À Paris, en plein été, la rue de la Roquette est le lieu d’un curieux manège. Il est presque 13 heures et, comme tous les jours, une file d’attente serpente sur le trottoir. Ados, ouvriers, jeunes couples ou collègues de bureau attendent tous pour entrer dans un minuscule snack dont on ne parvient même pas bien à lire […]
Après le kebab, la junk food française s’est enrichie d’un nouveau produit : le tacos. Porté par l’enseigne O’Tacos et adoubé par la scène rap, de MHD à Niska, ce repas ultracopieux garanti halal, loin du sandwich mexicain d’origine, fait un énorme carton dans les banlieues.
À Paris, en plein été, la rue de la Roquette est le lieu d’un curieux manège. Il est presque 13 heures et, comme tous les jours, une file d’attente serpente sur le trottoir. Ados, ouvriers, jeunes couples ou collègues de bureau attendent tous pour entrer dans un minuscule snack dont on ne parvient même pas bien à lire le nom à cause des échafaudages.
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Dans la file, une jeune fille s’inquiète à l’idée de ne pas réussir à finir son futur sandwich. “T’inquiète pas, il faut prendre le plus petit, le taille M. Tu prends juste ça et ça va”, lui répond son amie habituée des lieux.
Le roi du quartier
A côté, Sofiane, élève au lycée professionnel Marcel-Deprez situé un peu plus loin dans la rue, ne cache pas son enthousiasme avant d’entrer dans le restaurant d’à peine vingt places assises : “C’est trop bon. Je viens presque tous les midis au lieu d’aller à la cantine. En ce moment, les cours sont finis mais je viens quand même.”
A quelques pas de là, le récent Burger King dont on avait tant fêté le retour il y a un an semble tristement vide. Car le roi du quartier est désormais O’Tacos, une chaîne qui a fait fortune grâce à un concept simple : le “french tacos”.
Sans l’ombre d’un légume
Bien loin de son homologue mexicain, on parle là d’un sandwich plus proche d’un burrito rectangulaire fait d’une ou plusieurs galettes de blé. A l’intérieur, on choisit de mettre autant de viandes que l’on souhaite (poulet, merguez, bœuf haché, etc.), agrémentées d’une sauce au choix parmi celles que l’on trouve habituellement dans les kebabs.
Pour finir, le tout est renforcé d’une dose de frites et d’une sauce fromagère glissées directement dans la galette. Au final, un repas ultracopieux, tout-en-un et fait sur mesure pour le client. Sans l’ombre d’un légume.
Tacos en file indienne
Patrick Pelonero, fondateur de la chaîne en 2007, a vu le phénomène tacos prendre lentement de l’ampleur au fil des années. “Ça a commencé à Grenoble. J’étais plaquiste dans le bâtiment, et pendant la trêve hivernale je travaillais dans un snack généraliste. On commençait à entendre de plus en plus parler de tacos dans la région. J’ai donc décidé de me spécialiser uniquement sur ce produit.” Le succès sera au rendez-vous.
Progressivement, O’Tacos s’attaque à Bordeaux, puis à la région parisienne en 2013, avec l’ouverture d’une petite enseigne de trente mètres carrés en Seine-Saint-Denis, à Tremblay-en-France. “Au bout de trois mois, on avait déjà une file d’attente immense devant le restaurant. Ça faisait tout le tour du rond-point. Des gens venaient de toute l’Ile-de-France, même de Picardie. C’était disproportionné par rapport à la taille du magasin”, se souvient Patrick Pelonero.
Une petite centaine de restaurants
Si O’Tacos est né dans les centres-villes de province, la stratégie d’implantation de l’enseigne a très vite été de viser les villes de banlieue, là où la concurrence en termes de fast-food est beaucoup plus faible. “Pour ceux qui veulent être franchisés, O’Tacos ne propose que des villes hyper loin en banlieue. Leur but n’est pas d’en ouvrir un dans toutes les rues des grandes villes mais surtout là où il n’y en a pas du tout”, explique Stéphane Lam, qui vient d’abandonner sa franchise Subway au profit d’un O’Tacos, “deux ou trois fois plus rentable”.
Une stratégie efficace puisque, quatre ans après sa création, O’Tacos compte désormais une petite centaine de restaurants partout en France et un chiffre d’affaires annuel oscillant entre 80 et 90 millions d’euros.
Halal et rap français
Le succès de cette recette miracle tient aussi à une chose : toutes les viandes proposées par l’enseigne sont strictement halal. “Avant, je tenais un Subway et les clients passaient leur temps à me demander si c’était halal. Alors que chez O’Tacos, ils savent que tout est halal. Et du coup, là où ça fonctionne le mieux, c’est dans les quartiers”, reprend Stéphane Lam.
Sofiane confirme : “Il n’y a pas beaucoup de choix quand on mange halal. J’en avais marre des kebabs ou des Filet-O-Fish de McDo.” De quoi faire de l’enseigne un marqueur d’une identité banlieusarde, revendiquée fièrement par certains rappeurs français.
Autonomie culturelle
Lorsque Niska passe par exemple sur la célèbre émission Planète rap de Skyrock, il prend soin de se faire livrer en direct cinquante sandwichs O’Tacos pour lui et ses potes. “C’est génial pour nous. Des artistes très populaires comme MHD, Lartiste ou Gradur viennent chez nous, kiffent nos tacos, font des snaps dans le restaurant ou nous dédicacent sur Facebook. On ne leur demande rien, ils le font spontanément et sans cachet”, commente Patrick Pelonero.
Car, au final, cet engouement autour du tacos est surtout un moyen d’affirmer l’autonomie culturelle de la banlieue vis-à-vis des centres-villes. Alors que le kebab s’est démocratisé au point que les restaurants chic des beaux quartiers en proposent maintenant des versions luxe à presque 15 euros, beaucoup de jeunes de banlieue ne se reconnaissent plus dans ce sandwich pourtant emblématique des générations précédentes.
La grande bouffe
A la place, ils commandent donc un tacos, comme pour affirmer clairement que le vrai banlieusard sait très bien que les tacos d’aujourd’hui n’ont rien à voir avec les tacos mexicains, vendus eux aussi dans les milieux branchés.
Et, visiblement, ce principe d’affirmation fonctionne à plein. O’Tacos est une star des réseaux sociaux, avec 1,7 million de likes sur sa page Facebook et trois fois plus de followers que Quick ou Burger King.
“Rajouter de la salade, ça serait un peu mytho”
Surtout, en 2017, O’Tacos incarne une conception insouciante de la nourriture, celle qui n’a que faire des débats sur le bio, le végétarisme et la malbouffe. Patrick Pelonero l’assume : “On aurait pu faire comme tout le monde, mettre de la viande bio ou rajouter de la salade mais ça serait un peu mytho. Notre sandwich n’est pas un sandwich pour maigrir, il n’y a rien d’healthy. Il ne faut pas chercher à faire la morale au client. S’il a envie de mettre n’importe quoi dans son sandwich et que ça lui fait plaisir, pourquoi pas ?”
Et à ce jeu-là, O’Tacos a trouvé la formule ultime : le gigatacos, un énorme sandwich de 2,5 kilos, composé de cinq viandes, que le patron du restaurant rembourse au client s’il le finit. Et au vu du nombre ahurissant de vidéos YouTube de jeunes foufous tentant l’exploit face au mastodonte de barbaque, on se dit que le monde n’a visiblement pas encore prêté allégeance à la salade.
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