Les vétérans américains Sparks et les Ecossais de Franz Ferdinand créent la surprise en publiant un album ensemble sous le nom FFS. Un clash amical et générationnel entre deux groupes qui partagent une même idée de la pop, à la fois sophistiquée et percutante. Ils poursuivront leur lune de miel tout l’été sur scène.
De mémoire, c’est la première fois qu’un tel phénomène se produit. Deux groupes majeurs, appartenant à deux générations distinctes, qui fusionnent pour ne former qu’une seule et même embarcation. D’un côté Ron et Russell Mael, duo américain qui, sous l’étincelant nom de Sparks, a enregistré pas moins de vingt et un albums depuis 1971 et laissé à la postérité des hits extravagants qui ont autant marqué le glam-rock (This Town Ain’t Big Enough for Both of Us en 1974) que le disco (Number One Song in Heaven, produit par Giorgio Moroder en 1979). De l’autre Franz Ferdinand, quatuor écossais aux états de services plus modestes (quatre albums) mais qui en matière de prestance et de distinction n’a rien à envier à ses glorieux aînés sexagénaires.
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Ensemble, ils ont créé FFS, le temps d’un album et d’une tournée qui voient leurs deux singularités se fondre sans que l’on puisse en déceler les coutures ni la moindre trace d’artifice. Au contraire, en douze pop-songs savantes, mélodiques et puissantes, ils sont parvenus à se réinventer en miroir, échangeant leurs fluides et mutualisant leurs énergies. La voix chaude et posée d’Alex Kapranos dialogue ainsi à la perfection avec le falsetto en feu de Bengale de Russell Mael.
Les guitares obliques des Britanniques s’accordent sans grincer aux claviers effervescents de l’imperturbable Ron, le génial marxiste (tendance Groucho) qui pour la première fois a consenti à partager ses secrets de fabrication. Des bombinettes ultra-enlevées (Johnny Delusional, Police Encounters, Piss off) aux ballades (Little Guy from the Suburbs, inspirée par l’autobiographie de Mesrine) en passant par un mini-opéra au nom taquin (Collaborations Don’t Work), cette farandole folle, quasiment sans faiblesse, honore au-delà des espérances la promesse que ce mariage inattendu et improbable avait fait naître.
Alex – Nous nous étions croisés il y a une dizaine d’années à Los Angeles, mais c’est seulement il y a deux ans que ce projet d’un album en commun a commencé à germer. Nous étions en pleine tournée américaine pour Right Thoughts, Right Words, Right Action (le dernier album de Franz Ferdinand – ndlr) et nous commencions à ébaucher de nouvelles chansons lorsque nous avons appelé Laurence Bell, le patron de notre label, pour lui signaler que nous allions changer nos plans pour faire un album avec Ron et Russell. Et qu’il allait devoir le sortir. (rires) Je crois qu’on l’a un peu pris de court. Mais comme c’est un type merveilleux et qu’il a une oreille fiable, il a tout de suite adhéré à cette idée et nous a encouragés à nous lancer dans cette folle aventure très incertaine…
Vous n’étiez pas sûrs que l’alchimie fonctionne entre vous ?
Russell – Quand nous avons commencé, nous n’avions aucun plan, aucune méthode. On savait juste qu’il allait falloir trouver un angle à cette collaboration, qui ne devait être ni un disque de Sparks, ni un disque de Franz Ferdinand. La méthode est venue en cours de route, on a laissé les choses se faire. On se faisait mutuellement confiance et ça suffisait pour se dire que ce projet un peu fantasque avait des chances d’aboutir à quelque chose.
Ron – Il n’y avait aucune pression autour de cet album puisque personne ne l’attendait vraiment. Ce fut un long processus, on a fait ça au fil du temps et si ça n’avait pas fonctionné, personne n’en aurait jamais rien su.
Alex – Jusqu’au bout, on est restés dans l’incertitude. Une fois les chansons écrites, on s’est retrouvés une semaine avant d’entrer en studio pour répéter tous ensemble dans la même pièce. Jusque-là, nos échanges étaient restés très virtuels. On se doutait bien que ça pouvait fonctionner, mais avant de passer aux travaux pratiques, il pouvait subsister un doute. On a donc essayé et ça a marché.
Comment avez-vous procédé ?
Alex – C’est Ron qui a dégainé le premier en nous envoyant une chanson intitulée Collaborations Don’t Work. Ça partait bien ! (rires)
Ron – Commencer par le négatif, c’est toujours mon approche…
Alex – C’était assez malin de sa part parce que des collaborations qui ont mal tourné, on connaît ça ! Du coup, on a choisi de surenchérir en ajoutant au texte “Nous ne sommes pas des collaborateurs…”
On voulait tester le degré de leur humour – même si on n’avait aucun doute là-dessus. La chanson s’est vite construite autour de ce double sens, collaborateurs/collabos. Mais si nous nous étions braqués, ou si en retour ils n’avaient pas saisi l’astuce de notre réponse, on aurait pu en rester là et ne plus jamais se parler.
Vous appartenez à deux générations très espacées. Tu n’avais pas l’impression de faire l’amour avec tes parents ?
(éclat de rire général) Russell – Ah, c’est à ça que l’on se rend compte que l’on est en France : l’interview est commencée depuis sept minutes et on parle de sexe !
