Jouant de sa réputation d’ »Englishman à New York », John Oliver a réussi à imposer son style acerbe à la télévision américaine. Les vidéos de son nouveau Late Show, aussi drôles que mordantes, sont même reprises dans le monde entier.
Il lui a fallu moins de deux mois pour que son visage fasse le tour du monde. John Oliver peut en être assuré : son arrivée à la tête du talk show américain Last Week Tonight de la chaîne câblée HBO est un succès. Avec son ton percutant et son accent anglais exagéré, le Britannique de 37 ans a réussi à imposer un style différent des autres présentateurs des « Late Shows », ces programmes satiriques de deuxième partie de soirée dont seuls les Américains ont le succès.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Depuis ses débuts à la télévision outre Atlantique, John Oliver a toujours joué de son statut « d’Englishman à New York« . Diplômé de Cambridge en 1998, il a fait ses armes à la télévision anglaise dans des émissions parodiques comme Mock The Week ou Gash, créée par le génial Armando Iannucci, aujourd’hui papa de la série Veep.
Mais c’est en juillet 2006 que sa carrière prend un tournant international, lorsqu’il est invité à auditionner pour le rôle d’un faux correspondant britannique dans l’émission américaine The Daily Show de Jon Stewart. C’est Ricky Gervais (The Office) qui a glissé son nom aux producteurs de l’émission. Oliver n’y croit pas : « On se dit ‘ils vont se rendre compte qu’ils ont fait une erreur, qu’ils ont choisi la mauvaise personne et ils vont me renvoyer à la maison’ », confie-t-il au Guardian. Il y restera sept ans.
Le rôle du « faux journaliste » lui colle à la peau
Au départ engagé comme rédacteur, il finit devant la caméra au bout de quelques semaines, en tant qu’acteur régulier du Daily Show sur la chaîne câblée Comedy Central. Son rôle : jouer le faux journaliste qui rapporte des nouvelles de la Grande-Bretagne au faux présentateur Jon Stewart. L’objectif est clair, il faut faire rire avec des informations qui n’ont rien de drôle. Oliver excelle, notamment lorsqu’il met le doigt sur les agissements indignes des journalistes du tabloïd anglais News of The World en juillet 2012, accusés d’avoir corrompu des policiers et mis des téléphones sur écoute.
Le Daily Show de Jon Stewart est suivi quotidiennement, du lundi au jeudi, par près de 2,5 millions de téléspectateurs. Si elle est une émission satirique à la base, une étude de 2004 montre qu’elle est plus suivie par les 18-34 ans que les journaux télévisés diffusés à la même heure sur les chaînes concurrentes. « La structure [du programme], c’est du journalisme, car les histoires doivent avoir du sens. Mais c’est seulement des blagues !« , racontait John Oliver à ses débuts en 2007.
Des blagues sur fond de dénonciation de scandale : voilà la recette miracle qui plaît tant à Jon Stewart et son acolyte britannique. Ils partagent tellement de points communs que Stewart lui laisse son siège le 10 juin 2013, pour partir tourner un film, Rosewater, sur un journaliste emprisonné en Iran pendant 118 jours.
La révélation aux rênes du Daily Show
Toujours inquiet et adepte de l’autocritique presque trop modeste, John Oliver avait ironiquement prévenu dans un communiqué que les téléspectateurs ne devaient « pas s’inquiéter » pour leur programme :
« Ce sera exactement ce que vous aimez dans le Daily Show, seulement sans ce que vous aimez le plus dedans. »
Pourtant la consécration est immédiate : John Oliver excelle à la place du présentateur (comme il excelle au même moment dans la série Community, dans laquelle il tient un second rôle bourré d’autodérision). Une journaliste du site américain Salon va jusqu’à se demander si le comédien n’est pas « trop bon« , ce qui prouverait selon elle que « le Daily Show ne tient que grâce au travail d’écriture de ses scénaristes ». Une exagération manifeste, qui met toutefois en évidence le don du comédien pour la présentation, et montre qu’il a les épaules pour devenir le visage d’un talk-show à part entière. C’est ce que la chaîne câblée HBO lui propose.
Un observateur extérieur ?
Le 27 avril 2014, John Oliver prend les rênes de son propre Late Show, Last Week Tonight, qui emprunte les mêmes accents que le Daily Show mais ose aller encore plus loin dans la critique. Pour le journaliste spécialiste de télé James Poniewozik, Oliver dispose d’un atout de taille : sa « perspective d’Anglais qui regarde les choses de l’extérieur« .
Le Britannique, qui a pourtant obtenu sa carte de résident permanent des Etats-Unis en 2009, a paradoxalement réussi à s’imposer comme un observateur presque objectif de la société américaine. Un double statut dont il joue : en fonction des sketchs, il se réfère aux Américains en utilisant le pronom « nous » ou le pronom « vous« .
Trente minutes par semaine, Oliver est libre d’émettre d’acerbes critiques sans risquer la censure (HBO ne diffuse pas de publicité pendant son émission). Des critiques qui font mouche : en une semaine, un de ses sketchs de 13 minutes a dépassé les 5 millions de vues. Il s’y attaque au grand paradoxe de la FIFA (en période de Coupe du monde, le sujet passionne), à la fois organisation soupçonnée de corruption et institution idolâtrée par les fans du ballon rond.
« Il dispose du don de dire aux Américains ce qu’il faut qu’ils fassent »
Quelques semaines plus tôt, c’est sa vidéo concernant l’immense polémique autour de la mise en danger de la « neutralité du Net » (le principe selon lequel les flux de données sur Internet doivent être traités de manière égalitaire) qui a fait le tour du monde. Il la conclut en encourageant son public à faire part de sa désapprobation sur le site de la FCC, l’autorité américaine charger de réguler les télécommunications (Commission fédérale des communications). Résultat : le site internet de la FCC a crashé, sous le poids de plus de 45 000 commentaires.
We’ve been experiencing technical difficulties with our comment system due to heavy traffic. We’re working to resolve these issues quickly.
— The FCC (@FCC) 2 Juin 2014
Le secret de la réussite de John Oliver se trouve peut-être là. D’après le Guardian, « il dispose de ce don, traditionnellement anglais, de réussir à dire aux Américains ce qu’il faut qu’ils fassent. » C’est en cela qu’il se différencie d’autres présentateurs, doués pour pointer les incohérences d’un système mais peu enclin à se battre contre lui.
Loin d’être un activiste, John Oliver assume toutefois un style plus direct et souvent plus dur (s’attaquer à la peine de mort aux Etats-Unis pour sa deuxième émission demandait du courage). Comme il l’a souligné à la radio américaine NPR (National Public Radio), il n’est « l’ami de personne » :
« Un comédien est censé être à l’extérieur et regarder à l’intérieur. Je ne veux pas aller à des fêtes à Washington avec des hommes politiques. Les comédiens ne devraient pas être là. Si vous vous sentez à l’aise dans une pièce avec eux, il y a un gros problème. C’est ça qui est si dérangeant, quand vous voyez des journalistes tellement à l’aise avec des politiques : c’est un drapeau rouge. »
Aujourd’hui, 4 millions de téléspectateurs regardent son émission hebdomadaire, tandis que 2 millions supplémentaires la visionnent en ligne le lendemain, définitivement accros à son franc-parler et à sa manière de voir « les choses plus largement » (« the bigger picture », comme il dit).
{"type":"Banniere-Basse"}