Plus vieux super-héros en activité après Superman, Batman porte toujours bien la cape malgré ses 75 piges. A l’occasion de rééditions événementielles du comics, retour sur un personnage qui s’est assombri en vieillissant.
Est-ce qu’il aurait eu la même longévité en homme-oiseau, portant des ailes apparentes en plus des collants bleu et rouge de rigueur? Hum, peut-être pas, hein…Car, oui, avant de pencher pour Batman, le dessinateur Bob Kane a failli appeler son héros Bird-Man, un personnage qui n’aurait pas juré parmi les autres créations loufoques des années 30. Mais, trois-quarts de siècle plus tard, contrairement à Batman, cet homme-oiseau aurait eu pas mal de chance de reposer au cimetière des comics colorés que les amateurs d’aujourd’hui redécouvrent avec un peu de perversité.
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1939. Comme la maison d’édition américaine DC Comics connait un succès foudroyant avec Superman lancée l’année précédente, le dessinateur Bob Kane est sollicité. Sa mission : inventer un autre super-héros pour grossir l’offre. Après quelques zigzags dans le brainstorming (d’où le Bird-Man mort-né), et grâce aux conseils du scénariste Bill Finger, il conçoit donc The Batman avec juste-au-corps gris et grande cape noir pour imiter une chauve-souris géante. Dès le départ, son héros a deux visages. Le jour, il a celui de Bruce Wayne, jeune héritier qui promène son oisiveté dans la ville de Gotham (jumelle de New York). La nuit, il montre celui, inexpressif, d’un justicier dénué de pitié qui dégomme du criminel sans sourciller. A la fin de l’année 1939, sept mois après la publication du premier épisode, un voile est levé sur le trauma originel de Wayne : il a été le témoin du meurtre de ses parents à six ans.
A part ça, l’univers de la série tient du pulp, ces publications de genre populaires avec ses vilains hauts en couleurs et unidimensionnels (le Joker, Double-Face, l’Epouvantail, le Pingouin). Batman/Wayne a aussi un faire-valoir, l’orphelin Dick Grayson qui endosse le costume de Robin. Ensemble, il forme le « Dynamic Duo », une paire à qui, dans la vraie vie, le psychiatre pervers Fredric Wertham va chercher des poux durant les 50’s. Convaincu de la nocivité des comics pour la jeunesse, Wertham, partisan d’une censure castratrice, cherche à provoquer de force le coming-out de la série. Du coup, il faut attendre la moitié des sixties pour que Batman perde sa légèreté inoffensive et soit plus ancré dans la réalité. En revanche, l’adaptation diffusée sur ABC à partir de 1966 s’avère, elle, ultra second degré et camp. Mais, si le feuilleton TV cartonne, les scénaristes (Dennis O’Neil, Steve Englehart) et les dessinateurs (Neal Adams, Marshall Rogers) des comics prennent leur distance en poussant le côté fantastique et sérieux de la BD.
C’est dans les 80’s que Batman devient le super-héros sombre qui mérite vraiment son surnom de « chevalier noir ». Après avoir fait de Daredevil un héros dark et torturé chez Marvel, Frank Miller imagine pour DC Comics la dernière aventure d’un Batman vieillissant dans The Dark Knight Returns en 1986. L’année suivante, avec David Mazzuchelli au crayon, il remixe le mythe avec Batman – Année Un, histoire réaliste réécrivant les débuts du super-héros dans une ville de Gotham corrompue et cauchemardesque. Ces deux albums, réédités ces jours-ci dans des superbes versions noir et blanc par Urban Comics, serviront en partie de matrice et de cadre aux films de Tim Burton puis à ceux de Christopher Nolan. En 1988, les Anglais Alan Moore et Brian Bolland donnent la représentation ultime du Joker – grosse inspiration pour le rôle tenu par Heath Ledger dans le film The Dark Knight –avec The Killing Joke, roman graphique dur et intense.
Depuis ces années-charnières, Batman ne s’est guère amolli et rares sont ceux qui ont touché au mythe sans produire des étincelles – mettons de côté Batman Forever, avec Val Kilmer, et surtout le nanar Batman & Robin avec George Clooney en pleine erreur de casting. Pour ce 75e anniversaire, pas de film de prévu. Christopher Nolan a mis un point final à sa trilogie noire avec The Dark Knight Rises et il faudra attendre deux ans pour que Batman Vs Superman arrive sur grand écran. En même temps, sachant que c’est Ben Affleck qui incarnera Batman, le réalisateur Zack Snyder peut prendre son temps…
Nouvelle beaucoup plus excitante : la Fox annonce pour l’automne prochain la diffusion de Gotham, une série-prequel montrant Bruce Wayne enfant. Le casting, avec notamment Ben Mc Kenzie, un des acteurs principaux de Southland – s’avère plutôt alléchant. Pour patienter, on matera Batman : Strange Days, joli hommage rendu à Batman par Bruce Timm, co-créateur en 1992 d’une série d’animation devenue culte. Surtout, on se jettera sur les rééditions célébrant Batman, dont le premier volume de Gotham Central, excellente série policière d’Ed Brubaker, Greg Rucka et Michael Lark datant des années 2000 et rééditée par Urban Comics. Batman n’y figure que de manière secondaire vu qu’on assiste de l’intérieur à la vie du commissariat de Gotham. Les enquêtes sont noires et la narration, menée de main de maître, évoque NYP Blue ou The Wire. Du lourd.
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