Avec « Maps to the Stars », son prochain film en compétition à Cannes, David Cronenberg cogne bien fort sur Hollywood et ses vices. Retour en cinq films sur d’autres flingueurs de l’usine à rêves.
Sunset Boulevard, de Billy Wilder, 1950
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Plutôt auteur de comédies – La Garçonnière, Certains l’aiment chaud – c’est peut-être pourtant dans la noirceur de Boulevard du Crépuscule que le talent de Billy Wilder aura le plus étincelé. Narré sous forme d’un long flashback par un personnage que l’on sait mort dès le début, le film prend la forme d’une descente dans les limbes de la folie et du morbide. Norma Desmond, ancienne star du muet, vit recluse dans un grand et sombre manoir, fermé sur le monde – les volets ne sont jamais ouverts. Elle se met à entretenir un scénariste raté, Joe Gillis – le narrateur. Moralement dévorée par sa vanité et son narcissisme inassouvis, rongée par la cruauté de la machine hollywoodienne et l’éphémérité de la célébrité, l’ancienne gloire développe une jalousie paranoïde envers son scénariste-gigolo, qui la mène jusqu’à la psychose, merveilleusement illustrée par son regard halluciné dans le dernier plan. En mettant en scène une ancienne star du muet, Gloria Swanson, dans le rôle principal, et en invitant notamment Cecil B. DeMille et Buster Keaton dans leurs propres rôles, Billy Wilder ancre son œuvre dans la réalité, conférant à son cruel portrait d’Hollywood une force monstrueuse.
Le Démon des femmes, de Robert Aldrich, 1968
Treize ans après avoir dépeint tout le mal qu’il pensait de la société hollywoodienne dans Le Grand Couteau, Robert Aldrich signe une œuvre dérangeante au plus haut point. Lewis Zarken, cinéaste égotique, en semi-retraite depuis le décès, dans des circonstances troubles, de sa muse de femme-actrice Lylah Clare, a pour projet d’adapter l’histoire de cette dernière au cinéma. Le projet prend forme lorsqu’on lui présente Elsa Brinkman (Kim Novak), jeune comédienne débutante, dont la ressemblance avec la défunte est frappante. Dans ce film, à peu près tout le monde est détestable : le producteur colérique, avide et lourdingue, le réalisateur narcissique et cruel, l’actrice teigneuse sur le déclin… Au détour d’une ligne de dialogue, un personnage glisse une pique cinglante à une presse corrompue : “Free drinks, free food, free press!” Elsa Brinkman, elle, se met à souffrir d’un dédoublement de personnalité, devenant par moment Lylah Clare, pas aidée par sa relation malsaine avec Zarken. Pour boucler son film, le réalisateur pousse son actrice à la chute, dans une scène de trapèze, et va filmer la réelle agonie de l’actrice pour l’introduire dans sa fiction, façon snuff movie. L’œuvre est acclamée, les circonstances de la mort de l’actrice étouffées. Sommet de noirceur, d’amoralité et de cynisme, Le Démon des Femmes constitue une effrayante satire des mœurs hollywoodienne.
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Le Dernier Nabab, d’Elia Kazan, 1976
Ultime film d’Elia Kazan, adapté d’une œuvre inachevée de Francis Scott Fitzgerald, Le Dernier Nabab n’est pas une attaque frontale au microcosme Hollywoodien. Robert de Niro y incarne un jeune producteur surdoué des années 1930, inspiré du célèbre Irving Thalberg. Maladivement mélancolique depuis le décès de son épouse, il rencontre une femme qui le fascine. “Le cinéma, c’est ma vie”, lui glisse-t-il lors d’une de leurs rencontres. Sauf que sa vie ne le contente évidemment pas. Ici, Hollywood constitue un contexte un peu terne, et finalement vain, comme une ville fantôme. La femme dont il s’éprend devient peu à peu un mirage, une porte de sortie qui répond à la fin d’une ère, celle du déclin de la toute-puissance des producteurs, illustrée par l’émergence de la guilde des scénaristes. La confrontation de jeunes pousses des années 1970 (Robert de Niro, Jack Nicholson, Theresa Russel) à des cadres de l’actorat hollywoodien (Robert Mitchum, Dana Andrews, Tony Curtis) pose en filigrane l’émergence du Nouvel Hollywood. Le Dernier Nabab dégage une mélancolie lasse, comme si Kazan était fatigué d’une machine à rêves aux rouages enrayés.
The Player, de Robert Altman, 1992
Les huit minutes de plan-séquence ouvrant le film ne laissent pas de place au doute : Altman plante le spectateur au beau milieu d’une major hollywoodienne dans laquelle il va se balader. Evidemment, c’est un sacré nid de crabe. Le personnage principal, Griffin Mill – incarné par un très convainquant Tim Robbins –, jeune producteur, reçoit des menaces de mort. Dans le même temps, on le met en concurrence avec un transfuge de la Fox. Pour régler son premier problème, il va retrouver le scénariste en colère en qui il reconnaît son corbeau, et à l’issue d’une baston, le tuer. Puis il aura une liaison avec la compagne du défunt. Après tout cela, il joue de son charme et surtout de son cynisme pour s’en sortir et grimper professionnellement. Avec son humour grinçant, le réalisateur de MASH et Short Cuts assène là un beau crochet à Hollywood, qui l’avait rejeté en 1980 après qu’il en eut dénoncé « la négation de la culture et le règne des moutons de Panurge ».
Mulholland Drive, de David Lynch, 2001
Le chef-d’œuvre onirique de Lynch s’érige en mausolée des victimes de l’usine à rêves. Oscillant entre rêve et cauchemar, ne dépeignant qu’une réalité trouble, Mulholland Drive conte à travers un personnage d’ingénue, interprété par Naomi Watts, la gloutonnerie destructrice de la matrice hollywoodienne, dans les rouages de laquelle nombre d’aspirants acteurs se sont fait broyer. Invitation poétique, exacerbée dans des scènes magistrales – la déchirante reprise hispanisée de Crying de Roy Orbison dans un mystérieux cabaret, ou les deux actrices grimpant les collines d’Hollywood, dans la nuit, accompagnées par la somptueuse musique d’Angelo Badalamenti – cet ovni cinématographique n’en constitue pas moins l’un des tableaux les plus cruels d’Hollywood. Jeu de miroirs entre spectateurs et personnages, entre les différentes parties du film, entre le savoir-faire et la beauté pure, Mulholland Drive est à la fois contemplatif et réflexif, enveloppant totalement le spectateur, qui en ressort éprouvé. Et toute la force du cinéma s’abat sur Hollywood.
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