En répliquant avec humour à un lancer de banane, le 27 avril, Daniel Alves, joueur brésilien du FC Barcelone, a connu un succès planétaire. Ce genre de manifestation raciste est de plus en plus visible dans les tribunes ces dernières années. Comment l’expliquer ?
Dimanche 27 avril, le défenseur brésilien du FC Barcelone Daniel Alves a été victime d’un lancer de banane venu des tribunes – un geste raciste assez fréquent dans les stades de football – lors d’une rencontre à Villareal dans le cadre du Championnat d’Espagne. Stoïque, il l’a ramassée pour en manger un morceau, avant de tirer son corner comme si de rien n’était. Une image de décontraction et d’humour qui a fait le tour du monde. Sur Twitter il a commenté son geste: “Mon père m’a toujours dit: ‘Mange une banane si tu veux éviter les crampes’. Vous l’aviez deviné? Nous sommes plus forts que ça ». « Cela fait onze ans que je suis en Espagne et depuis onze ans c’est pareil. Il vaut mieux rire de ces attardés », a-t-il encore commenté à chaud après le match.
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Lancers de bananes et cris de singes font effectivement florès dans les stades depuis une dizaine d’années. Pourquoi le racisme s’y est-il implanté?
L’intolérance fructifie dans les tribunes
Le racisme des franges radicales des supporters ne date pas d’hier, et la banane en a été le vecteur à plusieurs occasions. En 1988, lors d’un match contre Everton FC, John Barnes, joueur anglais d’origine jamaïcaine de l’équipe de Liverpool, recevait déjà à ses pieds le fruit exotique riche en potassium, lancé par un supporter haineux. En France, c’est le gardien franco-camerounais Joseph-Antoine Bell qui a fait les frais de jets de bananes en 1989 au Stade Vélodrome de Marseille, alors qu’il jouait dans l’équipe de Bordeaux. Comment ce racisme primaire s’est-il invité dans les stades?
« C’est avec l’apparition des joueurs africains et brésiliens dans les championnats européens notamment que l’on assiste aux manifestations racistes les plus virulentes. Cela commence à partir de la fin des années 1970 », explique le sociologue du sport Patrick Vassort. Dans les années 2000, les manifestations de haine raciale dans les stades ont connu un regain : en 2005 Marc-André Zoro, le défenseur ivoirien de Messine, tentait de quitter le terrain sous les cris de singe lancés par les supporters de l’AC Milan ; en juillet 2013, excédé par les quolibets racistes, le joueur guinéen de l’équipe de Milan Kevin Constant était contraint de quitter le terrain ; en France, Abdeslam Ouaddou et John Mensah ont été victimes d’attaques de ce genre ; en Russie, en Espagne, en Serbie, les mêmes scénarios se répètent.
Selon Patrick Vassort, le football compétitif exacerbe les identités, d’où le racisme qui le parasite parfois : « Les maillots, les couleurs, les symboles permettent aux supporters de se retrancher derrière une identité. Cette communion se fait toujours contre l’Autre, et si l’Autre est un joueur noir, alors on va stigmatiser ‘joueur noir’, ce qui donne lieu à des manifestations racistes de bas étage.”
Des groupuscules d’extrême droite font du prosélytisme
Le regroupement de supporters ultra-nationalistes, adeptes des croix celtiques, dans les virages de certains stades explique aussi l’ampleur de ce racisme au ras de la pelouse : les Ultras Sur à Madrid, récemment exclus, les Dogues Virage Est de Lille, dont le club s’est désolidarisé, ou encore les groupuscules d’extrême droite qui s’étaient greffés au club de Boulogne et qui étaient actifs au Parc des Princes. « Historiquement, dans le Parc des Princes au cours des années 1980, des groupuscules d’extrême droite très actifs, liés au mouvement skinhead, se sont installés pour faire du prosélytisme et recruter. Mais cette stratégie ne s’est pas révélée probante”, relate Jérôme Latta, rédacteur en chef des Cahiers du foot. « Il y a effectivement dans les stades partout en Europe des groupuscules d’extrême droite activistes qui s’infiltrent dans les tribunes, car c’est un lieu où ils vont recruter », comfirme Patrick Vassort.
Si la méthode ne s’est pas révélée efficace de ce point de vue, ces groupes demeurant toujours très minoritaires, leurs coups d’éclat leur permettaient en revanche de les médiatiser. « Dans les années 2000, dans le Parc des Princes du côté du Kop de Boulogne, on entendait des cris de singes dès qu’un joueur noir touchait le ballon, relate Jérôme Latta. C’était une sorte de provocation devenue rentable pour ses auteurs car elle était relayée par les médias sur le ton du scandale, ce qui présentait un intérêt évident pour ces groupuscules. La tribune Boulogne leur servait de chambre d’écho médiatique efficace, car leur provocation fonctionnait ».
Quelle parade trouver au phénomène ?
La lutte contre le racisme dans le football a pris forme de manière combative et hétéroclite dans les années 2000. « Il y a eu une prise de conscience, car les manifestations sont devenues plus visibles, tandis que le niveau de tolérance global de la société, des médias et instances du foot a diminué », explique Jérôme Latta. En 2005 la marque Nike a mené une campagne nommée “stand-up speak-up”, avec Thierry Henry comme figure de proue, qui consistait à vendre des bracelets noirs et blancs pour manifester son opposition au racisme. Des ultra antiracistes ont déployé des banderoles dans les stades pour lutter contre les groupuscules nationalistes. Des associations comme Football against racism in Europe ont vu le jour en Angleterre, où les tribunes ont été assainies. A certaines occasions, le racisme s’est cependant déplacé, descendant sur la pelouse même, où des joueurs se sont invectivés avec des injures racistes, comme lorsque Patrice Evra s’est fait traiter de « négro » par Luis Suarez, le 15 octobre 2011, lors d’un match de Championnat d’Angleterre. Pour autant, selon Jérôme Latta, « la prise de conscience et les disqualifications des expressions racistes est un processus engagé depuis assez longtemps dans le football, et leur sanction est plus systématique ».
Une inquiétude persiste : la montée des populismes en Europe pourrait provoquer une recrudescence des actes racistes dans les stades. « Quelque part, les résultats des élections en Europe et en France permettent à ces groupes de se lâcher plus, de trouver une légitimité à leur combat politique, avance Emmanuel Ygout, responsable sport de la Licra. Cela montre qu’il ne faut jamais baisser la garde au niveau des instances des ligues de football professionnel, des clubs et des autorités ».
En mordant à pleines dents dans sa banane, Daniel Alvès a peut-être ce dimanche trouvé la parade pour désamorcer ces provocations, en répondant de la plus belle des manières : c’est de son geste que l’on a plus parlé dans les médias, et pas de celui des supporters. « C’est exceptionnel, il a pris à contre-pied l’action raciste des supporters, remarque Emmanuel Ygout. Il a répondu sur le ton de l’humour, ce qui est très bien joué car il a retourné les choses à son avantage. On peut le saluer, car ce n’est pas évident : un joueur peut quitter le terrain, un arbitre peut arrêter le match, mais ça ne se fait pratiquement jamais. »