Avec cette enquête sur Lille, nous entamons une série de reportages sur les grandes villes de France face aux élections municipales. Rencontres avec des candidats et des figures locales de la politique mais aussi de la culture et de la vie quotidienne… Aujourd’hui Martine Aubry répond à nos questions.
Inutile de lui parler de Matignon. Le virage social-démocrate de François Hollande ? L’affaire Gayet ? Rien. L’ex-première secrétaire du PS, qui s’apprête à rentrer en campagne pour briguer un troisième mandat de maire, n’en a que pour sa ville. Elle nous donne rendez-vous au Grand Sud, une nouvelle salle de spectacle inaugurée il y a tout juste deux mois dans un quartier populaire au sud de Lille. Rencontre
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A l’heure des bilans, de quoi êtes-vous la plus fière ?
Martine Aubry – De la métamorphose des quartiers populaires. En 2001, on parlait d’une ville à deux vitesses avec un centre-ville riche et des quartiers populaires en difficulté. Nous avons fait le choix de mettre l’accent sur ces quartiers. Par exemple, à Lille-Sud, on a recréé des espaces publics et des équipements publics de qualité. On a ramené de l’activité (la zone franche, les maisons de Mode, et bientôt Décathlon, le Campus des métiers, le centre commercial Lillenium…) et des lieux culturels et sportifs, comme les nouveaux centres sociaux et la salle de spectacles polyvalente du Grand Sud. On a aussi créé de la mixité sociale dans ce quartier que la droite locale surnommait “Beyrouth”, en juxtaposant logements sociaux et privés. L’image du quartier a changé en profondeur, au point que maintenant les grands noms du BTP viennent y investir. Mais pour réussir à transformer ces quartiers, il a fallu beaucoup s’endetter.
A l’heure actuelle, Lille est la deuxième ville la plus endettée de France.
Ah non ! vous dites des bêtises (rires). De 2001 à 2008, nous avons fait un premier mandat où on s’est désendetté de 30 %. Le mandat qui s’achève est un mandat bâtisseur : comme nous l’avions annoncé, nous n’avons pas augmenté les impôts depuis 2001, et nous nous sommes réendettés pour transformer la ville et attirer ainsi des investisseurs pour créer des emplois. En treize ans, nous nous sommes endettés de 9 millions d’euros par an, quand la ville a investi 90 millions d’euros en moyenne par an sur le dernier mandat. Nous avons bien géré la ville. Selon la chambre régionale des comptes, notre dette est “exempte de risques majeurs et conformes aux règles de bonnes pratiques”. Notre dette est courte, sûre et peu chère.
Par ailleurs, il faut comparer les dettes des villes en prenant en compte celles des communautés urbaines, car beaucoup de villes ont transféré des fonctions à la métropole. Ainsi, selon nos calculs à partir de données publiques, un Lyonnais est endetté à hauteur de 711 euros et la communauté de 2082 euros. De même, un Marseillais est endetté à hauteur de 3571 euros et un Lillois à hauteur de 3152 euros. On est donc en dessous. L’avenir des Lillois est préservé. Les nouveaux pôles d’excellence (Euralille, Euratechnologies, Eurasanté…) ont permis la création de 9 000 emplois depuis 2008.
Mais si l’on en croit les candidats Front de Gauche et UMP, ces jobs s’adressent à des bac +10 alors que la moitié des demandeurs d’emplois lillois n’ont pas le baccalauréat.
On s’occupe autant de la PME locale que d’Euratechnologies. D’ailleurs les résultats sont là. Malgré une crise lourde, on a connu une augmentation moins forte du chômage qu’ailleurs en France. On est passé de 13 000 à 19 000 chômeurs entre 2008 et 2013. C’est considérable, mais cela représente une augmentation de 40 %, alors que le nombre de chômeurs dans le pays a augmenté de 68 % sur la même période. C’est la première fois qu’ici à Lille nous faisons mieux qu’au niveau national. Il reste encore beaucoup de travail et on s’y engage tous les jours. Nous avons mis en place un “circuit court” pour mettre en relation les chefs d’entreprise et les jeunes issus des quartiers. En à peine 18 mois, on a trouvé du travail ou une formation qualifiante à 1100 jeunes grâce à un réseau de 160 entreprises. C’est un travail de couture.
Avez vous signé des contrats d’avenir ?
A la ville, nous n’avons signé que 20 contrats d’avenir pour une raison simple : nous faisons face à une contrainte financière majeure, notamment en raison d’une baisse importante des dotations de l’Etat depuis plusieurs années. Or, il n’est pas question pour moi de laisser les comptes de la ville partir à la dérive. Par conséquent, comme je l’ai dit au ministre du Travail, je n’ai pas les moyens d’en embaucher 200. En revanche, avec mes adjoints Walid Hanna et Pierre de Saintignon, nous avons créé une mobilisation dans la ville en aidant les associations à recruter 394 jeunes. On a fait le boulot. Si cela se faisait dans toutes les villes, on résoudrait bien des choses sur le plan national.
Lors de vos vœux à la presse locale, vous n’avez pas abordé le problème de l’insécurité. Vous avez seulement mentionné l’arrivée de nouveaux effectifs de police.
