Depuis 2008, Facebook a découvert qu’il avait un double maléfique. Plus sexuel et surtout moins complexé, le réseau social FetLife est logiquement devenu le chouchou des milieux BDSM. Mais comme son modèle, le site canadien a lui aussi quelques soucis dès que se pose la question de la vie privée.
“Un peu comme Facebook et Myspace mais tenu par des coquins comme toi et moi.” La phrase a le mérite d’afficher clairement ses intentions. A la manière des deux références qu’il cite sans complexe, le site canadien FetLife a l’ambition d’être avant tout un réseau social gratuit, accessible par tous et sans réelle condition d’admission. A une nuance près, de taille : le sexe n’est ici jamais tabou, au contraire, il tient même une place absolument centrale.
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Cultivant l’anonymat, FetLife ne demande à ses membres qu’un surnom, une date de naissance et une ville de résidence. L’utilisateur est ensuite libre de définir dans son profil son sexe, sa situation ainsi que son orientation et son rôle sexuel. Mais là où les réseaux sociaux restent toujours très conventionnels, il est ici possible de s’affirmer par exemple comme un transexuel hétéro-flexible intéressé par les rôles d’animaux, une femme pansexuelle préférant la domination ou même un homme asexué mais en couple.
Une ouverture d’esprit finalement assez rare qui permet à chacun de pouvoir ensuite y trouver son compte en dialoguant avec des gens partageant les mêmes attirances sexuelles, via tout un système de groupes et de forums. Evidemment, FetLife ne pouvait que séduire la communauté BDSM. Et là où Facebook se drape dans un bleu foncé des plus sage, c’est assez logiquement que FetLife y préfère le noir, celui des sangles de cuir et des soirées fétichistes.
Bienvenue chez vous
Derrière ce grand mélange d’improbables photos de profils, de surnoms sulfureux et de sexualité peu soucieuse des convenances, c’est pourtant un petit ingénieur informaticien aux airs de Monsieur Tout Le Monde qui s’agite discrètement. Frustré de ne jamais trouver de partenaire ayant les mêmes intérêts sexuels que lui, le Canadien John Baku s’est décidé à lancer FetLife en 2008, proposant alors une version améliorée de son premier site internet FriendsWithFetishes.
Rapidement la communauté BDSM canadienne voit dans ce nouveau réseau social un lieu de rencontre idéal et peu à peu, c’est même un public international qui s’empare de FetLife, attiré par la convivialité accueillante du site et sa politique de confidentialité.
« C’est ce que je veux que soit FetLife, un foyer, un endroit où retrouver ses amis. Nous avons donc mis en place un groupe de trente volontaires d’un peu partout dans le monde dont le rôle est d’accueillir chaque nouvelle personne qui s’inscrit sur le site en lui souhaitant la bienvenue », expliquait John Baku au Montreal Mirror, avant de renchérir sur la discrétion de FetLife dont la seule page trouvable depuis Google est la page d’accueil :
« La notion de vie privée est extrêmement importante pour moi. Nous vivons dans un monde où les gens se jugent beaucoup et je ne voulais surtout pas que quelqu’un puisse perdre son travail à cause de ça. »
Une bienveillance vis-à-vis des internautes qui se place d’emblée à mille lieues du réseau de Mark Zuckerberg et qui est déjà parvenue à séduire presque 4 millions de personnes, dont presque 50 % de femmes, là où les site de dating classiques en compte souvent nettement moins.
Pourtant, à trop vouloir garantir l’anonymat et la discrétion de ses utilisateurs, FetLife s’est retrouvé en 2012 au cœur d’une polémique sur laquelle son créateur et ses équipes ne souhaitent désormais plus revenir, quitte à fuir les médias et bouder les demandes d’interviews.
Cinquante nuances de crise
Début 2012, un curieux phénomène s’empare de FetLife et se répand aussi vite que le feu remonte la mèche d’un bâton de dynamite. Dans l’effervescence provoquée par le livre Fifty Shades of Grey sorti en juin 2011, le site gagne progressivement un bon nombre de nouveaux inscrits peu au fait des rituels et pratiques du milieu BDSM. Enthousiastes, ces derniers commencent aussitôt à discuter via les groupes et forums avec différents habitués du milieu fétichiste, créant au passage une émulation nouvelle pour FetLife. Conséquence directe ou pure coïncidence, toujours est-il qu’au même moment, une vague d’accusations d’agressions sexuelles et de dénonciations déferle rapidement sur le réseau social.
Face à cela, l’équipe de John Baku décide de réagir en bottant en touche concernant tout ce qui a trait à la vie offline. A titre d’exemple, un utilisateur que nous appellerons XX a donc reçu dans ses messages privés la remarque suivante, suite à une accusation formulée envers un utilisateur que nous appellerons YY :
“Salut XX. Mon nom est Maureen, je t’écris pour te faire savoir que nous avons supprimé ton statut sur YY disant : « YY a violé une personne en la sodomisant alors qu’elle était attachée, bâillonnée et incapable de résister. » Je suis désolé mais sur FetLife nous n’autorisons pas les accusations criminelles envers d’autres membres :(”
Supprimer tous les messages de dénonciation et d’accusation, une politique radicale qui a très logiquement braqué tous les regards vers les conditions d’utilisations de FetLife. Noir sur blanc, ces dernières interdisent purement et simplement toute accusation criminelle envers un autre utilisateur sur un forum public. Dès lors, toute une série de groupes se constituent pour critiquer l’intrusion de FetLife dans leurs discussions et surtout, pour s’en prendre à ce qui peut être vu comme une manière de protéger des violeurs sous prétexte qu’ils sont des membres parfois très populaires de la communauté FetLife. Insubmersible, John Baku se défend sur le site américain salon.com :
“Notre but est vraiment de pousser les gens à aller en parler avec les autorités appropriées afin que les personnes ayant commis ces crimes horribles soient arrêtés.”
Loin d’entendre cette argumentation, un internaute anonyme a publié sur internet en avril dernier une liste recensant le nom, l’âge, le rôle et l’orientation sexuelle ainsi que la ville d’origine d’un grand nombre de membres de FetLife pourtant vierges de toute accusation. En diffusant à tout le monde ces données en principe uniquement accessibles aux inscrits, le hacker a déclaré vouloir avant tout mettre une pression sur les créateurs de FetLife afin de les pousser à revoir leur sécurité et leurs conditions d’utilisation.
Pourtant, en intitulant cette liste “The FetLife Meatlist” (jeu de mots intraduisible entre meat : chair à pâté et meet : rencontrer) et en y faisant figurer très majoritairement des jeunes femmes de moins de 30 ans, c’est avant tout un préjugé tenace que l’internaute malhabile a mis en avant. Pour beaucoup, les pratiquants BDSM restent encore et avant tout une triste chair à canon prête à se jeter aveuglement dans le casse-pipe du sexe le plus rude et misogyne. Un constat exigu qui prouve qu’entre le milieu BDSM et le reste du monde, la relation reste malheureusement plus compliquée qu’une simple friend request.
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