C’est le dernier paradoxe en date du rap US : australienne, WASP, white trash, exilée à Miami, Iggy Azalea sort enfin son premier album, « The New Classic », après un an d’attente et moult rebondissements. Rencontre.
La puce nous avait sauté à l’oreille au printemps dernier. A l’époque, une autre Azealia – Banks, de son nom de famille – faisait déjà parler d’elle avec une série de mixtapes hip hop / house propulsées sur le web, quelques clips remarqués (Liquorice, 212) et le parrainage photographique de Terry Richardson. Quand sont apparus l’autre Azalea – Iggy, pour le prénom –, son rap au flow épileptique, ses singles implacables (Murda Bizness, entre autres) et le clip un rien provoc’ de son dernier titre en date, Work, c’est la comparaison, un peu trop évidente, qui nous a bondi à la figure.
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En fin de compte, en 2014, l’Australienne à la tête de bois aura fini par coiffer au poteau l’histrionne new-yorkaise. Tandis que le plan de carrière d’Azealia B. ressemble de plus en plus à une vaste blague, entre crépages de chignon avec sa maison de disques et report incessant de sa mise en orbite, Iggy A. avance ses pions avec l’assurance d’une machine de guerre. Sur album (The New Classic, son premier), elle s’impose avec une morgue à faire pâlir et des arguments baston, du physique hors normes à une production qui la ramène – parfois beaucoup trop. A la ville, la rencontre avec cet OVNI prend une autre dimension : Ia pétroleuse aux dents longues, question calme et tempérance, y rivalise avec un lac Suisse. Paradoxale, indeed.
Faut-il voir le titre de votre premier album, The New Classic, comme une déclaration d’intention ? Souhaitez-vous en faire une pierre angulaire du genre ?
Iggy Azalea – Il s’agit davantage d’une réflexion personnelle. Beaucoup de puristes criminalisent l’évolution naturelle du hip hop, ce qui est assez injuste. Le clacissisme, en rap, on peut en parler pendant des heures… J’incarne peut-être une approche différente, une autre culture. Je ne dis pas que je suis la seule, ou que je fais mieux le job, loin de là. Mais le hip hop peut prendre plus d’une tournure, surtout à ma génération.
Comment s’est construite votre culture rap ?
Via le net, comme pour beaucoup d’artistes de mon âge. Quand j’ai mordu à l’hameçon, ado, il n’y avait pas de rap à la radio. C’est toujours le cas : l’Australie est bien trop rock pour ça. Je passais ma vie sur des forums, je faisais des battles online avec des mômes qui vivaient aux USA… On pense souvent que je suis originaire de New York, du Sud des States, alors que je viens du net, de YouTube. A$AP Rocky [son ex, dont elle porte le prénom barré à l’auriculaire, ndlr] est lui aussi un parfait exemple de cette culture web avec son rap hybride.
Vous avez déménagé aux Etats-Unis à 16 ans. Votre parcours est assez atypique…
Mes parents m’ont eue très jeunes – ils étaient à peine majeurs quand je suis née. Je suis originaire de Sidney. Mon père était fan de surf, il a décidé de déménager dans un patelin pour vivre au plus près sa passion, et accessoirement échapper à l’opprobe familiale – ses parents ont un peu fait la gueule quand ils ont appris que ma mère étaient enceinte (sourire). On a vécu en marge, en retrait. Du coup, la découverte du rap a été une véritable gifle : en m’y frottant, tout un monde s’est ouvert à moi, en même temps que j’ai compris l’étroitesse du mien. J’étais déjà très solitaire ; ma frustration, à l’époque, est devenue indescriptible. J’ai tellement séché l’école que j’ai planté mes années de lycée. Au moment où je me suis fait virer, j’ai supplié ma mère de me laisser partir à Miami.
