Après les remous provoqués par les errements de son ex-directeur Robert Ménard, Reporters sans frontières veut mettre l’accent sur le développement international et les actions concrètes, comme l’explique l’actuel directeur Christophe Deloire.
En juin 1985, à Montpellier, quatre journalistes* décident d’une initiative qui fera date. Afin de mener des reportages dans des pays difficiles d’accès, et s’inspirant de Médecins sans frontières, ils créent Reporters sans frontières (RSF). Près de trente ans plus tard, l’ONG française représente un idéal de liberté à travers le monde. Et celui qui l’a portée jusqu’en 2008, Robert Ménard, est devenu une figure de l’extrême droite.
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En cette fin mai, le nouveau maire de Béziers agite l’univers médiatico-politique à la suite de l’interdiction de suspendre du linge dans les rues de sa ville. A sept cents kilomètres de là, Christophe Deloire, directeur général de RSF depuis 2012, prépare une nouvelle campagne.
Dans de lumineux locaux situés au cœur de Paris, à deux pas de l’Agence France-Presse, l’association s’intéresse à… la finale de la Ligue des champions de football. Dans le viseur : l’Atlético de Madrid, qui affronte ce 24 mai le Real Madrid. Une équipe sponsorisée par l’Azerbaïdjan, pays réputé pour sa répression des journalistes. Sur l’affiche créée par RSF, un maillot porte des rayures qui représentent des barreaux de prison, et l’inscription : “Azerbaïdjan, land of repression”.
« Naming et shaming”, nommer et faire honte
L’interpellation médiatique est l’un des héritages de la période Ménard que Christophe Deloire ne renie pas entièrement. “Un de nos leviers d’action consiste à faire ce que les Anglo-Saxons appellent ‘naming et shaming’ : nommer et faire honte. Plus notre caisse de résonance est large, plus nos interpellations sont efficaces.” Si l’Atlético a été sévèrement battu par le Real, il est encore tôt pour juger de l’impact de la campagne de RSF.
La priorité donnée à l’international est l’un des axes fondateurs de RSF que Christophe Deloire entend préserver. Mais pas forcément sur le même ton que celui de son célèbre prédécesseur. Ce dernier n’hésitait pas à teinter ses interventions d’une forte couleur idéologique. Parfois de façon confuse. Un jour, il s’en prenait de façon véhémente aux pouvoirs vénézuélien ou chinois, le lendemain il soutenait la chaîne de télévision du Hezbollah libanais, Al-Manar. L’actuel directeur général préfère investir d’autres champs.
D’une part, celui de l’aide pratique. “Nous aidons concrètement des journalistes ou des médias à faire leur travail dans des contextes impossibles, précise-t-il. Il s’agit parfois de soutiens modestes, de quelques centaines d’euros, mais qui peuvent s’avérer décisifs.” Par exemple lorsqu’il faut réparer le studio d’une radio au Honduras, fournir de l’aide à une journaliste rwandaise en exil, ou permettre à l’unique radio indépendante d’Erythrée d’émettre… depuis Paris.
10 000 prisonniers politiques en Erythrée
“L’histoire de Radio Erena, comme celle de l’Erythrée d’ailleurs, est méconnue en France, ce qui m’attriste car c’est l’une des actions dont je suis le plus fier, raconte Christophe Deloire. Dans ce pays, le pouvoir muselle les médias et envoie les journalistes dans un camp d’opposants sinistre, au bord de la mer Rouge. Il y a 10 000 prisonniers politiques en Erythrée. Un jour, un journaliste vedette du pays s’est échappé et s’est présenté à nous. Nous lui avons confié un studio de radio et depuis, nous le salarions. Il est écouté jusqu’à Washington, où la moitié des chauffeurs de taxi sont erythréens.”
D’autre part, RSF mise sur le lobbying législatif. Christophe Deloire a récemment fait le voyage au Gabon pour empêcher l’adoption d’une loi liberticide sur l’information et la communication. Une nouvelle est en préparation. “Je ne suis pas dupe de ce que fait le régime d’Ali Bongo et de la façon dont les journalistes sont traités. Bien sûr, nous n’allons pas tout changer du jour au lendemain, mais je considère ce type de pressions comme des avancées.”
RSF a en revanche un peu abandonné le terrain français, qui avait été un temps occupé par le successeur immédiat de Robert Ménard en 2008, Jean-François Julliard. L’un des reproches, parmi d’autres, faits à Robert Ménard portait sur la dérive corporatiste de RSF, au détriment d’un travail de critique des médias, en France particulièrement. Le journaliste et essayiste Jean-Claude Guillebaud, premier président de RSF de 1986 à 1993, quitta l’association pour ces raisons, tout comme Rony Brauman, qui en était le vice-président.
La France occupe depuis des années un rang pas très glorieux dans le classement annuel de RSF : celui de 2014 la place 39e sur 180, derrière la Namibie, l’Uruguay ou le Salvador. Si Christophe Deloire privilégie le développement international de l’ONG, il ne perd pas de vue le pays où il exerça, aussi bien à la télévision (TF1, Arte) que dans la presse écrite (Le Point). “Quand je compare la situation des médias français à celle d’autres pays, je suis surtout frappé par le manque d’enthousiasme de la profession. Du point de vue éditorial, il y a une forme de rétrécissement national assez regrettable, qui participe de la dépression du pays.”
RSF, elle, publie chaque jour des communiqués en arabe, farsi ou chinois. Et vient d’ouvrir sa huitième section à l’étranger, en Finlande.
* Robert Ménard, Jacques Molénat, Rémy Loury et Emilien Jubineau
Campagne de RSF à l’occasion de la finale de la Ligue des champions 2014
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