De la montée en puissance de la fondation Luma à la nomination d’un jeune directeur aux Rencontres, Arles prévoit un renouveau culturel et économique. Décryptage.
Étonnante Maja Hoffmann. Cette milliardaire d’origine suisse-allemande, héritière des laboratoires La Roche, a gardé un soupçon d’accent provençal pour avoir passé toute sa jeunesse en Camargue. Philanthrope reconnue – elle patronne notamment le Palais de Tokyo et la biennale de Venise – et descendante d’une famille passionnée d’art (sa grand-mère collectionnait les Picasso et les Braque), elle a jeté son dévolu sur Arles, souhaitant transformer sa “ville de cœur” en un centre mondial de l’art contemporain, grâce à l’élaboration d’un “complexe culturel” pharaonique dévolu à la création contemporaine.
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En ces temps de disette financière, le pari est de taille pour une ville de 50000 habitants non reliée à une LGV. Mais sa fondation Luma (contraction des noms de ses deux enfants, Lucas et Marina) se donne les moyens de ses ambitions et tisse lentement sa toile depuis sa création en 2004, d’autant qu’elle peut compter sur le renfort de la nouvelle Fondation van Gogh Arles à laquelle participe son père Luc Hoffmann. Après avoir lancé un vaste programme d’acquisitions destiné à fournir ses futurs locaux, la Luma passe à la vitesse supérieure. Son projet prévoit de faire d’Arles une Bilbao à la française, abritant un mini Guggenheim campant au milieu d’un ensemble de six hectares, doté d’un cinéma, d’un théâtre et peut-être même d’un hôtel.
Après une longue gestation de près de sept ans, les retards et les rebondissements du projet se sont accumulés, à tel point qu’on a pu croire à une arlésienne. La Commission nationale des monuments historiques rejette le projet initial : il ne respectait pas le périmètre patrimonial. Le permis de construire, de nombreuses fois retoqué, a finalement été accordé à un projet profondément retravaillé le 10 juillet dernier.
La manne providentielle de la fondation Luma
Qu’à cela ne tienne, la Luma dégaine son argument de poids : le financement. Son budget astronomique chiffré à 150 millions d’euros sera intégralement autofinancé par Maja Hoffmann, ce qui a laissé le président Hollande “impressionné” lors de sa visite officielle du chantier le 26 juillet 2013 : il a souligné à cette occasion que ce financement “est une aubaine” et qu’il n’y avait “pas d’autre projet de cette dimension en Europe”.
Le poumon de ce complexe culturel sera un “bâtiment-ressource” dessiné par l’architecte américain Frank Gehry, père du Guggenheim de Bilbao : une tour de 56 mètres de haut, surnommée le rocher lunaire, un gigantesque édifice de titane aux facettes irrégulières. La pose de la première pierre a eu lieu le 5 avril dernier en sa présence, avec une ouverture prévue pour 2018. Pour Frank Gehry, le frein principal à l’aboutissement du projet est que “les Français sont un peuple compliqué”, mais il reste serein : “Maja sait y faire”.
Pour l’occasion, jusqu’au 26 octobre, la fondation Luma propose au Parc des Ateliers une exposition intitulée Les Chroniques de Solaris, qui rassemble les maquettes de grande taille de plusieurs des réalisations de Frank Gehry : les visiteurs pourront y découvrir le modèle réduit du futur bâtiment-ressource arlésien. Hans Ulrich Obrist, commissaire de l’exposition, qui fait partie du “core group” de la fondation (un collectif également composé de Tom Eccles, Beatrix Ruf, Philippe Parreno et Liam Gillick), précise aux Inrocks l’idée directrice :
“Le but était de créer une exposition plus polyphonique que personnelle, à la manière d’une chorégraphie ; Gehry a eu l’idée de mettre en mouvement les maquettes comme un ballet.”
Obrist travaille déjà sur son prochain projet avec la fondation en collaboration avec Daniel Birnbaum (directeur du Moderna Museet de Stockholm), un projet qui en est encore au stade de l’incubation mais dont il confie aux Inrocks la primeur : l’exposition, qui mêlerait diverses disciplines et se déroulerait « comme un film », partirait d’une réflexion de Jean-François Lyotard, père de la philosophie postmoderne, qui avait confié à Daniel Buren qu’il avait toujours rêvé de faire une seconde exposition après Les immatériaux (1985) et qui s’intitulerait : Résistance. Au-delà de ce futur projet, Obrist souligne que le rôle de la Luma dans le paysage artistique international répond à “une logique de l’archipel et non une logique du continental”. Et de préciser : “un projet ne peut être global que s’il correspond à un contexte profondément local”.