Pour moi la sécurité est un droit fondamental comme la santé ou l’éducation. Mais c’est d’abord une compétence de l’Etat. Or Lille est sous-dotée depuis de nombreuses années comme je l’ai toujours dénoncé : il manque 400 policiers. Et sous Sarkozy, qui n’a eu de cesse de nous tourmenter parce que j’avais critiqué son discours de Grenoble, Lille a été matraquée et a subi une baisse de 8 % des effectifs alors que la baisse de la moyenne nationale s’établissait autour d’1,9 %. Grâce à mes interventions auprès du nouveau gouvernement, nous avons obtenu 197 policiers supplémentaires qui complètent notre dispositif de sécurité avec les cellules de veille dans les quartiers et les 4 500 caméras de surveillance dans la ville.
Je suis pragmatique sur ce sujet : l’utilisation des caméras est coûteuse et les trafiquants se déplacent. Pas besoin d’en mettre une tous les 20 mètres, mais là où cela est nécessaire. Par exemple, en décembre, on a décidé, en lien avec la police nationale, d’en installer 17 dans des halls d’immeubles.
Le candidat UMP-UDI Jean-René Lecerf critique vos résultats en matière de sécurité. Selon lui, près de 105 infractions pour 1000 habitants sont commises par an à Lille, contre 70 pour 1000 habitants dans le reste de la France.
Hier, il disait que le budget culture était deux fois plus élevé que le budget éducation, alors que le budget éducation fait le double de la culture ! Sur les infractions, je peux vous dire qu’il y a une baisse de 4,5 % dans les zones de sécurité prioritaire (Lille-Sud, Moulins, Faubourg de Béthune). Après, les chiffres sont à prendre avec précaution et en les analysant : ce qui compte, c’est l’activité policière qui dépend du nombre de policiers sur le terrain. Et plus il y a de policiers, plus on détecte des trafics et donc plus il y a d’infractions constatées.
La semaine dernière, François Hollande a dit que la France n’a pas à rougir de l’expulsion des Roms. Vous-même avez fait démanteler des camps. Etes-vous sur la même ligne que Manuel Valls et le président ?
Il fallait faire ces évacuations parce que l’insalubrité était immense, tout comme la précarité des occupants. Et ce, alors même que la situation devenait insupportable pour les riverains. Mais alors que le président du conseil général proposait d’ouvrir de nouveaux terrains dans le Nord pour reloger ces familles, le ministre de l’Intérieur n’a pas souhaité proposer de solutions. Moi, je suis sur la même ligne que Jean-Marc Ayrault, c’est-à-dire qu’il faut appliquer la circulaire d’août 2012 et l’obligation qui est donnée à l’Etat de trouver des solutions lors des démantèlements. Sous Sarkozy, 3 200 Roms – contre 600 auparavant – sont venus s’installer dans la métropole lilloise, en les faisant venir de toute la région et même d’au-delà. Cela représente 20 % de la population rom installée en France dans une métropole qui fait 1,7 % de la population française. On est prêt à en accueillir 10 %, soit 1 500 personnes, qu’on peut loger sur l’un des quatre grands terrains aménagés, ou dans l’un des 7 villages d’insertion que compte la métropole.
Dieudonné est attendu prochainement à Roubaix, mais pas à Lille.
En 2010, il voulait venir mais il n’y avait aucune salle disponible. Et quand il a décidé de venir avec un bus, j’ai pris un arrêté d’interdiction de stationnement. Il a été obligé de déguerpir.
Vous êtes sur la même longueur d’onde que le gouvernement…
Bien sûr ! Il faut l’interdire. Mais je pense qu’il vaut mieux le faire sans en parler, pour ne pas lui faire de publicité et ne pas le transformer en victime.
Les sondages prédisent une défaite pour le PS aux municipales, pourtant à Lille vous partez gagnante avec plus de 60 % des intentions de vote. Pourquoi ?
A Lille, nous avons réussi à avoir la confiance des Lillois, parce qu’ils voient tous les jours que mon équipe et moi-même travaillons pour eux, pour que chacun vive mieux dans cette ville qui a tant d’atouts. Il y aura sans doute une partie de la population qui voudra dire son désarroi. Et comme d’autres, je m’inquiète qu’ils aillent donner leurs voix aux extrêmes. C’est pour ça qu’il faut éviter que les représentants des partis républicains tiennent des discours démagogiques. J’en veux à Jean-René Lecerf que l’on croyait être un homme ouvert et qui tient le même discours que la droite dure. Vous avez vu ses tracts ? Regardez ses propositions. Il y a une forme de populisme à dire des contrevérités. Il ferait mieux de faire des propositions pour Lille, mais pour cela il faut connaître la ville. Lors des élections de 2011, le FN était au deuxième tour de 3 des 4 cantons lillois. Comment combattre le FN ? Plus on parle du FN, et plus on les fait monter. Le FN est incompatible avec les valeurs de la République et du Nord : du lien social et de la solidarité. Pour le combattre, il faut retrouver et porter haut nos valeurs, il faut répondre à la solitude des gens par la fraternité, pas par la haine. Nous sommes dans une ville où les gens sont de toutes les cultures, où la mixité est un atout extraordinaire. C’est notre force et le FN ne devrait pas prospérer ici car ce qu’ils promettent aux Lillois, c’est le contraire de ce que nous sommes.
Que répondez-vous à ceux qui vous voient déjà quitter Lille pour Matignon ?
Je n’ai qu’une ambition : c’est d’être maire de Lille et présidente de la communauté urbaine de Lille. J’aime Lille et les Lillois.
Recueilli par Mathilde Carton
Article mise à jour le 5 février 2014 : modification des données concernant le niveau d’endettement moyen des Lillois, des Lyonnais et des Marseillais.
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