Selon un rapport publié par l’ONG Global Witness, les conflits liés à l’environnement et aux droits du sol sont de plus en plus violents. Entre 2002 et 2013, 908 activistes ont été tués, dans 35 pays différents. Les communautés indigènes d’Amérique latine sont particulièrement touchées.
Il ne fait pas bon défendre l’environnement. Selon un rapport publié le 15 avril par l’ONG Global Witness, basée à Londres, en dix ans le nombre de personnes assassinées pour avoir défendu leurs droits territoriaux et environnementaux a quasiment triplé, passant de 51 en 2002 à 147 en 2012. Au total, dans cet intervalle, ce sont 908 personnes qui ont payé de leur vie pour défendre leur terre, leur forêt ou leur environnement contre l’exploitation productiviste.
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Les causes des décès sont multiples. Depuis 2002, 46 personnes ont été tuées par la police au Pérou alors qu’elles manifestaient contre l’exploitation minière de leur pays. En mai 2011 les écologistes brésiliens José Cláudio Ribeiro da Silva et Maria do Espírito Santo, qui s’opposaient à la déforestation de l’Amazonie, ont été assassinés par balles dans une embuscade. Au Honduras, 93 paysans qui luttaient contre les plantations de palmiers dans la région très militarisée de Bajo Aguán ont été assassinés en toute impunité par des mercenaires employés par les industries de l’huile de palme, des militaires ou des policiers depuis 2010.
Les Amérindiens face aux bulldozers
En Amérique latine, le nombre de victimes de ce type de conflits est particulièrement élevé : plus de 80 % des crimes comptabilisés dans le rapport de l’ONG (qui n’est pas exhaustif) y ont été perpétrés. Le Brésil détient le record funeste de 448 morts en dix ans, suivi du Honduras (109 morts), du Pérou (58 morts) et de la Colombie (52 morts).
La violence de ces conflits est alarmante. Ce ne sont pourtant pas des extrémistes écologistes à la “Unabomber”, ni même des militants de Greenpeace qui tombent. Il s’agit en fait bien souvent de membres des communautés indigènes qui défendent leur territoire, comme le met en évidence l’ONG dans un communiqué :
“Dans beaucoup de cas, leurs droits territoriaux ne sont pas reconnus par la loi ou en pratique, laissant leurs terres à la merci de l’exploitation menée par des intérêts économiques puissants, qui les disent ‘opposés au développement’. Souvent, ils apprennent qu’un accord allant à l’encontre de leurs intérêts a été conclu lorsque des bulldozers arrivent dans leurs fermes et leurs forêts.”
Les deux tiers des assassinats répertoriés par Global Witness ont en effet eu lieu dans le contexte de conflits liés à la propriété, au contrôle et à l’usage de la terre.
Plusieurs facteurs expliquent l’augmentation de la violence dont sont victimes ces populations. D’abord, les entreprises qui exploitent les ressources naturelles empiètent de plus en plus sur leurs terres.
“Plus on va à l’intérieur de l’Amazonie, plus on construit de barrages, plus il y a un affrontement avec les indigènes: c’est cet affrontement qui est source de violence, explique Jean-Baptiste Mouttet, co-auteur de La Grande Revanche. Les Amérindiens à la reconquête de leur destin (éd. Autrement). Les exploitations tendent à pénétrer de plus en plus au cœur de territoires habités par des peuples qui étaient jusqu’à présent éloignés de la civilisation telle qu’on la connaît.”
Selon la journaliste Anna Bednik, engagée dans le collectif ALDEAH (Alternatives au Développement Extractiviste et Anthropocentré), l’expansion des zones touchées par l’exploitation des ressources naturelles a atteint un seuil critique: « 84% de l’Amazonie péruvienne et 75% de l’Amazonie équatorienne sont concernés par l’exploitation pétrolière, et 15% des terres du Pérou sont possédées par des compagnies minières ».
“Les grandes entreprises internationales ont l’habitude de faire leur loi”
Les peuples autochtones n’entendent pas se laisser déposséder de leur environnement sans réagir. “Il y a davantage d’affrontements car les Amérindiens ont pris conscience de leurs droits, et revendiquent plus facilement leur territoire qu’auparavant. Or les grands propriétaires terriens et les grandes entreprises internationales ont l’habitude de faire leur loi dans ces lieux reculés, d’où le clash”, explique Jean-Baptiste Mouttet. Le mouvement social qui s’est levé au Pérou, dans la région de Cajamarca, contre le projet minier Conga, est emblématique de ces nouveaux conflits territoriaux et indigènes. Les paysans des hauts plateaux andins s’opposent depuis 2011 à ce projet d’exploitation d’une mine de cuivre et d’or par la multinationale Yanacocha, qui mettrait en péril les ressources hydriques et l’agriculture de l’ensemble de la région. En juillet 2012 cinq personnes sont mortes dans ce conflit.
« C’est une réponse sociale à l’extractivisme, c’est-à-dire l’exploitation massive des ressources naturelles, qui a connu une accélération importante ces dernières années, explique Anna Bednik. Le prix des matières premières produites en Amérique Latine a considérablement augmenté, ce qui pousse les gouvernements de ces régions, de droite comme de gauche, à les exploiter. Il y a une intensification des exploitations pétrolières, gazières, de charbon, de métaux, du soja, et de la palme africaine. Tous ces centres d’extraction sont reliés par des projets routiers et des barrages hydrauliques qui endommagent l’environnement naturel, et entrent en concurrence avec les populations pour les ressources qui sont sur ces territoires ancestraux des peuples autochtones ».
La relation particulière qu’entretiennent les peuples autochtones avec la nature les rend également plus vulnérables, comme l’explique Jean-Baptiste Mouttet :
“En Colombie, dans la croyance des Amérindiens Kogi, Kankuamos et Arhuacos, qui vivent dans la Sierra Nevada, la montagne et la mer doivent être connectés par la nature, par la forêt. C’est pourquoi ils essayent de racheter leur terre pour que la nature reprenne ses droits sur ces territoires. Ce faisant, ils entrent en conflit avec les Farc, avec les paramilitaires, et avec les grands propriétaires terriens. Ce sont des peuples en position de victime car ils ne peuvent s’appuyer sur aucune aide extérieure. Il ne prennent pas parti entre Farc et paramilitaires: ils sont pris en tenaille par ces deux groupes-là.”
Dans certains pays, les peuples autochtones sont même considérés comme des terroristes tombant sous le coup de lois répressives, comme les Mapuches au Chili. En comparaison, l’impunité des coupables de crimes dans ces conflits laisse pantois : 1 % d’entre eux seulement ont été condamnés selon le rapport de Global Witness. Dans le communiqué publié par l’ONG, son représentant Andrew Simms conclut : “La protection de l’environnement est désormais un champ de bataille stratégique pour les droits de l’homme.”
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