Quel est le point commun entre Paris, Stockholm, Copenhague, Grenoble et Echirolles ? Toutes ces villes possèdent un, voire plusieurs éco-quartiers. A l’heure où la gentrification est à l’œuvre dans les zones populaires des grandes villes, ces nouveaux quartiers vont-ils accentuer l’exil des plus pauvres ?
Umea, Suède. Capitale européenne de la Culture 2014, nommée pour le prix de la capitale verte en 2016, cette commune de 118 000 habitants située à 650 km de Stockholm, possède son éco-quartier, Alidhem, fort de 7 000 habitants. Suite à un important un incendie en 2008, 1 à 2% des logements ont dû être entièrement reconstruits, tandis que les autres ont été réhabilités. Dans un pays pionnier en termes de politique environnementale, réhabiliter un quartier de façon écologique n’est pas inhabituel, loin de là.
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Nouvelles fenêtres, nouvelle isolation, nouvelle ventilation… aujourd’hui, on y consomme jusqu’à 43% d’énergie en moins. Axés sur le développement durable et le respect de l’environnement, les éco-quartiers constituent le visage des futures villes de demain. Logements mieux isolés, réduction et recyclage des déchets, aménagements spécifiques pour les vélos et les véhicules électriques mais aussi espaces verts respectueux des écosystèmes locaux : ils redessinent nos modes de vie.
Pas assez de logements pour les familles
« Adhilem est un quartier qui n’est ni pauvre, ni riche », affirme Albert Edman, responsable du développement durable à la municipalité d’Umea. « Il est très international et on y trouve beaucoup d’étudiants. La majorité des habitants sont locataires. Il fallait donc que nous fassions très attention à ce que les loyers n’augmentent pas de plus de 10 % ».
En effet, une fois transformé, le quartier est devenu beaucoup plus attractif. Mais le gouvernement maîtrise la hausse des loyers, garantissant l’absence d’une quelconque flambée spéculative. Les habitants n’ont pas vu leurs impôts locaux augmenter car, là encore, il s’agit d’un projet gouvernemental.
« Le problème, analyse Albert Edman, c’est que ce sont surtout des étudiants qui y vivent, donc il y a très majoritairement des studios et des deux-pièces. Nous nous sommes rendus compte qu’il n’y avait pas de logements adéquats pour que les familles puissent rester. Nous sommes en train de réfléchir à la construction de maisons jumelées ».
« Les conséquences sociales n’ont pas été importantes », estime quant à lui Staffan Andersson, maître de conférences à l’Université d’Uméa. « Toutefois, admet Albert Edman, Alidhem n’étant pas non plus un quartier défavorisé, la question de la gentrification ne se pose pas vraiment plus qu’ailleurs. Mais il faut bien admettre que dans les quartiers où la pauvreté et le chômage sont très élevés, où il y a des risques d’émeutes, la question de l’écologie ou de les transformer en écoquartier n’est pas l’essentiel. Les gens s’en moquent ».
Attirer les populations aisées tout en aidant les plus pauvres à rester dans le quartier
Si les habitants des quartiers défavorisés s’en moquent, leurs élus peuvent, au contraire, être tentés. « Si un maire souhaite attirer des populations plus aisées dans les quartiers déshérités de sa commune, il va pouvoir le faire via un éco-quartier » déclare ainsi Jodelle Zetlaoui-Léger, urbaniste et professeure à l’école nationale supérieure d’architecture de Paris la Villette, « mais il est nécessaire d’avoir de bonnes écoles ». Car pour les classes moins populaires qui seraient attirées par des prix faibles et des économies d’énergie dans un quartier agréable, l’éducation de leurs enfants reste primordiale. « Et si vous voulez que les plus pauvres puissent continuer à vivre dans le quartier, il leur faut un ensemble de commerces aux prix abordables » ajoute l’urbaniste.
Recréer et préserver le lien et la mixité sociale, attirer les classes plus favorisées sans chasser les plus pauvres, le tout en promouvant un mode de vie plus écologique et plus responsable… Ce qui peut apparaître comme un casse-tête devient, en réalité, un objectif de plus en plus atteignable, d’une part parce que les constructions écologiques sont de moins en moins chères, et, d’autre part, parce qu’un nouveau mode de création de projet, qui implique les habitants et réduit encore les coûts, est apparu : l’auto-promotion, qui consiste à ce que les futurs propriétaires, épaulés par la mairie et un architecte, gèrent sans intermédiaire les appels d’offres auprès des artisans locaux.
Dans le quartier de Camp Countal, au Séquestre (Tarn), 1 583 habitants, 70 logements écologiques – surtout des maisons – sont ainsi sortis de terre, la majorité d’entre eux pour un prix situé entre 140 000 et 180 000 euros, terrain compris.
« Faire disparaître l’éco-quartier pour que toute la ville soit éco »
Aux yeux de Gérard Poujade, maire depuis 2001, la notion de développement durable concerne en effet l’environnement, mais aussi l’humain, et notamment la lutte contre la pauvreté. La baisse de la consommation d’eau et d’électricité induite par ces nouvelles constructions est d’ailleurs une aubaine pour les petites bourses.
« Notre objectif d’ici 2025 est de produire 0 déchet, de compenser toute notre consommation de carbone, d’avoir 0 pauvre, et d’atteindre une production d’énergie positive » affirme l’élu, qui envisage un maraîchage de proximité pour permettre aux plus démunis de se nourrir, via un système de monnaie-temps. Et compte bien « faire disparaître l’éco-quartier pour que toute la ville soit éco ».
Un credo repris par Florence Masson, Chargée de mission Ville, Habitat et Transports au sein de l’Association des maires de France (AMF) : « Il faut une banalisation, que l’on parle d’un quartier, et non plus d’un éco-quartier». La ville bientôt éco-ville qui ne sera plus qu’une ville, c’est pour prochainement. Il reste à espérer que ses (éco)quartiers pauvres le seront moins.
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