Les chantres de la guerre sainte usent des mêmes armes que les individus lambda : ils utilisent internet et les réseaux sociaux pour former et recruter leurs futurs combattants. Une dérive contre laquelle il est difficile de légiférer.
Pas besoin d’être un hacker de haut niveau pour tomber sur le guide pratique du parfait petit djihadiste ou entrer en contact avec des prosélytes de la guerre sainte en Syrie. “Les terroristes recrutent là où vont les individus lambda : sur des outils très grand public comme Facebook, Twitter ou les sites de partage de vidéos”, explique Nicolas Arpagian spécialiste du cyberterrorisme.
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Il existe aussi des sites dédiés au djihad. Ils donnent des conseils de bon sens : toujours partir d’un autre pays, avec un vol de dernière minute, emporter un sac léger contenant le nécessaire de survie. On peut aussi se procurer la revue en ligne Inspire, attribuée à la nébuleuse Al-Qaeda.
Recrutement, formation au maniement d’armes et d’explosifs, financement, propagande… : internet possède de nombreuses qualités utiles aux chantres du djihad. Et il est probable que parmi les huit cents ressortissants et résidents français à s’être rendus sur le sol syrien depuis le début du conflit en 2011, certains ont consulté l’un de ces sites.
un plan antijihad
Selon le ministère de l’Intérieur, ils seraient trois cent cinquante à combattre le régime d’Al-Assad aux côtés de groupes radicaux. Une trentaine de Français auraient déjà péri. La menace que constituent ces djihadistes préoccupe depuis un moment Manuel Valls. En mai 2013, alors ministre de l’Intérieur, il déclare dans Libération que “la traque sur internet doit être une priorité (…). Internet est devenu un vecteur de propagande, de radicalisation et de recrutement pour le terrorisme d’inspiration djihadiste.”
Mehdi Nemmouche, auteur présumé de la tuerie du Musée juif de Bruxelles, et premier terroriste présumé de retour de Syrie à frapper sur le sol européen, est venu confirmer ses craintes. Le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, a présenté le 23 avril un plan “antidjihad” pour prévenir les départs. Dans Le Figaro du 7 mai, le juge antiterroriste Marc Trévidic, l’avocat Thibault de Montbrial et le consultant Jean-Charles Brisard plaident pour une adaptation de la justice française : “L’appel au djihad s’est affranchi des mosquées salafistes et des imams radicaux pour proliférer sur internet, où le Googlistan fait plus d’adeptes que n’importe quel prêcheur de haine. (…) Une nouvelle infraction pourrait viser la préparation d’un acte terroriste objectivée par plusieurs faits matériels, tels que la consultation habituelle de sites internet de propagande, l’acquisition de composants ou de produits explosifs, le repérage de cibles, l’entraînement militaire et les mouvements financiers suspects.”
Une “liste noire” sans contrôle
Dix-sept jours plus tard, un homme armé tue au Musée juif de Bruxelles. Le 3 juin, le député UMP Guillaume Larrivé a déposé une proposition de loi ultrasécuritaire pour renforcer la lutte contre l’apologie du terrorisme sur internet. Il souhaite étendre au terrorisme un mécanisme en vigueur dans la lutte contre la pédopornographie en ligne. Le député propose ainsi de bloquer l’accès aux sites “faisant l’apologie des actes de terrorisme” selon une “liste noire” établie par l’administration sans contrôle d’un juge et “quel qu’en soit le support”, ce qui comprend les réseaux sociaux et Twitter.
“Le blocage administratif est peu efficace face aux évolutions techniques”, oppose le député Europe Ecologie-Les Verts Sergio Coronado. “De plus, il y aura toujours la tentation de bloquer plus que ce qui était visé. Enfin, comment définir l’apologie du terrorisme ? A partir de quand devient-on un apprenti à vocation djihadiste ?” Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois à l’Assemblée et spécialiste de la sécurité, juge “plus utile d’aller voir ce qu’il s’y passe que de bloquer les sites”.
le délit de consultation, anticonstitutionnel
Avec un blocage administratif, il incomberait aux fournisseurs d’accès à internet (FAI) de se substituer à la police. “A partir du moment où la surveillance menace la liberté des individus et l’Etat de droit, il ne faut pas que ce soit délégué aux FAI”, estime Adrienne Charmet de la Quadrature du net. Ensuite, Larrivé propose la création d’un “nouveau délit de consultation” de sites à caractère terroriste.
“Le délit de consultation est anticonstitutionnel”, rétorque Adrienne Charmet. “L’intention de délinquance n’est pas un fait, on n’est pas dans Minority Report”, ajoute Jean-Jacques Urvoas. Mais l’existence d’une telle infraction aurait-elle pu permettre de soupçonner Mohammed Merah comme le laissait entendre Nicolas Sarkzoy en 2012 ?
Bernard Cazeneuve a rappelé en commission des lois que, comme lors de l’examen de la loi antiterroriste, le “Conseil d’Etat considère cette incrimination comme pouvant constituer une violation disproportionnée de la liberté d’opinion et de communication garantie par la Constitution (…). Doit-on pour autant l’éluder ? Je ne le crois pas et je rejoins sur ce point les préoccupations du juge Trévidic”, qui souhaite croiser la consultation de sites avec d’autres faits délictueux, et non en faire un délit en soi. Fin juin, le ministre de l’Intérieur va présenter un projet de loi sur la sécurité. “Internet et terrorisme” en sera un des volets.
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