Considéré par beaucoup comme l’un des meilleurs freestylers français, Busta Flex nous reçoit dans son studio pour nous raconter son parcours : les soirées au Globo, NTM et son amour du hip hop.
Revenons sur tes débuts, c’est bien Cut Killer qui t’a découvert ?
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Busta Flex – Oui, il m’a invité sur Cut Killer freestyle Vol 1, la première K7 de freestyle. A l’époque, il y avait beaucoup de soirées à Paris où je venais pour poser : Le Globo, le Néo, Le Divan du monde ou le Pigalle’s. Moi, j’étais encore mineur. J’ai fait mes classes à Épinay-sur-Seine, dès l’âge de 15 ans. Ensuite, j’ai commencé à traîner sur Paris, vers 16-17 ans. Toutes les salles dont je vous parle organisaient des soirées rap avec open-mics qui commençaient vers 21h. Et vers minuit, ils balançaient un micro du plafond. On se mettait en ronde, le DJ balançait le son… C’était parti.
Les clashs étaient violents ?
Oui, grave. Tu pouvais faire des couplets mais le mieux c’était d’improviser…
Les rappeurs de l’époque que tu affrontais en freestyle ont-ils réussi à percer ?
Non, les mecs que je côtoyais à ces soirées n’ont jamais percé. Je ne me souviens d’ailleurs de personne. Pourtant, j’y allais souvent, je me suis fait un nom, j’étais le tenant du titre. Chaque dimanche, des nouveaux mecs se pointaient pour essayer de le prendre, je devais me défendre. Ils se passaient le mot : « Est ce qu’il est là ou pas ? » Parfois, ça partait en embrouille, les types n’aimaient pas se faire mettre à l’amende. Il faut savoir que j’étais très arrogant à l’époque. Je n’avais peur de personne. Mais pour moi, ce n’était que de la musique. Je n’étais pas une racaille ou un bagarreur, je réglais tout avec ma bouche. J’avais beaucoup de conviction, je me lâchais, je prenais du plaisir.
C’est comme ça que Cut Killer entend parler de toi pour la première fois?
Il connaissait des gens que je connaissais, on s’est rencontrés par des amis en commun. Lui avait déjà sorti des mixtapes mais là, c’était vraiment la première K7 de freestyle de rap français. Je rappais encore avec mon grand frère à l’époque. Notre groupe s’appelait Original Blue Funk. Nous sommes apparu sur la K7 en 96, entourés d’Afro Jazz, La Cliqua, Sleo, etc. Tous ces mecs étaient déjà confirmés. C’était un très beau cadeau que nous faisait Cut Killer. Grâce à lui, j’ai pour la première fois vraiment été mis en avant.
Tu enchaînes les projets avec Cut Killer ensuite ?
Oui, il m’a réinvité sur Hip Hop Soul Party 2. Ce double CD était l’un des rares projets à bénéficier de publicité à la télé. C’était fou. J’avais deux titres dans cette compilation (« C’est moi qui paie » et « Style gratuit »). Il m’a invité à faire l’intro de Busta Rhymes sur Woo Hah. J’avais 1 min 30 de freestyle avant son couplet. Ce truc, ça m’a tellement boosté, les gens ont vraiment accroché. J’ai eu un buzz de malade et ça m’a permis d’être invité sur plein d’autres projets.
Cut Killer te donnait-il des conseils, des points sur lesquels t’améliorer?
Cut Killer, c’est un mec qui te laisse bosser librement. Il aimait mon énergie. Il ne voulait pas de retenue chez l’artiste. Il lui laissait carte blanche. Si j’avais fait un truc tout claqué, je n’aurais peut-être pas eu la même carrière après.
Ces collaborations te permettent de sortir ton premier maxi, « Kick avec mes Nike ».
