu malgré lui industriel adopta alors la flamboyance et l’intensité de ses musiques : il saborda LCD Soundsystem en avril 2011, après un concert mythique au Madison Square Garden. A plus de 40 ans, il lui restait d’autres passions à explorer, avec la même maniaquerie que celle jusqu’ici réservée aux chansons : les vins, le café, la gastronomie, la production aussi (Yeah Yeah Yeahs ou Arcade Fire). Mais James Murphy n’oubliait pas ses journées d’adolescence passées chez le disquaire Record Exchange de Princeton : des pans entiers de musique remontaient en flash-backs – les premiers Ultravox, le Remain in Light des Talking Heads, le Bowie berlinois, les albums solo de Martin Rev. Le studio s’imposait donc pour endiguer ce flux de souvenirs distordus par le temps.
Une monomanie intacte
Enregistré sans pression, entre deux obligations gastronomiques ou familiales, ce quatrième album porte la marque de cette sérénité : moins urgent, moins frénétique, American Dream continue certes d’équilibrer, comme chez les meilleurs électroniciens (Kraftwerk, New Order, Daft Punk : la famille), ces dosages mystérieux entre humanité et robotique, liesse et mélancolie. Mais loin de la fureur, de l’exaltation obligatoires d’hier, LCD Soundsystem sait dorénavant s’aménager des pauses plus introspectives, plus sombres aussi.
On adorait sa façon de composer une musique-jingle, on est impressionné par son élaboration, sa patience désormais. Car dès le très Suicide Oh Baby, on sent bien que les années d’absence ont été une fertile période de recherche sonique, où la légendaire science des rythmes s’est faite plus précise, plus diabolique. On sait que Murphy en a profité pour se faire construire un arsenal d’instruments et d’effets inédits, ce qui lui évite de retomber dans ses sons fétiches et de triompher sur des morceaux aussi neufs, prenants et alambiqués que How Do You Sleep? ou American Dream. Autre signe d’une monomanie intacte : ce quatrième album a été reporté de plusieurs semaines, car James Murphy refusait de le sortir tant que sa version vinyle ne serait pas disponible. On peut se réinventer mais on ne se refait pas.
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