Avant de succéder à Natacha Polony dans « On n’est pas couché » à la rentrée, Léa Salamé nous parle d’Eric Zemmour, de littérature, d’Aymeric Caron et de son enfance au Liban.
Etes-vous prête à remplacer Natacha Polony ?
Léa Salamé – Je vais prendre quelques semaines de vacances et je le serai (rires). J’ai conscience que c’est un changement de vie, une vraie prise de risque. C’est très nouveau pour moi, j’ai hâte d’y être.
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Avez-vous hésité avant d’accepter cette proposition ?
Il y a un mois et demi, Laurent Ruquier m’a envoyé un texto pour me dire qu’il souhaitait me rencontrer. Au début, je n’y ai pas cru car j’étais jusqu’à maintenant une journaliste qui animait des débats, je ne pensais pas correspondre au profil d’une éditorialiste ou d’une polémiste. Sur I-Télé, il y a autant de gens qui m’ont reproché d’être de droite que de gens qui m’ont reproché d’être de gauche. En plus, beaucoup de personnes avaient candidaté pour remplacer Natacha Polony, pas moi…
Pourquoi vous ont-ils choisie ?
Laurent Ruquier et Catherine Barma (productrice d’On n’est pas couché – ndlr) m’ont dit qu’ils avaient aimé mon côté pugnace et qu’ils avaient fait le choix d’une personnalité, une fille qui n’aurait pas peur de poser des questions dérangeantes. J’ai demandé deux semaines de réflexion car Canal+ m’a fait des contre-propositions et j’hésitais à quitter I-Télé. Je m’entendais très bien avec la rédaction et sa patronne, Céline Pigalle. J’ai pris beaucoup de plaisir cette année en animant des débats tous les soirs à 21 h et en présentant Ça se dispute. C’était un déchirement car j’étais vraiment bien là où j’étais…
Qu’est-ce qui vous a décidée alors ?
Laurent Ruquier et Catherine Barma m’ont donné envie. Et à mesure que tout le monde me disait : « N’y va pas, tu vas te griller », j’avais envie d’y aller. J’ai un côté un peu « maverick », un peu tête brûlée…
Dans la répartition du plateau de l’émission, il y a un chroniqueur conservateur et un chroniqueur progressiste. En remplaçant Natacha Polony, serez-vous contrainte d’adopter une posture droitière ?
Je ne veux pas camper un personnage de droite, je ne suis pas sur la ligne Zemmour-Polony, mais pas sur la ligne Aymeric Caron non plus.
Vous allez pourtant devoir sortir de votre réserve lorsqu’il s’agira de donner votre avis sur des produits culturels…
Je me suis interrogée sur ma légitimité à critiquer un réalisateur qui a bossé sur son film pendant trois ans, mais il faudra que je le fasse. Je me suis promis de ne pas m’inventer un personnage pour plaire à l’émission. Je vais essayer d’être moi-même. Le côté politique de l’émission me fait d’ailleurs moins peur que le côté culturel.
Que pensez-vous de Natacha Polony ?
Elle me fait penser à une phrase de Drieu la Rochelle : « Toutes les femmes sont sérieuses comme la pluie, surtout les plus légères. » Je me l’applique également à moi-même. Durant ses trois années passées chez Ruquier, elle a gardé une cohérence, elle ne s’est pas salie. Elle a profité au maximum de cette tribune.
Et Aymeric Caron ?
Je ne suis pas sûre que je reproduirai la scène de ménage perpétuelle avec Natacha Polony mais si on s’entend mal, ça se verra (rires). Je pense qu’il a compris qu’il manquait une parole forte face aux réactionnaires. Il a fait le choix d’incarner une gauche progressiste qui s’assume, au risque de passer pour une gauche donneuse de leçons.
A longueur d’émission dans Ça se dispute, Nicolas Domenach répète que les idées réacs d’Eric Zemmour sont devenues » majoritaires » en France…
Je pense qu’il a raison lorsqu’il dit qu’Eric Zemmour a gagné la bataille des idées mais c’est conjoncturel. C’est une réaction au fait que la gauche est au pouvoir et qu’elle a multiplié les projets sociétaux au détriment du chômage.
C’était dur d’arbitrer Ça se dispute ?
Oui, mais c’était une chance inespérée. Je regardais l’émission depuis dix ans. Humainement, Domenach et Zemmour sont deux chic types. Il y a une vraie confrontation idéologique, deux visions de la France. C’est plus difficile pour Domenach de défendre la nuance contre un Eric Zemmour qui matraque ses arguments. De l’immigration à l’Europe en passant par la cuisson des carottes, Zemmour parvient à tout expliquer avec son système de pensée. C’est plus difficile de défendre la tolérance et l’ouverture au monde…
Ça se dispute n’est-elle pas devenue le passeur involontaire de ses idées ?
Je ne pense pas, sa parole est contredite. Nicolas Domenach est efficace, il lui rentre dedans, preuves à l’appui. Je pense notamment à l’épisode sur la théorie du genre où Eric Zemmour s’appuyait sur des arguments puisés chez Egalité et réconciliation, le site d’Alain Soral. J’aime l’intelligence de Zemmour, sa culture mais j’aime moins son outrance. Il a parfois tendance à se caricaturer lui-même. , c’est un idéologue. Son problème, c’est que ces deux héros à savoir De Gaulle et Napoléon sont morts et qu’il ne s’en remet pas. Chaque jour, il porte le deuil de cette certaine idée de la France et il n’accepte pas la France actuelle…
Votre nom circule pour remplacer Pascale Clark sur France Inter…
J’ai très envie de faire de la radio. Si jamais mon profil intéresse, bien sûr…
On sent chez vous une forme de dureté. Est-ce lié à votre enfance au Liban ?
On est tous le produit de ses expériences et de son enfance. J’ai vécu dans un pays en guerre, le Liban. A l’âge de 5 ans, j’ai vécu l’exil puisque j’ai été contrainte de fuir les combats avec ma famille. Ensuite, j’ai vécu le 11 Septembre de plein fouet puisque j’étais à Manhattan et j’ai assisté en direct à l’effondrement des tours. Quelques mois plus tard, mon père, qui était en mission pour l’ONU, a échappé de peu à la mort dans un attentat à Bagdad. La violence de l’histoire, je l’ai vécue et ça participe sans doute à ma manière de faire du journalisme. Mais je suis très résiliente, je continue à avancer…
Qu’avez-vous aimé au cinéma dernièrement ?
La Grande Bellezza de Paolo Sorrentino. Cette décadence d’un homme qui regrette de ne plus être écrivain, cette fresque de la décadence de l’Europe, esthétiquement sublime, m’a beaucoup plu…
Un livre ?
J’ai adoré le Sorj Chalandon, Le Quatrième Mur. Il écrit incroyablement bien, ça parle de la guerre, de Beyrouth, de théâtre, c’est ce que j’aime.
Regardez-vous la Coupe du monde ?
Oui, comme toutes les femmes qui s’intéressent au football, c’est-à-dire quand les Bleus jouent.
Très zémmourien, comme affirmation…
Oui, c’est terrible, mais je ne suis pas une passionnée de football (rires).
Propos recueillis par David Doucet
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