Mon premier maxi-vinyle ! Je l’ai sorti avec la Sauce production. C’est un label monté par Lone qui terminait son album en même temps que moi. Il a voulu monter un label avec des potes. On avait le même manager, un pote de mon grand frère qui avait des boutiques à Châtelet. A l’époque, dans les années 90, ces boutiques étaient importantes, comme le New York Store ou Double Source, rue de la Ferronnerie. Ces mecs-là, ils vendaient beaucoup de sapes. J’étais déjà à la mode, au courant de tout de ce qu sortait. même au niveau du son, ils ramenaient pas mal de nouveautés de New York. Il étaient hip hop. Ces mecs-là ont monté Homecore (la marque, NDLR). J’étais avec tous ces gens là au début. Tout est lié. J’ai rencontré plusieurs personnes à ce moment là, dont Lone. Un jour, ils m’ont emmené avec eux à New York chercher des sapes, je suis même allé dans l’entrepôt de Manhattan Portage. Ils ont été les premiers à avoir importé cette marque en France.
Tu baignais dans l’univers du hip-hop très tôt en fait ?
Ce n’est pas que de la musique, c’était vraiment une époque de convergence dans l’univers hip-hop parisien. Ça a fait partie de mon évolution. Lone avait signé chez Barclay. Il devait faire un solo chez eux. Il cherchait un rappeur, Il a demandé à mon manager qui leur a parlé de moi. Je suis venu j’ai fait le taff, il y a eu un bon feeling, il m’a réinvité sur sept des douze morceaux de son deuxième album. J’ai eu un buzz de fou. J’ai profité de la force de frappe d’une maison de disque. Il y a « Je représente » dessus, qui est devenu un gros classique rap underground. C’était une belle époque pour moi. Lone a produit mon titre « Kick avec mes Nike ». On a fait 3000 exemplaires. On est parti en caisse dans toute la France pour le distribuer chez les disquaires.Je me souviens, c’était un Chysler (rires). On a fait une vraie tournée des popottes.
Ça t’a pris combien de temps ?
Un petit mois environ. A l’époque, il n’y avait pas Internet. Je n’étais pas connu en dehors de Paris, je passais seulement dans les radios de la région. Il y avait Radio Libertaire (DJ LBR) tous les mardi de 22h à minuit. Générations, ils étaient encore à l’Hôpital à Evry. Et sur Radio Nova et Fréquence Paris Plurielle. On a fait la tournée, on a déposé les vinyles. Tout a été vendu très vite, on était content. Les maisons de disques se sont vite rendus compte qu’il se passait quelque chose.
On te retrouve après sur une compilation mythique : L432.
Ils voulaient un titre de moi pour leur compil et j’ai sorti « Le zedou ». Ce morceau a cartonné ! C’était une compil de fou L432, que du beau monde ! J’apparaissais encore comme un challenger sur cette compile. J’étais le seul qui n’était pas encore signé. Grâce à L432, les maisons de disques se sont encore plus intéressées à moi.
Tu étais encore avec la Sauce production à l’époque ?
C’est à cette époque que j’ai eu un souci avec la Sauce. J’ai arrêté de bosser avec eux. Le lendemain de cette décision, je vais chez chez Sony Music, j’étais en édition là-bas. Je leur ai dit que j’arrêtais de bosser avec la Sauce, je leur explique pourquoi, ils me disent qu’ils comprennent et qu’ils étaient OK pour me suivre. De là je sors du bureau, je prends l’ascenseur, et là je tombe sur Kool Shen qui était en production chez Sony avec son label, Epic. On tombe nez à nez. Il me dit : « C’est toi Busta Flex ? » On va dans un bureau et il m’explique qu’il a entendu parler de moi et qu’il voudrait réaliser mon premier album.
Tu étais fan de NTM ?
Tu n’imagines même pas. Je vais te raconter une anecdote. En 1995, NTM est en concert au Zénith pour Paris sous les bombes. Je vais les voir dans le public. J’ai pris une claque de dingue. J’ai eu la chance d’aller en coulisse pour aller les féliciter. Je leur ai dit que je m’appelais Busta Flex et que je venais d’Épinay, que j’arrivais dans le game en gros. Pas arrogant mais sûr de moi. Ils m’ont regardé de haut en bas, l’air de dire, « bah vas-y viens » (rires). « On t’attend ». Je l’ai un peu eu en travers de la gorge. Et deux ans plus tard, je me retrouve avec lui dans un bureau. Je ne lui ai pas rappelé cet épisode immédiatement, je l’ai fait bien plus tard. J’ai choisi Warner comme maison de disque, j’étais le seul rappeur chez eux. J’avais donc la garantie qu’ils mettent le paquet sur moi, j’étais leur exclu. Kool Shen m’a suivi, on a préparé mon premier album éponyme, qui a fini disque d’or.
