La polémique autour du dernier jeu de Nintendo, qui n’autorise pas les mariages gays, témoigne d’une demande croissante pour plus de personnages LGBT dans les jeux vidéo, prise en compte par certains éditeurs.
Le 6 juin sortira en France Tomodachi Life, le dernier jeu de Nintendo. À mi-chemin entre la « simulation de vie » et le Tamagochi, avec un penchant pour l’humour absurde, on y crée un avatar à forme humaine, son Mii, garçon ou fille, qui peut interagir avec celui des autres joueurs de toute sorte de manière, et notamment avoir des relations amoureuses et des enfants avec un avatar du sexe opposé.
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Des excuses mais pas de mariage
Un pan important du jeu, mais qui est fermé aux avatars du même sexe. C’est ce que dénonce Tye Marini, un gamer américain qui aimerait bien marier son Mii à celui de son fiancé. À l’annonce de la parution du jeu aux États-Unis et en Europe (il est disponible depuis un an au Japon), il lance la campagne #Miiquality, dans l’espoir que Nintendo corrigera le tir. C’est la réponse de Nintendo qui va faire prendre de l’ampleur au mouvement.
« Nous n’avons jamais eu l’intention de faire un quelconque commentaire sur la société en lançant Tomodachi Life » explique la marque le 6 mai. « Le jeu représente un monde alternatif et amusant, plus qu’une simulation de la vraie vie. »
Une explication qui ne convainc ni les média, ni les fans, tant elle montre le peu de place accordée à la diversité sexuelle dans la réflexion des développeurs. « J’espère que Nintendo se rend compte qu’exclure les relations homosexuelles est, en soi, une forme de commentaire social« , résume un journaliste sur Twitter. Trois jours plus tard, Nintendo s’excuse publiquement, promettant que, s’il devait y avoir une suite à Tomodachi Life, elle serait « plus représentative des joueurs dans leur ensemble« .
Un personnage transgenre dans Mario
Historiquement, les jeux vidéo ont eu tendance à se conformer à l’image que les développeurs se faisaient de leur public : blanc ou asiatique, masculin et hétérosexuel. Pourtant, l’existence de personnages LGBT n’en était pas totalement exclue, et ce dès les débuts. Dans le légendaire Super Mario Bros. 2 de Nintendo, sortie en 1986 sur la NES, un des ennemis de Mario, Birdo, est décrit dans le manuel japonais du jeu comme un garçon qui se considère comme une fille, et veut qu’on l’appelle Birdetta, ce qui en fait le premier personnage transgenre de l’histoire du jeu vidéo.
Dès les années 80 et 90, quelques jeux (en partie répertoriés sur cette page Wikipédia) contiennent des personnages à l’identité sexuelle floue, voire ouvertement homosexuels ou transgenre. Mais la confusion des genres et le travestissement, de manière générale, sont surtout utilisés comme ressorts comiques. Ces personnages ne sont pas présentés avec beaucoup de nuances et restent secondaires dans l’histoire. Il faut attendre 1996 et le jeu d’horreur Phantasmagoria 2: Obsessions fatales (qui n’est pas franchement resté dans l’histoire) pour voir un personnage principal et jouable avouer ses sentiments pour son meilleur ami gay. À l’époque, les développeurs pratiquent également une censure à l’égard du public occidental. Le livret de la version américaine de Super Mario Bros. 2 ne contient aucune trace de la sexualité de Birdo. Sega fait lui retirer de son jeu Streets of Rage III un boss jugé un peu trop explicitement homosexuel.
Une évolution logique pour des jeux plus mâtures
Mais en vieillissant, les jeux vidéo se sont démocratisés, attirant des gamers aux profils plus variés. Les progrès techniques ont aussi permis aux développeurs de raconter des histories plus complexes et réalistes dans lesquelles tous les publics peuvent se reconnaître. La liberté de mouvement et de choix du joueur sont des arguments de plus en plus mis en avant, de GTA aux jeux de rôle en ligne. Les relations amoureuses deviennent un élément annexe assez courant, dans les jeux de rôles notamment.
Le studio canadien Bioware se positionne alors comme un pionnier, en incluant des personnages LGBT dans l’univers de ses titres. En 2003, dans son jeu Star Wars: Knights of the Old Republic, les développeurs décident qu’il serait absurde qu’il n’y ait pas de Jedi lesbienne dans la galaxie. Juhani, une alliée du joueur, sera le premier personnage gay de l’univers Star Wars. Suivront Jade Empire, Dragon Age II ou encore la série Mass Effect, autant de jeux où le personnage principal, homme ou femme, peut entretenir des relations avec des personnages du sexe de son choix.
Une révolution qui fait profil bas
Les développeurs de Bioware ne se voient pas comme des militants de la cause LGBT. Ils présentent cette inclusion de relations homosexuelles dans leurs jeux comme un développement logique. Dans leurs titres, l’accent est mis sur la personnalisation : on peut choisir son sexe, son apparence, et chaque décision prise par le joueur a une influence sur la personnalité de son personnage. Le choix d’une orientation sexuelle, demandé par certains fans, s’inscrivait naturellement comme un moyen d’aller encore plus loin dans la création d’un personnage à l’image du joueur.
