Des graffiti listant les « violeurs du campus » sont apparus cette semaine dans la prestigieuse université de Columbia, accusée de tenir à sa réputation plus qu’à la sécurité de ses élèves.
Rarement des graffitis auront causé autant de polémiques que ceux découverts, mercredi 7 mai, dans les toilettes des filles de trois bâtiments du campus de la prestigieuse université américaine de Columbia, et celui, voisin, du college pour femmes de Barnard. Sous les inscriptions de “violeurs du campus” ou “responsables d’agressions sexuelles sur le campus”, des listes de jeunes étudiants à Columbia. Des listes similaires ont aussi été retrouvées sur des flyers. La direction du campus a promptement fait effacer les inscriptions, mais les responsables de cette dénonciation publique n’ont pas été identifiés.
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55 facs américaines visées par des plaintes
Si les médias et les journaux étudiants de Columbia, qui ont révélé l’affaire, ont plutôt condamné la méthode, cet épisode est la dernière manifestation d’un problème manifeste lié au traitement des victimes de viol dans l’établissement, et dans les facs américaines en général. 55 d’entre elles font actuellement l’objet de plaintes auprès du gouvernement américain de la part d’étudiants, accusées de ne pas respecter les consignes du ministère de l’Éducation des États-Unis qui demandait, en 2011, plus de sévérité pour punir le harcèlement et les agressions sexuelles. C’est le cas, depuis le mois d’avril, de Columbia et Barnard, après une plainte déposée par 23 étudiants.
Aux États-Unis, les étudiants peuvent choisir entre porter plainte pour viol auprès de la police ou de l’administration de leur campus, qui juge alors l’affaire en interne. Les sanctions peuvent aller d’un simple avertissement à l’expulsion de l’élève mis en cause (comparativement, la justice de l’Etat de New York peut punir un viol d’une peine de prison allant jusqu’à 25 ans). Une solution prisée par certaines étudiantes interrogées par une journaliste de The Blue and White, un des journaux du campus de Columbia. Réticentes à l’idée d’envoyer un camarade en prison, ou échaudées par la mauvaise réputation de la police, elles s’imaginaient qu’elles seraient mieux entendues au sein d’un justice de proximité comme celle de Columbia.
On lui conseille d’en « discuter » avec son agresseur
Mais ce n’est pas ce dont témoignent les victimes. Trois d’entre elles sont apparues mercredi 14 mai sur la chaine CNN, pour raconter leur expérience face à l’administration. Agressée deux fois en un semestre, Sarah raconte qu’on lui a conseillé de « retourner dans la chambre » de son premier agresseur pour « en discuter », et que l’administration s’est plus interrogée sur son propre comportement que sur celui de l’élève qu’elle accusait de viol.
Les deux jeunes hommes ont finalement été reconnus coupables par le campus. Mais le premier n’a écopé que d’un semestre de suspension. « Il est sur le campus en ce moment même« , explique Sara. Une autre étudiante croise aussi régulièrement son agresseur à Columbia. Lui non plus n’a pas été exclu. Pourtant, sa culpabilité ne faisait aucun doute : il a lui-même écrit une lettre reconnaissant les faits. Toutes deux espéraient une expulsion, et la crainte permanente de se retrouver face à leur agresseur est devenue un véritable obstacle à la poursuite de leurs études. La clémence de Columbia a même forcé certaines des jeunes filles interrogées par The Blue and White à quitter le campus pour fuir leur violeur.
Ne pas ébruiter l’affaire pour protéger la réputation de la fac
En réalité, Columbia et les autres facs américaines sont soupçonnées de préférer protéger leur réputation que leurs élèves. Les plaignants sont encouragés à ne pas ébruiter les affaires de viol. Pas sûr cependant que les évènements de ces dernières semaines leur fassent une très bonne publicité. En plus des graffiti et des plaintes en justice, une centaine de professeurs et employés de la faculté ont signé une lettre exprimant leur désarroi et demandant que soit crée un environnement où les élèves puissent se sentir en sécurité, en réformant en profondeur la politique l’université sur les questions d’agression sexuelle. Le mouvement No Red Tape a interpellé la direction de Columbia en barrant de scotch rouge des lieux symboliques du campus.
En réponse, la fac promet plus de transparence et d’implication des élèves dans la façon dont la justice est rendue par la faculté, ainsi que de mieux éduquer ses nouveaux étudiants sur la question du viol et du consentement. Pour l’instant, elle s’est contentée de tenir des réunions publiques. C’est peut-être le début d’une vague de changement sur les campus américains, mais les précédents historiques n’encouragent pas à l’optimisme. En 1990, des « listes des violeurs » étaient apparues dans une autre prestigieuse université américaine, Brown, provoquant là aussi une frénésie médiatique et des promesses de réformes. 25 ans après, la situation reste la même qu’ailleurs.
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