Tu l’as préparé en combien de temps cet album ?
J’ai charbonné pour le sortir. J’avais pas de morceaux déjà prêts, à part « Le Zedou » et « Kick avec mes Nike ». Il m’a laissé choisir mes instru. J’écrivais en studio ou dans ma chambre, je n’avais pas de cadre de travail fixe. Je voyais Kool Shen tous les jours, parfois je dormais chez lui. On bossait beaucoup ensemble, il me guidait sur le vocabulaire, sur chaque mot, il me disait ce qui allait ou ce qui n’allait pas. Il n’a jamais écrit mes textes mais il m’a appris la rigueur et le professionnalisme. Au début, je n’avais aucune idée du travail en studio « sur la longueur », j’enregistrais un titre ou deux et basta. J’ai dû apprendre à prendre mon temps, à ne pas courir, à articuler, écouter les avis des autres. Une rigueur qui m’a servi toute ma vie.
Les gens avaient une fausse image de NTM selon toi ?
Travailler avec NTM, ça ne rigole pas. Les gens peuvent dire ce qu’ils veulent, aucun ne possédait leur professionnalisme en studio. A l’époque, j’avais tendance à tout envoyer d’un seul coup, puis être mort et ne plus avoir de jus. Kool Shen m’a appris à gérer mon énergie.
Comment avez-vous collaboré tous les deux ?
J’avais carte blanche sur le choix des prods. Je voulais bosser avec Zoxea, des Sages poètes de la rue, j’avais déjà fait un titre avec lui avant de signer en maison de disque. Le morceau n’est jamais sorti d’ailleurs, il est chez lui en lieu sûr (rires). On devrait le sortir, juste pour le délire. Zoxea a signé la prod de « 1 pour la bass ». Je voulais aussi des instrus du B.O.S.S (le label fondé par Joey Starr, DJ Spank et DJ Naughty J en 1998, NDLR). Enfin des prods de Madizm. A l’époque, mon DJ c’était Goldfinger, son manager était de Noisy-le-Sec. C’est lui qui avait entendu parler de Madizm, il m’a dit que ce mec possédait des prods de fou. On les a écoutées et on a pris une claque, ça se rapprochait beaucoup des sons new-yorkais qu’on écoutait. On avait des influences beaucoup plus east que west coast. Je l’ai ai faites écouter à Kool Shen qui est devenu fou lui aussi. On a ramené Madizm au studio. NTM enregistrait son album au même moment. On s’échangeait des instrus, il y avait une synergie, c’était mortel ! Madizm a fait « Majeur » dans l’album, ainsi que « What can I do ». Pour NTM, il a signé « Seine-Saint-Denis Style ».
Tu avais la pression pour finaliser ton album aussi rapidement ?
Oui et non, j’ai signé en juillet 97 et l’album est sorti en février 98. Il fallait que mon album soit fini pour la fin de l’année. J’avais un buzz de fou, il ne fallait pas que ça retombe. Mais attention, ça ne veut pas dire que je l’ai bâclé, j’étais bien trop passionné pour ça. Certaines chansons, tu dois rentrer dedans. C’est quelqu’un chose que je n’avais jamais fait, rentrer dans la musique.
Ça marque un gros changements par rapport aux freestyles de tes débuts…
Exactement, je mets une partie de moi-même dans mes couplets, ce que je ne savais pas faire, j’ai dû l’apprendre, savoir mettre de l’émotion. Tout ce qui a été sentiment, introspection, sensibilité, c’est grâce à cet album que j’ai pu l’exprimer. J’ai vécu des choses fortes dans ma vie et ça se ressent. C’est ce dont j’avais envie de parler.
On pense à ton morceau « Pourquoi », tu peux nous en parler ?
