Trouver des alternatives à l’incarcération afin de diminuer la récidive est le principal objectif de la réforme Taubira. Reportage à Marseille où, chaque année, 3 500 condamnés effectuent déjà leur peine en dehors des murs de la prison.
Dix heures. Direction la cité de la Cayolle, située dans le sud de la ville, à l’entrée du parc des Calanques. Posté devant un pavillon jaune pâle mal entretenu, Marcel, 21 ans, la silhouette fine et l’air endormi, guette l’arrivée des surveillants du Spip (Service pénitentiaire d’insertion et de probation) au cœur de la réforme Taubira qui entend lutter contre la récidive.
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Condamné à trois ans de prison dont deux avec sursis pour trafic de stupéfiants, le jeune homme a échappé, comme la loi lui en donne l’opportunité, aux cellules crasseuses et surpeuplées de la maison d’arrêt des Baumettes. Il peut donc purger sa peine à domicile. Pendant un an, il devra porter un bracelet électronique et sauf modification de la part du juge de l’application des peines (JAP), en particulier s’il trouve un travail, ne sera autorisé à sortir qu’entre 8 h et 13 h.
18 euros pour un bracelet
“Il a écopé d’horaires assez sévères, constate la surveillante alors qu’elle tente de détecter le signal du bracelet. C’est pas facile dans certaines zones car ça capte mal”, dit-elle. A Marseille, ils sont 300 à faire l’objet d’une mesure de placement sous surveillance électronique. Et, sur la région 1 500, auteurs d’infractions au code de la route, de vols et autres délits mineurs ainsi placés.
Relié à un boîtier, ce bracelet interdit à la personne de quitter le périmètre qui lui est imparti durant une certaine période de la journée. S’il sort de cet espace, une alarme sonne dans toute la maison. Le centre de surveillance, situé aux Baumettes, est aussitôt prévenu. En dehors de la période prévue, l’administration pénitentiaire l’avoue, elle est incapable de contrôler l’activité des personnes sous bracelet, ce qui permet ainsi à certains d’aller à la plage, de faire du sport ou même parfois de s’adonner à une activité répréhensible.
“Le premier facteur de réinsertion, c’est la personne elle-même”, insiste Carole Chevalier, chef de l’antenne Spip de Marseille. Une fois son bracelet électronique fixé à la cheville, Marcel promet, lui, d’être sérieux. Et, se dit soulagé par cette mesure. “Mon père est mort il y a quatre mois, si je vais en prison, ma mère pète un plomb”, dit-il. En rupture scolaire depuis l’âge de 16 ans, le jeune homme n’a aucun diplôme.
“C’est la première fois que je suis condamné. J’ai vraiment envie d’arrêter les conneries. Je veux faire ma vie comme tout le monde. N’importe quel boulot, je le prends”, jure-t-il, après s’être vanté d’avoir gagné jusqu’à 6 000 euros par mois grâce au deal.
D’ici quelques jours, Marcel rencontrera pour la première fois un conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation (Cpip). C’est lui qui devra, à l’occasion d’un rendez-vous mensuel, orienter, contrôler et conseiller le jeune homme afin qu’il ne récidive pas et puisse trouver un emploi. “Quelqu’un qui est installé socialement a moins de risque de récidiver, constate Jérôme Fournier, 40 ans et conseiller depuis dix ans. On n’est pas force de proposition, on oriente la personne vers les associations qui peuvent l’aider, on le conseille. Certains ont du mal à comprendre que le monde du travail ne les accueille pas à bras ouverts. Parfois, on se transforme en psy mais on ne l’est pas.”
En France, l’aménagement de peine n’est pas une nouveauté. Mais, en instaurant la contrainte pénale, applicable à tous les délits passibles d’une peine d’emprisonnement inférieure ou égale à cinq ans, jusqu’en 2017, avant d’être étendue aux autres délits, la garde des Sceaux Christiane Taubira propose une boîte à outils pour organiser toutes les mesures déjà existantes. A savoir, le bracelet électronique, le travail d’intérêt général (TIG), la liberté conditionnelle mais aussi le sursis avec mise à l’épreuve (SME) qui peut s’accompagner d’une obligation de soins et/ou d’indemnisation de la victime.
