Après en avoir fait un film, Whit Stillman en a fait un roman : plongée dans le New York eighties sur fond de Sister Sledge et de désillusions, « Les Derniers Jours du disco » paraît enfin en France.
Revenu au cinéma en 2011 avec Damsels in Distress, une comédie musicale et romantique avec Greta Gerwig, Whit Stillman avait signé en 1998 son précédent film, Les Derniers Jours du disco, avec une autre actrice blonde, Chloë Sevigny. En 2000, un éditeur américain en commandait sa « novelisation ». Dans l’introduction au livre, qui paraît enfin en France, Stillman explique pourquoi il a accepté de faire de cette histoire (de sa vie) un roman après en avoir déjà tiré un film : « Pour saisir un pan de notre vie, de notre culture, et l’enrichir. Pour traduire, décoder les épisodes que nous avons vécus et, sinon pour se les approprier, du moins en préserver la mémoire écrite. » Parce que le virage que vivent les protagonistes des Derniers Jours… est l’un des plus marquants de leur vie : il les transforme, les fait mûrir et conditionnera le reste de leur existence.
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Ton univers impitoyable…
New York, début des années 80 : des jeunes gens fraîchement sortis de l’université font leurs débuts dans la vie professionnelle – la publicité pour Jimmy Steinway, alter ego de l’auteur, et l’édition pour Charlotte et Alice, les deux héroïnes – et découvrent son univers impitoyable où chacun peut se faire virer du jour au lendemain. Leurs liens se noueront à travers deux points centraux, autour desquels tourne tout le livre : le Club, sorte de deuxième Studio 54, la scène branchée par excellence, où il est très dur d’entrer, plus facile d’être éjecté, et où ceux qui réussiront à « en être » se livreront à un chassé-croisé amoureux et amical, sur fond de BO impeccable signée Sister Sledge ou Nile Rodgers ; et la blonde Alice, une jolie fille un peu inhibée, sans cesse malmenée par son amie et colocataire, la brune et cynique Charlotte, mais qui attire tous les désirs masculins et devient la pierre d’achoppement de toutes leurs rivalités.
Dès le début, Jimmy Steinway a le béguin pour Alice, mais il finira par sortir avec Charlotte parce qu’entre-temps Alice, qui se sentait aussi attirée par Jimmy, a passé la nuit avec Tom, qui la larguera sans pitié quelques jours plus tard au Club en lui balançant : « Pourquoi quand une fille a envie de coucher avec un inconnu, son QI chute de quarante points ? » Elle avait cru qu’elle deviendrait « sexy » en se rendant légère, elle n’a fait que se prendre les pieds dans le tapis.
Carte de Tendre eighties
Les Derniers Jours du disco regorge de cette ironie de l’existence à laquelle nous nous heurtons constamment : des malentendus et des accidents qui contrôlent nos vies bien davantage que nous-mêmes, qui nous mènent à l’échec, à dévier de la route qu’on s’était choisie, à remplacer nos désirs par d’autres, qu’on n’aurait même jamais pensé éprouver. Dans cette carte de Tendre eighties, s’ajoutent d’autres personnages hauts en couleur : Josh, un maniaco-dépressif terriblement attachant ; Holly, la troisième coloc des filles, que tous soupçonnent d’être bête, mais surtout Dez, le gérant du Club et meilleur ami de Jimmy, un womanizer qui tombe sous le charme d’Alice. Qui finira-t-elle par choisir ? Fera-t-elle un choix masochiste en la personne de Dez ? Ou Jimmy et elle finiront-ils par se retrouver dans un happy end ?
Ces questions, jamais lourdes, effleurent sans cesse le lecteur, harponné par le charme de conversations drolatiques entre les protagonistes : après s’être fait virer du Club par Van, le videur superclasse du lieu, sous prétexte qu’il trouve ringard d’avoir ces « yuppies » parmi sa clientèle, le groupe s’interroge sur la notion de « yuppie », et si ça existe vraiment. Peut-on être maître de son destin ou non, se demandent Charlotte et Alice, et ainsi forcer les choses ? Faut-il ou non caser le mot « sexy » dans la conversation pour séduire un mec ? Les vodka-tonic et les whiskey sour s’accumulent, la coke fait son entrée sur la scène du Club, mais bientôt, le disco ne sera plus qu’un souvenir, comme les nuits pleines d’espoir et d’insouciance de leur jeunesse.
« Le disco ne sera jamais mort »
A la fin, un des personnages déclare que « le disco ne sera jamais mort », mais trop tard, l’époque et leurs vies ont basculé dans un autre temps, celui des désillusions de l’âge adulte. Tout au long du roman, le disco aura été cette « utopie » de vie heureuse, de possibles, une société secrète où l’on peut se réinventer, où tout est joyeux et léger, au sein d’un monde où les rapports professionnels sont d’une dureté glacée.
Près de vingt ans après ces épisodes, tous se rassemblent une ultime fois autour de la projection des Derniers Jours du disco, le film inspiré de leur jeunesse par Jimmy Steinway/Whit Stillman, suivie de cocktails chez Petrossian. Et Dez déclare que toute sa vie amoureuse, qu’il a ratée, a été marquée par Alice, par celle qu’il n’a jamais pu atteindre, allant de fille en fille sans pouvoir les garder, hanté par ce premier échec. Et Stillman a bien fait d’en faire un roman. Ce qu’il a ajouté à un film déjà réussi, ce sont les commentaires et les pensées, la psyché de chacun, et ainsi, bien plus de profondeur psychologique et émotionnelle à chacun des personnages. Les Derniers Jours du disco a quelque chose des Lois de l’attraction de Bret Easton Ellis, la noirceur en moins, le romantisme en plus. Le roman, très beau, d’une nouvelle « génération perdue ».
Nelly Kaprièlian
Les Derniers Jours du disco (Tristram), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Olivier Grenot, dessins de Pierre Le Tan, 384 pages, 21,50 €
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