L’Allemagne juge actuellement un groupuscule néonazi accusé d’avoir commis meurtres et attentats racistes pendant treize ans. Un site antifasciste, NSU-Watch, recontextualise les faits, suit le procès et s’interroge sur les ratés de l’enquête.
Le procès du NSU, acronyme du Nationalsozialistischer Untergrund (« Clandestinité nationale-socialiste »), nom du trio formé par Uwe Böhnhardt, Uwe Mundlos et Beate Zschäpe, devait être un examen de conscience. Débuté en mai 2013, il était censé démontrer comment la police et les services de renseignements sont passés à côté des auteurs de cette série d’assassinats que la presse allemande a appelé les « Döner-Morde » (« les meurtres-kebab »).
Huit victimes sur dix étant d’origine turque, la piste de règlements de comptes communautaires, voire mafieux, fut privilégiée. La découverte d’une vidéo de revendication des crimes – outre les assassinats, deux attentats à la bombe et au moins quinze attaques de banques – fit apparaître au grand jour que les trois terroristes d’extrême droite entrés dans la clandestinité en 1998, et surnommés la « Fraction armée brune » par Der Spiegel, ont semé la mort dans tout le pays de 2000 à 2011 sans attirer de soupçons. Alors que la communauté néonazie grouille pourtant d’indics.
Mais ce procès-fleuve s’enlise dans les méandres des 488 pages de l’acte d’accusation. Il se poursuivra jusqu’en 2015. Aux côtés de Beate Zschäpe, quatre autres personnes sont mises en examen pour avoir soutenu le groupe en fournissant armes, logements et faux papiers : Ralf Wohlleben, ancien membre du NPD (Nationaldemokratische Partei Deutschlands, Parti national-démocrate d’Allemagne), André E., Holger G. et Carsten S.
C’est sur ce terrain miné qu’oeuvre NSU-Watch. Si la presse suit le procès, ce site réalisé par des bénévoles est le seul à lui être entièrement dédié et tient depuis son ouverture des comptes rendus quotidiens, en allemand, en turc et, partiellement, en anglais. « Nous sommes un groupe d’associations antifascistes de toute l’Allemagne qui, depuis de longues années, menons un travail de recherche sur l’extrême droite », explique Felix Hansen, l’un des coordinateurs du site. « Très vite, il nous est apparu nécessaire d’observer le procès. Les néonazis qui y faisaient surface, comme accusés ou témoins, nous les connaissions, nous avons réuni beaucoup d’informations sur le mouvement. » Et celles-ci ne seront pas de trop, tant les témoins appelés à comparaître combinent les trous de mémoire avec une franche mauvaise foi.
Une scène néonazie bien plus large que les trois accusés visée
Si les auteurs de NSU-Watch ne revendiquent pas le titre de journaliste ( » Nous sommes un réseau d’initiatives politiques, pas un média traditionnel », précise Felix Hansen), leur travail a été récompensé l’an dernier par le prix Otto Brenner, qui distingue les travaux de « journalisme critique », aux côtés de journaux prestigieux comme Die Zeit ou le Süddeutsche Zeitung. « Nous évoquons des thématiques que les médias abordent moins fréquemment, notamment le rôle qu’a joué le racisme dans les défaillances de l’enquête », ajoute-t-il.
« Deux personnes se rendent tous les jours au tribunal et dressent un procès-verbal de l’audience. Nous travaillons avec deux douzaines de référents. » Le site – créé en avril 2013, a réuni 38 000 euros grâce à des particuliers et des associations mais n’a qu’une visibilité financière réduite – publie des récits détaillés, des analyses et commentaires traduits en turc.
« Il est important de travailler avec les communautés visées par ces actes, insiste Felix Hansen. C’est l’un des gouffres de cette affaire : pourquoi ces événements ont-ils pu se dérouler sans qu’il n’y ait d’élan de solidarité avec les communautés visées ? » Le site se montre très critique sur les limites du champ d’investigation du procès. « Le procureur défend la thèse que le NSU n’est constitué que de trois personnes et quelques soutiens, relève Felix Hansen. Dans notre perspective, le champ de leur soutien est sans doute beaucoup plus large que les cinq mis en examen. Si le NSU a pu fonctionner, c’est parce qu’il existait une scène néonazie qui l’a soutenu, directement ou indirectement. »
Sans compter le rôle trouble des informateurs de la police au sein du mouvement qui n’a jamais été éclairci, malgré une commission d’enquête parlementaire. « Cela montre à quel point les possibilités de surveillance des activités des services secrets sont limitées », estime Felix Hansen.
Autre spécificité de ce procès : les accusés se taisent. Contrairement à l’un des rares procès de terrorisme politique d’une ampleur comparable, celui de la Fraction armée rouge, qui fut en son temps (1975) une tribune pour les thèses du groupe de Baader et Meinhof, les mis en examen ne pipent mot. Ce qui ne surprend pas Felix Hansen : « Ce sont des néonazis convaincus, qui se taisent depuis treize ans. Ils peuvent continuer parce qu’ils ont mené une vie placée sous le signe de la conspiration. Pourquoi Zschäpe parlerait-elle ? Dans la vidéo revendiquant les crimes, les buts du NSU sont clairement énoncés. » Pour mémoire, ce manifeste affirmait notamment : « Tant que des changements radicaux n’auront pas lieu dans le domaine de la politique, de la presse et de la liberté d’opinion, nos activités continueront. »