Les Baumettes, « la mort à feu doux”
Si la réforme qui sera discutée au Sénat le 24 juin prochain, est votée, le juge aura la possibilité de condamner la personne à une contrainte pénale et c’est le conseiller d’insertion et de probation qui devra désormais proposer au juge de l’application des peines (JAP), la condamnation qu’il estime la plus adéquate.
“On sait qu’une personne qui bénéficie d’un aménagement de peine a 50 % moins de risques de récidiver”, rappelle Carole Chevalier. Et, à raison de 18 à 25 euros par jour, le bracelet électronique est une mesure beaucoup moins onéreuse qu’une journée en détention qui revient en moyenne à 85 euros.
Assis dans une petite salle d’audience au mobilier spartiate, Ouahid, 38 ans, le visage émacié, a manqué son dernier entretien. “J’étais à l’hôpital, regardez j’ai des allergies à cause du stress”, s’adresse-t-il à son conseiller, en dévoilant son corps famélique et irrité. Condamné à quatre ans de prison pour violence conjugale avec arme entraînant une interruption temporaire de travail de plus de huit jours, Ouahid a pu bénéficier, après trois ans ferme, d’un sursis avec mise à l’épreuve. “Ça m‘a couté cher. J’ai passé trois ans dans la prison la plus pourrie de France [les Baumettes]. Là-bas, c’est la mort à feu doux, j’ai pensé à me suicider”, dit-il.
Mal en point depuis son incarcération, le condamné tente de remonter la pente. “Pôle emploi a estimé qu’il devait d’abord se soigner et après chercher un emploi”, raconte son conseiller. Très encadré par sa famille et suivi par un psychologue, sa réinsertion semble bien partie. Il vient d’emménager dans un studio et devrait bientôt travailler sur des marchés.
Dans une autre pièce, Monira, 34 ans, a, elle, écopé de deux ans de prison ferme pour vol aggravé. Grâce au bracelet électronique, la jeune femme a pu quitter sa cellule pour rejoindre son domicile et ses deux garçons, âgés de 5 et 10 ans. “C’est parce qu’elle a obtenu une promesse d’embauche qu’elle a pu bénéficier de cette mesure”, explique sa conseillère. Depuis, elle travaille quatre heures par jour dans une entreprise de ménage. “D’un côté, je suis contente d’être libre avec ma famille mais parfois, le bracelet est lourd. Surtout l’été, il fait beau. Le soir, on a envie de sortir, de faire des grillades mais c’est impossible”, regrette-t-elle.
Un conseiller pour cent condamnés
Selon Carole Chevalier, seules 7 % des personnes qui bénéficient du dispositif électronique sont réincarcérées pendant leur surveillance. Mais si la réforme Taubira entend lutter contre la récidive, elle représente pour les conseillers d’insertion et de probation une charge de travail supplémentaire. Résultat, le ministère a promis de créer, dans les trois ans à venir, 1 000 postes supplémentaires. A l’antenne de Marseille, la plus grande du département, ils sont trente-six conseillers à s’occuper des 3 500 dossiers de personnes condamnées, chaque année, en “milieu ouvert”, soit environ une centaine par agent.
“Quarante dossiers, Ce serait l’idéal. Je pourrais voir les personnes plus d’une fois par mois pour créer d’avantage de dynamique. Il nous faudrait aussi plus de moyens et plus de conventions avec les associations qui mettent en place des dispositifs”, estime Jérôme Fournier.
“On ressent bien évidemment beaucoup de frustration. On n’a pas assez de structures à proposer. Les chantiers d’insertion sont limités, les structures d’hébergement aussi. On aimerait que le suivi soit plus intense”, poursuit une collègue. Et, Carole Chevalier de conclure: “Il faut donner des moyens à cette réforme sinon elle accouchera d’une souris.”
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