C’est différent, j’ai bien réussi à dissocier mes thèmes : ce que je voulais dire et à qui je voulais le dire. Dans « Esprit mafieux » avec Oxmo Puccino, il n’y a pas de règlement de compte ni d’allusions, il n’y a que dans « Pourquoi ». Je l’ai fait car, avec la Sauce production, j’avais un concert à faire avec eux, on est parti tous en équipe dans l’ouest à rennes (en mars 97, ndlr). Il y avait un autre groupe dont je ne citerai pas le nom. Ça c’est très mal passé le soir avant le concert avec ce groupe, c’est parti en bagarre et pendant la bagarre, les gars qui étaient avec moi m’ont abandonné. Je me suis retrouvé seul devant une dizaine de mecs, tu vois le tableau. C’est le lendemain que je me suis retrouvé à Sony. J’ai eu de la chance dans mon malheur. Les mecs avec qui je bossais depuis quatre ans m’ont laissé tomber et le lendemain je rencontre Kool Shen. Ça ce serait peut être passé autrement pour moi, mais finalement je m’en suis bien sorti. Ça aurait peut-être pris plus de temps car là, les choses se sont vite enchaînées. J’ai voulu écrire « Pourquoi », à la fin de mon album, j’ai signé en juillet 97 et j’ai fait le morceau en octobre.
Raconte nous la genèse d’un de tes morceaux cultes : « Jfais mon job a plein temps ».
On faisait des concerts pendant que j’enregistrais mon album, j’avais quelques dates. A la fin, il me manquait une chanson. Un jour, en fin de matinée, j’étais en studio avec Kool Shen, une journée tranquille, NTM finissait un truc sur un morceau. Zoxea débarque et me dit : « Mec j’ai une prod de fou pour toi. » Je demande à l’écouter, Kool Shen débarque. Zoxea balance la prod et là on se regarde tous et on se dit : « On la prend direct ! » On a pas hésité une seconde. Une fois que j’ai eu la prod, j’ai écrit le morceau tout de suite. C’était mon dernier morceau, je me suis lâché, j’ai raconté ce que je vivais vraiment. J’ai voulu faire un rap un peu plus humoristique, détaché. Kool Shen fait toutes les interventions. Je voulais rappeler que j’étais « un vrai mec du hip hop », je voulais le clamer : « Jfais mon job à plein temps ». Pour moi, faire de la musique ou travailler, c’est du pareil au même.
NTM enregistrait en même temps que toi, quand sont-ils venus te chercher pour faire « Hardcore sur le beat » ?
A quel moment, je ne me rappelle pas. Ils m’ont invité sur leur album, je les ai invités sur le mien. A l’époque, NTM ne rappait avec personne ! Le fait qu’ils viennent sur mon disque c’était une vraie prise de risque pour eux. J’étais tout petit par rapport à eux. Ils étaient à leur quatrième album et ils en avaient vendu des millions.
Pour quelles raisons étais-tu absent du mythique concert filmé de NTM Live au Zénith de Paris en 98 ?
J’étais malade et le pire, c’est que j’étais là dès le lendemain. Il y avait deux dates à Paris, je suis tombé malade le mauvais soir. C’est le destin vraiment, je peux rien dire de plus. Une extinction de voix. Peut-être qu’on m’a porté l’œil. Ce n’était pas un truc anodin. T’imagines un joueur de foot qui se tord la cheville à la veille d’une demi-finale de Coupe du Monde, c’est pareil. Je suis pas là. Chez moi, je pleure. Je ne pouvais pas y aller. Je suis rester chez moi, c’était très dur. Tout le monde était présent sauf moi. Ça m’a tué.
C’est l’un des plus gros regrets de ta carrière ?
Oui sans doute. Le seul moment où je pouvais faire une image avec NTM sur scène, ça ne s’est pas fait. Alors que j’avais fait toutes les premières parties sur la tournée. Et la seule date parisienne, je me retrouve sur le carreau. Un truc de fou.
Tu t’attendais à devenir disque d’or ?
T’es malade ! Je vais t’expliquer un truc, je suis un mec du rap, du hip hop, c’est ma passion. J’ai signé en maison de disque donc c’est devenu un travail. Mais me dire que c’était un objectif, non je ne l’avais jamais imaginé. Aujourd’hui, je peux me dire que j’espère le faire mais pas à l’époque, je n’osais l’espérer.
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