Exilé au Pays basque, l’ancien gourou de France Inter continue de faire des playlists. Il sort ces jours-ci une nouvelle et double compilation bourrée de classiques. L’occasion d’évoquer avec lui son rapport nouveau à la musique, la tentation d’Internet et l’angoisse du temps qui passe.
Tu sors cette deuxième compilation moins d’un an après la première. D’où vient cette excitation ?
Ca fait partie des choses qui m’échappent un peu. Je crois que Parlophone a été étonné du succès de la première compilation, et que dans la mesure où il manquait pas mal de choses, ils ont estimé qu’il y avait de la place pour une deuxième compile dans la lignée de la première.
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L’as-tu pensé toi-même comme un prolongement ?
On m’avait demandé ce qui pourrait résumer ma carrière à la radio. Mais comment peut-on résumer 40 ans de radio en deux disques ? C’est quasiment impossible. Il y avait des choses qui manquaient sur la première, et il en manque encore aujourd’hui.
La première était très fin 80/début 90. Y a-t-il une chronologie ?
Non, aucune chronologie, ni sur la première ni sur la deuxième. Les choses me sont venues à l’esprit un peu en vrac. C’est vrai, la première était très concentrée autour des années 80, et la seconde rassemble des choses un peu plus récentes. Quand on me demande d’évoquer mes années de radio, je dois bien dire que les plus importantes restent celles au tournant des années 80/90.
S’il fallait trouver un fil rouge entre tous ces morceaux, ce serait surement la mélancolie…
J’ai toujours aimé les choses un peu mélancoliques. Et j’ai toujours fait mes programmes très égoïstement, en sélectionnant ce qui me plaisait avant tout. J’ai toujours pensé, à tort ou à raison, que la musique était avant tout une question d’émotion. Dans ces compilations, on trouve des choses qui m’ont énormément touché. Après, je ne peux pas dire que toutes les chansons m’ont renversé émotionnellement. Certaines ont été des fulgurances, elles sont là pour l’énergie. Dans le genre de musique que j’ai toujours défendu, il y a cette espèce de rôle primaire, qui repose essentiellement sur l’énergie. Il y a quelques morceaux comme ça sur la compile. Et puis il y a des choses beaucoup plus profondes, plus souterraines, avec cette mélancolie latente.
Et la nostalgie ?
Il n’y en a pas trop. Mais quand on part sur une idée de compilation censée revenir sur des années de radio, on est forcément un peu dans la nostalgie. On ne peut pas renier ce ressort très important. La nostalgie, c’est pour tout le monde pareil. Si on demande à n’importe qui d’évoquer les albums, les chansons, les instants de musique qui ont compté, ça va forcément reposer sur la nostalgie. La nostalgie, c’est quelque chose d’important. Certaines musiques ont le pouvoir d’influer sur les existences. Mais je ne vis pas en écoutant uniquement de la musique d’hier !
Pourquoi ouvrir cette compilation avec le Do You Remember The First Time de Pulp ?
C’est un groupe que j’ai beaucoup défendu. Enfin « défendu »… Ca ne veut rien dire, « défendre ». Mais c’est un groupe qui a toujours été présent dans mes programmations. Jarvis Cocker est un garçon que j’aime beaucoup. Concevoir une compile sans Pulp, c’était difficile. Mais il se trouve que les droits d’auteur qu’on avait demandé sont tombés quelques semaines après la sortie de la première compilation. Il y avait une urgence de combler certaines lacunes involontaires.
Ton rapport à la musique a-t-il changé depuis ton départ de France Inter ?
Il a changé du tout au tout, dès l’instant où je suis parti. Je vivais à travers la musique, j’étais complètement immergé dans ce que je faisais. Le matin, à peine un pied par terre en me levant, mon premier geste était de mettre un lecteur de CD en route. Et ça durait jusqu’au programme du soir. Ne serait-ce que la profusion d’albums qui m’arrivaient, et qu’il fallait que j’écoute… c’était dément. Depuis que j’ai arrêté la radio, je n’ai plus du tout reçu d’albums. Maintenant, j’écoute de la musique pour le plaisir plutôt que par geste professionnel.
Les compilations, c’est un exercice qui te plait ?