« Nous sommes des boy-scouts qui campent par terre”
Le projet de construction a néanmoins déjà connu sa première controverse. Autour du site, la fondation Luma a prévu de progressivement réhabiliter sept bâtiments des anciens ateliers de la SNCF, achetés 10 millions d’euros à la région Paca. Problème : ces lieux étaient jusqu’alors utilisés par les Rencontres d’Arles, l’un des plus grands festivals de photo en France, que Maja Hoffmann connaît bien pour en être la trésorière. Le patron du festival, François Hébel, a estimé dès l’année dernière qu’on lui coupait l’herbe sous le pied en le privant de son lieu d’exposition le plus important.
Les ateliers SNCF d’Arles sont situés dans une véritable friche industrielle. Datant du XIXe, ces bâtiments en piteux état se transforment en fournaise l’été, et leur mauvaise condition a déjà joué des tours au festival : en 2012, le photographe allemand Andreas Gursky renonce à y exposer face à l’état des lieux. François Hébel s’indigne du manque de soutien de l’État qui n’a jamais procédé à la moindre dépense d’investissement dans les Rencontres : “Le festival de Cannes a son Palais. Nous, nous sommes des boy-scouts qui campent par terre”, a-t-il déclaré dans un article du Monde en juillet dernier.
Il contre-attaque en proposant son contre-projet : le Centre mondial de la photographie, dont le coût se chiffrerait à 34 millions d’euros sur dix ans. C’est trop pour l’État qui ne suit pas. D’autant que Maja Hoffmann affiche ses propres ambitions haut et fort : “il ne s’agit pas pour nous de faire des expositions de photo uniquement”. Tout en proposant un compromis : la galerie principale de l’Atelier des Forges sera mise à disposition des Rencontres chaque été par la Luma… en échange d’un loyer “symbolique”.
François Hébel claque la porte
Dont acte. François Hébel annonce sa démission en novembre 2013. Un départ controversé, qui suscite regrets (comme en témoigne sa standing ovation à la conférence de presse des Rencontres de 2014) et interrogations. Après douze ans à la tête des Rencontres, il laisse un festival assaini, au budget en forte augmentation et au public décuplé (près de 100.000 visiteurs attendus cette année), celui-ci fournissant plus du tiers de son revenu. Hébel n’a pas non plus hésité à lever le tabou du mécénat privé, dont la part d’investissement quoique modeste – 18% cette année – n’a cessé de croître.
Son successeur, Sam Stourdzé, 41 ans, vient d’être annoncé. Cet ancien pensionnaire de la Villa Médicis et actuel directeur du Musée de l’Élysée de Lausanne annonce la couleur dans une interview donnée au Monde le 17 avril 2014 : “Arles doit continuer à être le festival des photographes”, précise-t-il, en affichant sa volonté de renouvellement en “travaillant de manière plus expérimentale”. Mais le tropisme avec Maja Hoffmann reste entier, le président des Rencontres Jean-Noël Jeanneney soulignant que “Sam saura, j’en suis sûr, être avec elle dans une proximité distante”.
Les rencontres d’Arles se poursuivent
La 45e édition des Rencontres, qui se déroulera du 7 juillet au 21 septembre 2014, a donc des allures de chant du cygne : pour Hervé Schiavetti, vice-président des Rencontres et maire PC d’Arles qui vient d’être reconduit dans ses fonctions, “c’est une ère qui s’achève”. Rien d’étonnant à ce que François Hébel intitule le programme de cette année Parade car, comme il le précise, “c’est le dernier défilé avant de plier le chapiteau”. Il promet “un gigantesque cabinet de curiosités” : l’ambiance sera à la nostalgie, et ce d’autant que l’un des fondateurs de ce festival, le photographe Lucien Clergue, 79 ans, sera au rendez-vous. Cette année, une partie des Rencontres se déroulera faute de mieux dans les anciens locaux du siège du Crédit Agricole enjolivé pour l’occasion, un lieu qui a pour lui deux avantages: son emplacement, boulevard des Lices, et son équipement, avec ascenseurs et climatisation.
Les commémorations en rapport avec 1914 auront la part belle, avec l’exposition sous l’égide du photographe Raymond Depardon, intitulée 40000 monuments aux morts pour 1 350 000 morts, qui rassemblera ses clichés de monuments aux morts. Cette exposition se veut participative : tous seront invités à envoyer leurs propres photos de monuments aux morts. D’autres inédits se succèderont, avec entre autres David Bailey, qui n’avait pas exposé en France depuis 30 ans, Vincent Perez, qui révèle un talent peu connu, ou encore Denis Rouvre, qui boucle un tour de France de portraits. (Retrouvez ici l’intégralité du programme.)
Et pour clore le tout, François Hébel souhaite un grand bal avec “la troupe” et les spectateurs place du Forum. Afin de tourner la page en beauté.
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