Carl Roosens, poète belge de l’étrange, trimballe ses rengaines imagées avec ses hommes-boîtes. Ils sont en concert à Paris cette semaine.
C’est en 2006 que nous croisons d’abord la route de ce fascinant personnage. Déguisé en lapin, le sieur Roosens canarde le public de carottes lors des concerts de Festen, premier projet du rappeur bruxellois Veence Hanao et de Noza (aujourd’hui beatmaker ponctuel de Grems, et toujours metteur en son de Carl). Puis, en 2008, dans un cadre plus formel. Malgré ses différences – son étrangeté même – et sa fâcheuse tendance à évoluer hors format, il survole alors le Concours Musique à la Française, tremplin institutionnel qui tente de propulser des artistes du cru qui célèbre la langue d’Hugo et Voltaire.
Entre constructions jazz, envies hip hop et alibi chanson, Carl se pose là. Quelque part entre un Dominique A enragé et un Didier Super doté d’intellect. Un vrai artificier du verbe, conteur d’histoires pas comme les autres, une plume épidermique aux textes toujours éprouvés, parfois éprouvant… Des trucs forts avec des mots simples.
Une réalité fantasmée
Membre du collectif Nos Restes (réunissant de jeunes talents graphiques), Carl décrit aussi sa réalité fantasmée, ses maux doux et ses coups de sang à coups de crayon. C’est d’ailleurs lui qui réalisa récemment la pochette du EP de BRNS (Wounded), dernier fleuron en date du plat pays. Sur scène, il trône au milieu d’innombrables personnages en carton sortis de son cerveau de dessinateur. Protagonistes haut en douleurs qui le suivent depuis deux albums déjà dans ses mésaventures : Où poser des yeux? (en 2009) et, plus récemment, La Paroi de ton Ventre (sorti en France fin 2013), toujours sur le label Humpty Dumpty. Un projet qui reste un OVNI et n’emprunte qu’exceptionnellement la bande FM. Qu’importe, l’artiste est lucide : « On a conscience de ce qu’on fait… ou plutôt une inconscience dans ce qu’on fait. »
Pour ce dernier, Carl a fait de ses musiciens – Z alias Jean-Michel Distexhe, Emmanuel Coenen, Pascal Matthey, Cédric Manche – des hommes-boîtes. Une idée inspirée d’un roman japonais, contant l’histoire d’un homme qui se retire physiquement du monde pour vivre en spectateur.
« L’idée d’homme-boîte sort de la tête d’un écrivain nommé Kōbō Abe, c’est le titre d’un de ses romans. Au début de l’intrigue, un des protagonistes aperçoit par sa fenêtre un amas de boîtes et pressent que quelqu’un vit dessous. Il sait que nombre de personnes avaient décidé de se retirer pour vivre sous des boîtes et y observer le monde à travers une petite encoche. Progressivement, on glisse ainsi d’un personnage à l’autre et, sans vraiment s’en rendre compte, le lecteur se retrouve lui-aussi sous cette boîte. J’aimais cette idée, et je me verrais bien en homme-boîte en fait, conclut-il d’un sourire. J’y voyais un cocon pour mes quatre complices, mais aussi une possibilité d’ouverture à d’autres collaborations. Sur l’album, on croise Castus par exemple. Les hommes-boîtes, c’est un collectif à géométrie variable ».
« Pénétrer les choses et les objets »
Dans ce collectif, Noémie Marsily, chère et tendre du chanteur, est également venue ajouter ses dessins. « On arrive à mettre nos tics respectifs pour créer un nouveau langage, c’est très enrichissant… j’ose faire avec elle des choses que je n’oserai jamais faire seul », confie Carl. Avec elle justement, il réalise des clips dessinés d’une beauté faussement naïve, dont le bluffant Autour du Lac qui donne à appréhender mieux encore la démarche de l’homme-boîte. « L’idée de base, et elle traverse autant mes textes que mes dessins, est toujours de pénétrer les choses et les objets. On regarde d’abord en surface et on écrit là-dessus. Ce qui est chouette dans un roman, c’est d’observer un horizon a priori plat et de tout-à-coup entrer dans un élément du décor… Une tasse, un corps, dans le quel tu n’aurais pas imaginé pouvoir t’immiscer ».
Avec La Paroi de ton Ventre, on quitte le cimetière des mouches, les maisons affamées et les errances de clébard du premier opus pour une nouvelle immersion dans la psyché de Carl qui, une fois encore, révèle ce qu’il a dans le bide avec pudeur, humour et intensité. « Mon ventre gargouille fort et régulièrement. Je fais plein de bruits super bizarres, d’ailleurs j’ai souvent essayé de les enregistrer après les repas. Je ne sais pas à quoi c’est dû, mais il paraît que ce n’est pas mauvais pour la santé. Du coup, je m’imaginais l’intérieur du ventre comme une espèce de flaque en fusion, une sorte de décor lunaire… dans lequel celui qui poserait une oreille sur la paroi pourrait aller se promener et se perdre. » C’est le genre d’égarement qu’on recommande vivement.
Concert le 9 avril à Paris (International), le 24 avril à Lille (La Péniche), le 25 avril à Lorient (Les Studios)