Le plus prolifique des chorégraphes japonais actuels nous a reçus à Tokyo. Dialogue.
Saburo Teshigawara est enfin chez lui dans les studios Karas Apparatus ouverts l’année dernière à Tokyo. Au cœur de ce quartier Ogikubo où l’on croise des mamies enjouées, on repère la (fausse) pâtisserie française de rigueur. Loin de la folie habituelle de Tokyo. “Je suis né du côté de Shibuya avant que ce coin ne devienne l’un des plus animés de la ville. J’apprécie le calme relatif d’Ogikubo”, murmure Saburo Teshigawara. Rien de tapageur dans cet espace, en fait deux studios de danse dont on peut aussi faire une galerie. Le tout en sous-sol. “C’est un lieu modeste mais ici on ne compte que sur nous même. nous tournons beaucoup pour faire vivre la compagnie et désormais cet endroit. On a le minimum nécessaire au niveau technique. Mais ce doit être le prix de la liberté. Je déteste l’idée d’être pris au piège d’une trop grande structure. Et au moins personne ne me dicte mes emplois du temps.”
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Une danse lumineuse et inquiète
Formé au classique et à la peinture, Teshigawara est l’une des révélations du Concours de Bagnolet en 1986. Dans la foulée, l’Europe va s’enticher peu à peu de sa danse. Teshigawara est vite devenu un habitué des grands festivals d’été – Montpellier Danse hier, le Festival de Marseille cet été. On le retrouve au programme de Chaillot ou du Ballet de l’Opéra de Paris pour lequel il a signé deux ballets. Au Japon, il est l’un des rares chorégraphes qui peut tourner sur plusieurs villes, fort de ses liens avec différents théâtres locaux. Cet été, il s’offre une pièce, Sleep, avec en guest star Aurélie Dupont, étoile de l’Opéra de Paris. « Mais elle vient pour une pièce de groupe, pas pour un gala ! Je déteste cela d’ailleurs. J’aime son ouverture d’esprit, elle n’a pas hésité à se glisser dans un ensemble. »
En voyant dans son studio des extraits de Dah-Dah-Sko-Dah-Dah – créé en 1991 – on comprend ce qui peut fasciner un danseur, qu’il soit classique ou contemporain. Une précision du geste, souvent ciselé, une virtuosité assumée et une recherche plus intérieure. La danse de Teshigawara est un peu à l’image de Tokyo, lumineuse et inquiète.
« Ce que je recherche chez un interprète, c’est une vision des choses plus qu’un style. Je me fiche de bons danseurs, je veux de belles personnalités. Je me demande ce que je peux partager avec cette personne. Et si je connais la réponse à l’avance, cela m’intéresse moins. Chaque jour, je recommence à zéro avec mes danseurs. C’est parfois dur pour eux. Je connais certains danseurs depuis des années mais je les vois toujours comme la première fois. »
« De la spontanéité, comme chez un pianiste de jazz »
Le chorégraphe japonais a développé une méthode qui lui est propre. Il parle d’air et de respiration. Mais pas d’improvisation. « Plutôt de la spontanéité. Comme chez un pianiste de jazz. » Il essaye de garder le plus possible ses créations disponibles en tournée. « Mais il ne s’agit pas de reproduire lorsque je redonne une pièce. Je ne veux pas que ma danse est à voir avec cela. La danse, c’est ce qui arrive. » Au présent donc. Pour cette tournée en France, il reprend She, un de ces solos emblématiques pour Rihoko Sato, Mirror and Music ou Miroku ce dernier qu’il danse avec une grâce indicible. « Ce n’est pas important que je sois sur scène à mon âge (60 ans), ce qui est important c’est que j’y prenne du plaisir. » Comme toujours, il fourmille d’envies et de projets. Que ce soit une pièce avec du texte autour du polonais Bruno Schulz – également un dessinateur…- ou en 2015, avec cet opéra Solaris du compositeur contemporain Dai Fujikura avec une autre étoile, Nicolas Le Riche. « En tant que directeur artistique, je dois garder ‘les portes’ ouvertes. »
Il anime des atelies, garde un œil sur les très jeunes danseurs, « ceux qui n’ont pas encore choisi leur voie. Les voir avant que la technique propre à la danse contemporaine ne soit fixée dans leur esprit ». En répétition ce jour là, il est d’une infinie patience mêlée de douceur. Que ce soit pour reprendre une passe d’arme, des frappes de pieds au sol ou pour régler un duo d’une rare puissance. « Le corps est un tel instrument », lâche Saburo Teshigawara comme s’il s’émerveillait lui-même devant cette évidence. Celui qui signe la plupart du temps ses lumières ou ses scénographies sait ce que la danse a encore à nous dire. « Je veux voir les visages », l’entendra-t-on glisser à un moment de la conversation. Saburo Teshigawara n’a pas son pareil pour les sculpter d’ailleurs. Dans Tokyo, la ville aux millions d’anonymes, ce n’est pas la moindre des qualités de Tesigawara San.
Philippe Noisette
She, Maison de la culture du Japon à Paris 7 au 9 mai 2014
Dah-Dah-Sko-Dah-Dah, Théâtre national de Chaillot à Paris, du 13 au 16 mai 2014
Obsession, Théâtre de Nîmes 21 au 22 mai 2014
Miroku, La Comédie de Clermont-Ferrand, Scène nationale 27 mai 2014
Mirror and Music, Festival de Marseille (au Silo) 26 et 27 juin 2014
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