Je suis très étonné qu’il y en ait une deuxième. J’étais déjà septique sur la première… Même s’il y a quelques choix plus souterrains, c’est quand même des morceaux archi-connus. Et puis c’est une compilation qui, je pense, s’adresse à des initiés, à des gens qui m’ont écouté, des gens qui connaissent déjà tout ça par cœur. J’avoue avoir douté de l’intérêt d’un tel produit. Il se trouve que ça a plu, et que ça a marché… Mais j’ai conscience que c’est une toute petite parenthèse. Jamais je ne me suis mis en tête que ça pourrait devenir un job à part entière. Je ne vais pas sortir deux compiles par ans pendant dix ans !
Il n’y en aura pas de troisième ?
Au moment où je te parle, non, je ne pense pas.
Tu pourrais utiliser Internet…
J’y ai pensé en partant de la radio, parce que tout le monde me l’a conseillé. Que ce soit un blog, ou même une web radio… Pourquoi pas. Mais je ne me vois pas travailler seul dans mon coin. Il faudrait vraiment qu’il y ait une petite structure autour de moi. Au moins une petite équipe. Ce n’est pas pareil que de travailler à la radio. C’est une autre démarche. Je ne me vois pas faire ça tout seul.
Et les réseaux sociaux ?
Je me dis souvent que c’est très con de ne pas utiliser ces moyens de communication formidables. Mais d’abord je ne les maitrise pas techniquement. Et puis tout ça est encore un peu abstrait pour moi. Mais encore une fois, si j’étais entouré d’une ou deux personnes qui me dirait comment faire, ou qui géreraient pour moi tout le côté technique, pourquoi pas. Ca me plairait bien.
Tu as écouté quoi cette année ?
C’est très difficile d’en parler. Encore une fois, avant j’écoutais de la musique toute la journée, et dès que je tombais sur quelques chose qui m’intéressait, il y avait une urgence pour moi de partager ça très vite. Parfois je découvrais des trucs dans l’après-midi et c’était dans le programme du soir. Je perdais aussi beaucoup de temps à écouter des choses dont je n’allais rien faire. Il y avait un déchet monumental. Maintenant, je me demande à quoi ça me servirait d’écouter des tonnes de choses. J’ai fait l’impasse là-dessus. Aujourd’hui, je me dirige directement vers ce qui est censé m’intéresser. Je sais par exemple qu’actuellement, il y a une Belge qui s’appelle Melanie de Biasio. D’après ce que j’ai lu, je sais qu’il y a neuf chances sur dix que ça me plaise. Je ne fonctionne plus de la même façon.
Il y a eu de grands rendez-vous ces derniers mois. Arcade Fire, Daft Punk, La Femme…
Daft Punk, ça n’a jamais été ma tasse de thé. La Femme encore moins. Arcade Fire, oui. J’ai bien aimé l’album. Mais je continue de m’intéresser à des choses beaucoup plus marginales. Je n’ai pas en tête tout ce qui m’a emballé cette année, mais je peux citer Laura Veirs, Jonathan Wilson, des choses comme ça.
Qu’est-ce qui t’as marqué en dehors de la musique ?
C’est le piège des interviews. Là je vais te répondre un truc à la con, et plus tard dans la journée je vais me dire : « merde ! C’est évidemment ça qui m’a chamboulé cette année ! ». Il faudrait que je réfléchisse…
Comment vois-tu l’avenir ?
Assez sombre. Quand je vois le père Foulquier qui a cassé sa pipe à 70 balais (Jean-Louis Foulquier, fondateur des Francofolies de La Rochelle, est décédé le 10 décembre dernier – ndlr), et que je vois que je n’en suis pas loin, ça fait réfléchir… Pour moi l’avenir, c’est le temps qui reste. Je n’y pense pas comme quelque chose à long terme. Il ne reste pas grand-chose. Je vais profiter un peu de la vie, continuer de m’éloigner de l’aliénation qui a été la mienne pendant toutes ces années à Paris. Je n’ai jamais eu le profil du rockeur type, qui vit la nuit, dans les boites, à fumer des clopes et à boire des coups. C’est aussi pour ça que je me suis exilé au Pays basque. Je profite enfin de la vie au grand air.
Propos recueillis par Maxime de Abreu
Compilation Bernard Lenoir – L’Inrockuptible 2 (Parlophone/Warner)
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