Alex – J’avais surtout l’impression de faire l’amour avec mes contemporains ! Il n’a jamais été question d’âge ou de rapport de génération entre nous. On s’est vite rendu compte que l’on parlait exactement le même langage, sans doute parce que Ron et Russell ont toujours été en avance sur leur époque et en éveil par rapport à la musique qui se faisait autour d’eux.
Je n’ai jamais eu conscience en travaillant avec eux qu’ils avaient déjà sorti deux albums quand je suis né ! Maintenant, si tu veux vraiment aller sur ce terrain, alors oui, disons que notre quatuor s’est parfaitement imbriqué dans leur duo.
Ron – On s’est considérés dès le départ comme égaux, il n’y avait pas de rapport de maîtres à élèves et c’est pour cela que ça a fonctionné.
Alex, tu connais la musique de Ron et Russell depuis longtemps ?
Alex – J’ai dû m’y intéresser vraiment au début des années 90. Avant, je ne connaissais que quelques-uns de leurs vieux hits mais je n’avais jamais écouté un seul album en entier. Quand je m’y suis plongé, en revanche, je suis devenu totalement addict. J’éprouvais un état de manque qui me poussait à écouter toujours plus leur musique, et ça tombe bien parce qu’ils ont une discographie très vaste dans laquelle il est agréable de se perdre. Ce groupe n’a pas arrêté de chercher de nouvelles pistes depuis plus de quarante ans, tout en conservant à chaque fois une identité reconnaissable. Qu’ils fassent du rock, de la pop, du music-hall, du disco ou de l’electro, c’est toujours du Sparks. La voix de Russell est unique, l’écriture de Ron également. Quelle que soit l’enveloppe, on les identifie dès les premières notes.
Ron et Russell, quand vous avez entendu Franz Ferdinand la première fois, vous avez reconnu vos enfants ?
Russell – Décidément ! (rires) Sincèrement, on n’a jamais raisonné comme ça, ni avec eux, ni avec personne. On ne se dit pas : “Oh, voilà encore de beaux bébés Sparks” car nous ne sommes pas les mieux placés pour juger de notre influence. En revanche, c’est évident qu’il y a une sensibilité commune. Peut-être ont-ils emprunté des passerelles que l’on a contribué à construire il y a longtemps. Mais ils l’ont fait de manière très personnelle, ce ne sont pas des plagiaires !
On entend quand même beaucoup l’influence des premiers Sparks sur votre album en commun…
Ron – Je n’entends pas vraiment cette ressemblance. Ce qui procure cette sensation, c’est sans doute la façon dont nous avons enregistré ce disque, qui correspond à celle dont on concevait nos albums les premières années. On a tout enregistré très vite, sans direction précise, comme à nos débuts. Rien n’était conscient, on ne s’est surtout pas dit qu’on allait retrouver le son Sparks des années 70.
Alex – Je ne pense pas que la texture des sons ou la façon d’utiliser les instruments ressemble aux Sparks des débuts. Comme sur scène nous jouons des morceaux des deux groupes, j’ai pas mal disséqué leurs premiers albums et le son est totalement différent de celui de FFS. Les instruments ne sont pas du tout les mêmes.
Quelle est la chose que vous avez en commun et qui a rendu ce projet possible ?
Alex – Avec Franz Ferdinand, nous nous sommes toujours considérés comme un groupe pop, pas comme un groupe de rock. Pour nous, la pop conjugue deux choses a priori inconciliables, c’est-à-dire une forme de complexité et de recherche musicale avec un côté immédiat qui passe par la mélodie et une certaine légèreté dans l’attitude.
Sans même leur poser la question, je sais que Ron et Russell partagent avec nous cette conception de la pop et c’est pour ça que ça devait forcément coller entre nous. La pop que j’aime, et Sparks en fait partie, c’est celle qui vous frappe en pleine tête quand vous entendez un titre à la radio, mais que vous pouvez ensuite écouter des centaines de fois pour en découvrir toutes les subtilités.
Ron, tu as écrit seul la musique et les textes de presque toutes les chansons des Sparks depuis quarante ans. C’était douloureux d’avoir cette fois à partager l’écriture ?
Ron – C’était en effet une expérience étrange. Par le passé, quand nous avons collaboré avec d’autres musiciens, c’était essentiellement des chanteurs qui partageaient le chant avec Russell. Pour moi, écrire en collaboration avec d’autres gens n’est pas naturel, donc j’ai dû trouver des méthodes de composition qui permettaient de laisser de la place à la modification, voire à la transformation.
Je suis en circuit fermé avec moi-même sur l’écriture depuis tant d’années, mais ici c’était la base même de l’album : il fallait ouvrir le circuit, faire circuler autrement les idées, accepter celles des autres…
Alex – Instinctivement, nous avons tenté d’écrire dans le style de l’autre. Sur So Desu Ne, par exemple, je me souviens m’être imaginé à l’intérieur du cerveau de Ron, en me demandant à quel accord ça pouvait correspondre pour lui. Par chance, je me suis perdu en route et j’ai fait quelque chose qui n’est pas du tout un pastiche, je voulais éviter ça à tout prix. Je sais que pour Piss off, ils ont essayé de trouver notre son de guitare sans tout à fait y parvenir. C’est en se trompant légèrement que l’on est parvenu à créer, je pense, quelque chose de nouveau et de singulier.
album FFS (Domino/Sony)
concerts le 26 juin à Paris (Bataclan), le 4 juillet à Bobital, le 5 à Lyon, le 28 août à Saint-Cloud (Rock en Seine)
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