Dans Work, votre single de 2013, vous faites référence à votre existence de l’époque…
J’avais mis un paquet d’argent de côté, principalement en faisant le ménage dans des hôtels. J’ai bouffé de la vache enragée mais j’étais prête à tout pour déménager : les uniformes, les clients qui font des vannes lourdes sur votre prénom (Amethyst, à l’état civil), les mains dans le vomi à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit… Vous pouviez m’appeler à 2 heures du mat’ un samedi, j’étais d’attaque.
Dès vos débuts, vous avez suscité pas mal de réactions sur le net. Ce buzz vous a-t-il surprise ?
Pas vraiment. J’ai l’air d’avoir le melon, là, non ? (Rires). Je me doutais que je ne laisserais personne indifférent. Un jour je suis une pute, le lendemain la Cendrillon du rap, ou une blanche qui la ramène, raciste de surcroît, un parangon de trashitude… J’ai eu droit à tout. La plupart du temps, ça glisse.
La manière dont vous vous mettez en scène, l’utilisation que vous faites de votre physique sont aussi pour beaucoup dans ces réactions…
Et ça me sidère. Généralement, le public ne comprend pas le 24ème degré de la chose. C’est quand même très bizarre de voir le scandale que ça génère, la honte qu’on essaye de vous coller. C’est tellement représentatif de la mysogynie ambiante…
Vous jouez avec l’imagerie du rap, parfois jusqu’à la caricature. Le faites-vous aussi à des fins féministes ?
Absolument. Que ce soit dans Work, Murda Bizness ou Pu$$y (un autre de ses précédents titres, ndlr, le message est toujours le même vis-à-vis des hommes… Les gros machos du rap en tombent de leur chaise (rires). C’est assez consternant. Parce que le rap, à mes yeux, c’est aussi un concours de beauté sous testostérone : la compétition y est féroce, les mecs s’y pavanent, ils sont dans la même logique totalitaire que des Miss sur un podium… Les filles n’ont pas droit à cette image forte, un peu agressive, que je défends.
Vous en souffrez ?
Non. Je trouverais même ça risible si ça n’était pas aussi scandaleux. Mes vidéos sont ouvertement ambigues, certes, mais elles le sont beaucoup moins que celles de mes homologues masculins. Qu’on m’explique pourquoi mes clips sont censurés alors que je me contente d’y danser en short… OK, j’y mime un semblant de fellation, mais le figurant porte un jean, qu’il ne déboutonne jamais ! Ça vous viendrait à l’idée de sucer un 501 ? Alors que défourailler avec une mitraillette, ça ne pose de problème à personne. Dans Murda Bizness, je chante “Clic clac / Bang Bang / Murda Bizness” : tout le monde crie au scandale, je me fais insulter pas la gent masculine sur les réseaux sociaux à longueur de journées. Dans un pays qui a a le plus grand nombre de flingues par habitants au monde, quelle blague ! Pardon, je m’énerve… (rires).
La comparaison constante à cette autre dauphine du rap qu’est Azealia Banks vous agace-t-elle ?
Plus maintenant. Nous n’avons pas grand chose en commun, ca passera avec le temps. Si je dois jouer le jeu de la compétition, je préfère me comparer à Nicki Minaj. Atteindre son niveau, ça c’est une motivation. En tant qu’artiste, on a tenté de m’imposer tout un tas de trucs. Mais comme dirait mon agent, Cara Lewis, qui travaille aussi pour Eminem et Rihanna : “Ça n’est pas ce que tu refuses qui peut te porter préjudice, c’est ce que tu acceptes aveuglément.” Musicalement, je suis volontairement versatile, je n’ai pas envie de m’enfermer dans un style – mais je ne fais jamais les choses à moitié. Quand on vient de me donner des leçons, je réponds systématiquement : “Je n’ai peut-être pas vendu un album, mais vous, vous n’avez jamais eu affaire à une rappeuse blanche.” Et pour cause : je suis une exception.
Album The New Classic (Universal).
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