Stéphane Beaud est un chercheur qui prend le football au sérieux, c’est-à-dire qu’il le considère “comme fait social et politique”. C’est aussi un supporter en colère contre la presse sportive. Après quelques classiques de la sociologie tels que Retour sur la condition ouvrière (1999) ou Violences urbaines, violence sociale (2003), tous deux avec Michel Pialoux, […]
Stéphane Beaud est un chercheur qui prend le football au sérieux, c’est-à-dire qu’il le considère “comme fait social et politique”. C’est aussi un supporter en colère contre la presse sportive. Après quelques classiques de la sociologie tels que Retour sur la condition ouvrière (1999) ou Violences urbaines, violence sociale (2003), tous deux avec Michel Pialoux, il publie Affreux, riches et méchants ? – Un autre regard sur les Bleus à La Découverte, seconde mouture de Traîtres à la nation ?, son enquête consacrée aux crispations autour de l’équipe de France après la déroute sud-africaine de 2010 et l’affaire du bus de Knysna, grève de l’entraînement devenue affaire d’Etat. Quatre ans plus tard, un Euro 2012 décevant, et une qualification arrachée avec panache, la rédemption est-elle acquise ? Fin des “traîtres à la nation” de 2010, et retour à une évaluation plus calme et équilibrée, à la seule aune du jeu pratiqué et des résultats obtenus ? Peut-être, s’ils gagnent un peu et séduisent beaucoup, sinon gare aux vieux démons…
Très loin de l’union sacrée hystérique de 1998, et de son slogan “rassembleur mais trompeur” (“Black-Blanc-Beur”, ça paraît loin, non ?), les Bleus de 2014, même auréolés de leur exploit contre l’Ukraine, pas anodin pour un groupe si jeune et inexpérimenté, continuent d’inspirer de la défiance, quand ce n’est pas de la détestation pure et simple. Beaud rappelle la tonne de préjugés sociaux qui se sont abattus sur les mutins de Knysna, et la grande déception des plus excités des commentateurs quand on a découvert qu’un des leaders de la grève n’était autre que le sage Jérémy Toulalan, si footeux à l’ancienne, si bien élevé, pas du tout le profil d’un de ces caïds de banlieue que dénonçait Roselyne Bachelot.
L’épisode du bus était grotesque, certes, mais pourquoi imputer ce moment d’aveuglement collectif à l’origine sociale et territoriale des joueurs, comme si les méchants “jeunes des cités” l’avaient emporté sur les autres, les gentils, les “apeurés” qu’évoquait la ministre ? Avec ses armes de sociologue et une parfaite connaissance des us et coutumes du football d’aujourd’hui, Beaud déconstruit patiemment le bruit médiatique dominant. Et pointe comment la vulgate journalistique reproduit sans coup férir l’habituelle et fort sarkozyste désignation des jeunes des cités comme LA nouvelle classe dangereuse.
Dans le foot aussi, surtout dans le foot puisqu’ils y sont effectivement surreprésentés, puissant facteur d’ascension sociale oblige. Mais que faisaient leurs parents ? Quels “êtres sociaux” sont-ils ? Mais qu’importe… La fausse piste raciale et banlieusarde suffit à faire d’eux des suspects, des fauteurs de troubles en puissance, indignes du maillot. Alors que Dominique Rocheteau non plus ne chantait pas La Marseillaise… Mais lui était un ange (vert), pas une racaille à capuche.
C’est bien un inconscient social, voire colonial, qui s’exprime quand la crème de nos footballeurs, exemples de la belle jeunesse française, celle qui s’active, réussit à l’étranger et gagne beaucoup d’argent après tout, sont représentés comme des abrutis incapables d’aligner trois mots ou des grenades caractérielles prêtes à exploser à la première contrariété. Cet éternel procès en légitimité, mené par de soi-disant experts qui préféreraient des joueurs qui leur ressemblent davantage, belote comprise, en dit long sur une certaine névrose française. Que même une improbable victoire en Coupe du monde ne suffirait pas à soigner tout à fait…
Frédéric Bonnaud
Affreux, riches et méchants ? – Un autre regard sur les Bleus de Stéphane Beaud, avec Philippe Guimard (La Découverte), 280 p., 12,50 €