Avec « Eldin reporter », sa chronique dans « Le Supplément » de Canal+, Cyrille Eldin, armé d’un culot et d’un humour féroces, bouscule les codes du journalisme politique. Et parvient à transformer un milieu sous contrôle en véritable pièce de théâtre.
Cyrille Eldin se comporte dans la vraie vie comme à l’écran, en trublion faussement séducteur. On le retrouve par un bel après-midi d’avril, au pied des locaux du Supplément, l’émission qui, tous les dimanches midi, accueille sa chronique Eldin reporter. La mine est enjouée et la main tendue s’efface au profit d’une bise. « On fait un tour dans le parc, il fait tellement beau », annonce-t-il. Des enfants crient, courent. Il se marre : « C’est bien, les enfants, ça recadre. Moi j’en ai deux, 10 et 12 ans. Ça me met les pieds sur terre. Quand je veux présider à table, on me rappelle qu’elle est ronde et qu’il n’y a pas de chef à la maison. Ça fait des années que j’essaie de m’imposer, mais je n’y arrive pas. » D’où la télé ? « Ah non, la télé je n’y suis pas pour m’imposer mais pour m’amuser ! », répond-il, un brin offusqué.
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Dans sa chronique politico-LOL, Cyrille Eldin semble prendre un plaisir fou, presque enfantin, à titiller les politiques, à mettre le doigt là où ça fait mal, sans avoir peur d’appuyer bien fort, mais toujours avec humour. En mars, au Salon de l’agriculture, il lance à Jean-Marc Ayrault : « J’ai une alerte remaniement sur mon téléphone, je vous dépose ? Vous habitez dans quel quartier ? » Une scène qui en a bluffé plus d’un, à commencer par Maïtena Biraben, présentatrice du Supplément : « Lui lancer ce message d’une grande violence dans un sourire, c’est gonflé mais c’est intelligent. »
Eldin commente, questionne, vanne jusqu’à ce que les politiques, poussés dans leurs retranchements, abandonnent la langue de bois. Lors d’une réunion à Lille, en février, il s’entretient avec Martine Aubry:
« Vous restez pudique, en retrait, et puis vous appelez Jean-Marc (Ayrault) de temps en temps pour lui dire ça va pas du tout, là ? »
– Non, je le vois, on s’entend très très bien avec Jean-Marc.
– Plus qu’avec François (Hollande) ? »
Après un silence, Aubry répond : « Je m’entends très bien avec Jean-Marc. »
Même schéma au meeting de Nathalie Kosciusko-Morizet en février, où Eldin demande à Rachida Dati si Nicolas Sarkozy est là pour soutenir NKM ou si c’est NKM qui soutient le retour de l’ancien président. En guise de réponse, Dati sourit et effectue une petite danse des épaules. Ses interviews décalées peuvent déboucher sur des échanges invraisemblables. Fin décembre, au siège de l’UMP, Eldin croise Hervé Mariton, député de la Drôme : « Dites-moi, il arrive à quelle heure Nicolas Sarkozy, parce que dans le genre je fais ma diva, je me fais prier, je fais ma star… – Vous attendez Godot ? » Eldin embraie : « Oui, c’est un peu ça, sauf que Godot n’est jamais venu et que lui va revenir. » Mariton conclut par un énigmatique : « Allez savoir… »
Amoureux du verbe, Cyrille Eldin aime improviser des joutes oratoires avec les politiques. « Ce qui est formidable, c’est la maîtrise de la langue, l’art du non-dit, du sous-entendu. C’est ce que j’aime chez Feydeau comme chez certains politiques. » Avant d’être chroniqueur, Eldin a été gérant d’une société de tennis, GO au Club Med puis comédien. En 2009, il apprend que Canal+ cherche de nouveaux talents. Ses idées plaisent et il se retrouve à assurer sa première chronique, L’Infoman, dans La Matinale. Suivra l’émission Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil, puis, à la rentrée 2012, Le Supplément. A chaque fois, les politiques deviennent ses partenaires de jeu.
« Ce n’est pas un clown »
Se sent-il désormais journaliste ? « Ce que je redoute le plus, ce sont les étiquettes. » Il continue de monter sur les planches et n’a pas de carte de presse. « Enfin si, j’ai celle de Franz-Olivier Giesbert », précise-t-il en brandissant malicieusement la carte de presse que FOG lui a offerte sur le plateau d’i-Télé en février.
« Ce n’est pas un clown. Il est très aguerri sur l’actu politique. Il en sait souvent plus que beaucoup d’entre nous car il est tout le temps sur le terrain », estime Maïtena Biraben. Pour elle, la chronique d’Eldin fonctionne grâce au lien qu’il parvient à nouer avec les politiques de tous bords : « Il pose les questions que l’on n’ose pas poser. Il va très loin mais pas trop loin. Cyrille ne prend personne en traître, ne vole rien. » La preuve : au montage, Eldin n’hésite pas à conserver ses bides, donnant dès lors l’avantage au politique visé à l’origine par la blague.
Résumer Cyrille Eldin à ses talents de punchliner serait oublier l’importance qu’il accorde à sa gestuelle. Début janvier, il claque une bise de bonne année à une Valérie Pécresse décontenancée. Lors du meeting d’Anne Hidalgo à l’Alhambra, il imite, moqueur, l’équipe de campagne de la candidate à la Mairie de Paris et la prend à son tour dans ses bras. Le 8 février, au Salon du livre politique, il pose son micro pour masser le dos d’Henri Guaino. Eldin se fait tactile pour créer une complicité avec son interlocuteur et le mettre en confiance. Ou le déstabiliser, c’est selon. A la fin de l’interview, sur le chemin du retour, il nous prend par le bras, s’enquiert de la recette du spritz et commente, guilleret, la vue imprenable sur la tour Eiffel. Les masques ne tombent pas facilement.
Eldin reporter dans Le Supplément, chaque dimanche, vers midi, Canal+
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