C’est dans la ville étudiante de Cambridge qu’a débuté la cavale des deux frères Tsarnaïev, suspectés d’être les auteurs de l’attentat à la bombe du Marathon de Boston. Plongée au cœur d’une Amérique traumatisée.
De Cambridge (Mass.), Etats-Unis – Une averse tiède et violente douche les traces de l’assaut, et à minuit, tout le monde remballe. La pluie goutte sur les chapeaux de trois agents de la State Massachusetts Police qui bloquent le 67 Franklin street. La rue est bordée des mêmes maisons proprettes à deux étages, typiques de la Nouvelle-Angleterre. Seul reste un camion de CNN America entouré de trois cameramen en ciré. Au loin, la maison où s’est déroulé l’assaut est éclairée par de gigantesques projecteurs, transformant la scène en plateau de tournage d’un David Lynch.
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La banlieue de Boston souffle, se lave de cette semaine de folie, cette frénésie de médias et de tweets. Les 9000 state troopers en tenue sombre, les tanks dans les rues pavillonnaires, les fouilles, les tweets erronés, les tuyaux percés, jusqu’à la capture finale. Des rapports complexes entre police, habitants et médias ont permis l’épilogue de cette semaine folle. Une sorte de capture collective sans précédent dans l’histoire du tweet. La tuerie de Boston s’est transformée en affaire Florence Rey, sauce Twitter.
Cambridge est la ville étudiante où a débuté la cavale des frères par le meurtre d’un policier sur le campus du MIT. Il y seulement un bar ouvert ce vendredi soir 19 avril. Le pub irlandais The Field. On y trinque à la fin de la chasse à l’homme en écoutant les Pogues. Beaucoup portent des fringues aux couleurs de la ville ou de leur campus. Un écran passe CNN sans le son, avec une édition spéciale Boston. La télé les regarde, ils regardent la télé. Chacun se sent intimement concerné parce que chacun a participé, passivement ou activement, à la chasse à l’homme. Beaucoup ont dormi dans leur labo la veille, quand ordre a été donné de rester cloîtré. Rebelote le lendemain après-midi. « Rien que le fait de se retrancher chez soi était un acte de collaboration avec la police. On est tous fiers de ça », lance un étudiant. « Ils l’ont chopé assez tôt pour que je puisse rouvrir ce soir« , ajoute le barman d’un clin d’œil. La clientèle d’étudiants se refait le film de la semaine, avec de grands gestes à renverser les pintes. Le pub est au cœur d’une zone ratissée par 9000 policiers.
Depuis la mort du flic jusqu’à la prise d’otage et le braquage de la supérette, tout s’est passé à moins de cinq minutes à pied. « Ils ont d’abord buté ce flic jeudi soir [Sean Collier, 26 ans, ndlr] devant le Stata Center, à deux minutes en vélo, détaille Alexandre, 24 ans, étudiant en physique nucléaire au MIT. Le conducteur de 4×4 a été pris en otage sur 3rd street, à cinq minutes à pied. La supérette qu’ils ont braquée, le 7/11, tu peux la voir d’ici (NDLR : la police se serait rétractée depuis sur cette question de braquage) . Et l’assaut donné par les flics sur leur maison, et bien c’est en face de chez moi ! » Alex est excité par les pintes et la tension qui retombe. « Six colocataires de ma rue écoutaient les radios des flics. Ils postaient en temps réel ce qu’ils entendaient sur twitter, pour recouper les infos. » Dans la soirée, la police a dû rectifier le tir et demander aux habitants de ne pas se brancher sur leurs canaux pour ne pas que les suspects soient au courant aussi… La demande a été relayée par les médias sur Twitter… Et relayée par les citoyens. Les habitants mitoyens des crime scenes où les centaines de journalistes ne pouvaient aller ont eux mêmes pris les photos et décrit ce qu’ils voyaient, repris en temps réel par les cable news. Boston n’était pas un décor, c’était un acteur de la traque.
« Je me rappellerai du sentiment de communauté qui a uni la ville, appuie un autre étudiant. Comme tout le monde j’ai mis une casquette aux couleurs de Boston, et dans la rue les gens m’arrêtaient pur savoir si ça allait. La violence, peu de gens l’ont vécue, voire même vue, mais la ville était quand même en alerte, soudée. »
La mort du policier, qui a lancé la chasse à l’homme, a marqué les étudiants de Cambridge. Sean Collier était un flic du même âge que les étudiants ; il aspirait à entrer dans l’armée. « Tout le monde le connaissait sur le campus, sans blague. Il était réglo, et surtout il était pas con. Il venait aux soirées karaoké du jeudi soir, boire une mousse quand tout était fini. Il nous laissait faire quelques conneries sur le campus, comme planter des drapeaux aux couleurs de nos associations étudiantes au sommet des bâtiments. Avec lui, c’était : pas vu, pas pris. » Le mode opératoire des suspects, dont chaque détail émerge minute après minute, ne manque pas d’étonner ici.
« Des terroristes ? Ce sont juste des tarés. Ils ont agi en mode « random ». Alors que leur avis de recherche était déjà lancé, aller braquer un supérette pour un pack de red bull, au lieu de payer cinq dollars, c’est vraiment n’importe quoi. Ces mecs n’en avaient juste rien à foutre de rien », pense Alexandre.
Les détails émergent sur la personnalité des deux frères, le grand très réservé et le petit très bien intégré à la société américaine. Djokhar Tsarnaïev était un citoyen américain depuis 2011 et Tamerlan Tsarnaïev, résident permanent. Sur le compte Twitter du petit frère Djokhar, on peut lire une punchline de JayZ dans un tweet daté du jour de l’explosion : « ain’t no safe in the heart of the city« .
Un gérant de magasin de pièces auto qui connaissait les deux frères les qualifie de tout à fait normaux, »mis à part leur goût pour les grosses bagnoles« . Il est encore trop tôt pour connaître leur mobile, qui sera peut-être dévoilé si le suspect survivant passe aux aveux. Pour certains, leur geste pourrait demeurer inexpliqué. « Peut être qu’il n’y a pas de terrorisme derrière tout cela, ni de grand complot mondial, suppose Charlie, étudiant visiteur à la Law School de Harvard. Peut-être que des fois, même si c’est dur pour les victimes, l’absurde est le seul mobile. »
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