La discrétion sur le sujet est une attitude partagée par la plupart des éditeurs et développeurs qui ont accordé une place aux relations homosexuelles dans leurs jeux. Ne cherchant pas (ou feignant de ne pas chercher) le coup de pub, ils ne communiquent pas sur la question et font profil bas, présentant leur choix comme une évidence. « Vous pouvez épouser qui vous voulez [dans le jeu]. Ce n’est pas un secret, on n’en fait juste pas des tonnes« , a ainsi répondu Bethesda, le développeur du jeu de rôle à succès Skyrim, à des joueurs qui lui demandaient pourquoi cette option avait été « passée sous silence« , raconte le site IGN. Dans le dernier volet de la série Assassin’s Creed, il est fortement suggéré qu’un des personnages jouables est lesbienne, explique un article de la revue Kill Screen. Mais ce n’est jamais explicitement révélé.
L’homosexualité est bien là, mais suffisamment bien cachée, donc, pour pouvoir passer inaperçue auprès des joueurs qu’elle dérangerait. Un moyen peut-être de faire passer la pilule à un public pas toujours très ouvert d’esprit et aux réactions parfois violentes. L’éditeur de jeux Electronic Arts, maison mère des développeurs de Bioware, annonçait avoir reçu des milliers de lettres d’insultes à la sortie de Mass Effect III. Ce qui n’empêche pas les développeurs de défendre fièrement leurs choix quand ils sont accusés de « laisser tomber la base de leurs joueurs – les hommes hétérosexuels », comme l’a subtilement reproché un fan de Dragon Age. « Les ‘romances’ dans le jeu ne sont pas destinées aux ‘joueurs mâles hétérosexuels’, elles sont pour tout le monde« , a répliqué Bioware.
À quand un soldat gay dans « Call of Duty » ?
Quoi qu’il en soit, ces jeux ne sont pas confidentiels et leurs ventes « ne sont absolument pas affectées » négativement par le contenu plus « gay-friendly », explique Bioware. Au contraire, Mass Effect s’est vendu à plus de 3 millions d’exemplaires en 2012, un des plus gros succès de l’année pour son éditeur Electronic Arts, un des leaders du marché des jeux vidéo. Et des décisions proches de la censure comme celle de la Russie, qui a décidé d’interdire le dernier épisode des Sims aux moins de 18 ans au nom de « la protection des enfants » parce qu’il permet des relations homosexuelles, sont heureusement rares.
Mais ces possibilités restent limitées à des genres comme le jeu de rôle, qui mettent un fort accent sur le développement des personnages et la liberté de choix, ou a des titres ciblés sur un public plus féminin comme les Sims. On attend en revanche toujours le premier protagoniste LGBT dans un titre « AAA », l’équivalent jeu vidéo des blockbusters, qui touchent un public encore plus large. Comme l’explique la journaliste américaine Samantha Allen, « certaines personnes queer qui n’ont pas fait leur coming out ne se reconnaitront peut-être jamais dans un jeu avant qu’il y ait un soldat gay dans Call of Duty« , cette série de jeux de tir qui fait partie des produits culturels les plus vendus au monde.
Le jeu vidéo, un moyen d’expression ouvert à tous
En parallèle, une nouvelle vague de titres très indépendants sont en train de faire tomber les barrières des points de vue qui sont exprimables dans des jeux vidéo. Gone Home, un des plus gros succès critiques de 2013, est l’histoire de la relation entre deux adolescentes dans les années 90, racontée uniquement par le biais des objets que la sœur d’une des jeunes filles – le joueur – retrouve dans leur maison abandonnée. Une histoire complexe et subtile, développée pour une bouchée de pain, que l’on n’imagine pas produite par un grand studio mais qui a su trouver un public dans le milieu indé.
De tels scénarios pourraient devenir de plus en plus courants. Dans un long article et un reportage vidéo, le magazine Polygon raconte comment l’apparition d’outils permettant de créer des jeux vidéo sans l’appui d’un studio ni même sans savoir coder a permis a de nombreuses personnes de la communauté LGBT de créer des titres dans lesquels elles expriment des points de vue rarement entendus dans le milieu, mais aussi dans l’art en général. Mattie Brice y explique comment elle a développé un jeu pour expliquer, mieux que par les mots, son expérience de femme transsexuelle et métisse à sa meilleure amie. Dans Mainachi (« chaque jour » en japonais), publié gratuitement sur Internet, se déplacer dans la rue avec son avatar devient une épreuve face aux regards et aux remarques déplacées ou violentes des passants, toutes tirées de son expérience quotidienne.
De quoi espérer, comme une autre développeuse indépendante, Meritt Kopas, que faire un jeu « devienne l’équivalent de prendre une photo, d’écrire un poème ou de faire un dessin« , une forme d’art accessible à tous dans lequel chacun pourrait se reconnaître et partager son point de vue ou ses expériences. Et faire qu’il ne soit plus possible, pour un développeur comme Nintendo, de développer un jeu sans prendre en compte l’expérience des personnes LGBT.
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